cachez ces sexes que je ne saurais voir


article de la rubrique libertés > censure
date de publication : jeudi 20 août 2009
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Le prix Tartuffe, créé en 2004 par Orphéon–Bibliothèque de théâtre Armand-Gatti, nous apprend que, à Montauban, « des militants anti-avortement ont voulu cacher le sexe des anges ».

Le voeu de Louis XIII, qui fit la notoriété d’Ingres au Salon de 1824, est installé à l’intérieur de la cathédrale de Montauban depuis 1826.
En résonance avec les deux anges qui figurent de part et d’autre de la Vierge Marie dans la partie supérieure du tableau, Ernest Pignon-Ernest a représenté deux anges – dénudés ! – sur la façade de la cathédrale, de part et d’autre de l’entrée principale.
Voila qui en était trop pour certains... [1]

Ces deux fresques font partie de l’exposition “Ingres et les Modernes”, qui abrite à Montauban du 3 juillet au 3 octobre les travaux de divers artistes, dont Picasso, Dali ou Francis Bacon, inspirés d’oeuvres d’Ingres.

[Mise en ligne le 2 août, mise à jour le 20 août 2009]



Ingres, Le voeu de Louis XIII, 1824.

Montauban. Des militants anti-avortement ont voulu cacher le sexe des anges

Fabrice Vironneau avec Alain Baute, La Dépêche, le 29 juillet 2009


Pour l’artiste Pignon-Ernest, les anges ont un sexe. Ses immenses personnages ornent depuis plus de trois semaines la façade de la cathédrale de Montauban. Mais les angelots ne sont pas du goût d’une famille catholique traditionaliste montalbanaise, militante anti-avortement et adepte des messes en latin qui, de fait, s’est lancée dans un combat contre « l’impudeur ». Ses enfants, tous âgés d’une vingtaine d’années ont tenté de masquer l’indécence au cours du week-end dernier au prétexte qu’ils avaient affaire à « une attaque directe » de leur lieu de culte.

« Auparavant, on avait pris soin de demander aux responsables d’intervenir », explique la cadette de la famille. À l’Évêché, on leur explique qu’on ne peut rien faire. Les murs de la cathédrale appartiennent à la mairie. « À la mairie, on m’a dit qu’on ferait passer le message. Mais rien n’a été fait », déplore la jeune femme en précisant qu’elle n’a « rien contre l’art ». « Mais ces dessins n’ont rien à faire sur la façade d’un lieu de culte catholique. Cela nous choque », détaille-t-elle. Il n’en fallait pas plus pour motiver un passage à l’acte.

Particulièrement organisés, conscients des risques qu’ils encourent, le grand frère et les deux sœurs scotchent plusieurs manches à balais et, vers 3 heures du matin, dimanche, le petit groupe se met au travail. Il réussit à déposer une feuille de papier sur le bas-ventre d’un premier angelot. Pour le second la manœuvre est plus difficile surtout avec l’arrivée des services de police par qui ils ont tous été auditionnés. Désormais, ces trois jeunes traditionalistes espèrent une réaction.

Avant et après avoir été rendu « décent ».

« Il faut les rendre décents »

« Ils n’ont qu’à les rendre décents », lâche la jeune femme. Elle poursuit : « De toute façon, dans la religion catholique, les anges n’ont n’a pas de sexe. Sauf ceux de la chapelle Sixtine… Mais, eux, ils sont pudiques ».

Au XVe siècle, Michel-Ange avait été un brin contraint de voiler la nudité de ses angelots. Pour Ernest-Pignon, l’époque est différente… Peut-être pas les mœurs.

Le sexe des anges meurtri par des intégristes

par Philippe Dagen, Le Monde daté du 18 août 2009


Peu après son ouverture, l’exposition a fait parler d’elle d’une façon inattendue (Le Monde du 31 juillet). Une oeuvre d’Ernest Pignon-Ernest a été vandalisée par trois jeunes intégristes catholiques dans la nuit du 26 juillet : un grand dessin collé sur la façade de la cathédrale de la ville, dans le cadre de l’exposition.

Ingres, Anges, 1823-1824, Musée Ingres, Montauban.

L’artiste avait travaillé d’après des études d’anges esquissées par Ingres pour son tableau Le Voeu de Louis XIII, commandé pour cette même cathédrale où il se trouve toujours. "Contrairement à ce qui a été rapporté par la plupart des médias, a précisé l’artiste le 13 août, le dessin que j’ai collé sur la cathédrale de Montauban n’a pas été recouvert de papier mais déchiré : le geste n’est pas le même. L’emplacement du sexe féminin a été meurtri et arraché à l’aide d’un long bâton par une famille de Montauban qui milite par ailleurs contre l’avortement."

Des lambeaux de papier pendent désormais lamentablement entre les colonnes. Ernest Pignon-Ernest, qui déclare ne pas souhaiter de suite judiciaire, ajoute : "Au cours de la même semaine, à quelques milliers de kilomètres, un portrait du poète Mahmoud Darwich, que j’avais collé à Ramallah, a également été lacéré. Là-bas ce sont des fondamentalistes musulmans qui exècrent la liberté d’être et de penser du grand poète palestinien (1941-2008) qui sont passés à l’action. Intégristes de tous les pays..." [...] "En risquant ainsi mes dessins au dehors, en les réalisant sur un papier fragile, leur destruction, intentionnelle ou fortuite, fait en quelque sorte partie du projet. La liberté d’intervenir où je le souhaite est à ce prix. On me permettra seulement de m’interroger sur les fantasmes de ces jeunes gens qu’une représentation aussi naturelle et pure trouble au point de les changer en furieux iconoclastes."

Philippe Dagen


Mahmoud Darwich, par Ernest Pignon-Ernest.

Notes

[1Depuis le concile de Nicée II en 787, les anges sont réputés asexués, car sans corps.


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