“base élèves” : le tribunal administratif de Bastia condamne l’État pour non respect du droit d’opposition


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la justice
date de publication : mercredi 20 juin 2012
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Une étape décisive vient d’être franchie par les opposants au fichier Base élèves. Le Tribunal administratif de Bastia dans son jugement du 14 juin ouvre, en effet, la possibilité aux parents qui le souhaitent de refuser le fichage de leur enfant. Le tribunal a donné raison à deux familles corses qui souhaitaient faire valoir « leur droit d’opposition pour des motifs légitimes » – elles avaient notamment invoqué leurs craintes concernant la sécurisation des données enregistrées ainsi que leur possible utilisation ultérieure. Cette décision offre une importante victoire à ceux qui bataillent depuis des années contre la mise en place de ce fichier. À ce jour, selon le Collectif national de résistance à Base élèves (CNBRE), plus de 2 000 parents auraient déposé des recours contre ce fichage des enfants du premier degré, inauguré en 2004 et généralisé en 2008.

En juillet 2010, le Conseil d’État, saisi par des parents d’élèves, avait déjà statué sur l’existence de ce « droit d’opposition », non prévu par l’administration. Depuis, les choses étaient pourtant restées au point mort. Toutes les demandes adressées jusque-là à l’administration ont, en effet, été rejetées, aucun des motifs avancés n’ayant été considéré comme légitime. Pour l’administration, la scolarisation étant obligatoire ces parents ne pouvaient refuser l’inscription de leur enfant dans Base élèves.

La décision du tribunal est fondée sur le fait que l’inspecteur d’académie, en déniant le droit d’opposition, refusait d’appliquer la loi de 1978, tout comme l’information préalable des parents avant le traitement des données.«  Malgré l’avis du Conseil d’État, l’administration a, derrière, nié ce droit », explique Sophie Mazas, l’avocate du collectif. « L’administration a désormais un mois pour se repositionner sur la question », souligne-t-elle.

A la suite du communiqué du CNRBE, vous trouverez ci-dessous la décision du TA de Bastia.


Communiqué du CNRBE

S’opposer à l’inscription de son enfant dans Base Elèves, c’est possible !

Le 19 juin 2012

Le Tribunal Administratif de Bastia, dans la lecture du jugement de ce 14 juin 2012, donne raison à deux familles (Biancardini et Cavicchi) et permet ainsi à tous les parents de France de faire valoir leur droit d’opposition.

En effet, le Tribunal a considéré que l’Education Nationale niait le droit d’opposition prescrit par les dispositions de l’article 38 de la loi 78-17 du 6 janvier 78 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : “Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement”.

Obligation est donc faite à l’Education Nationale d’appliquer la loi de 78 (dite loi Informatique et Liberté) et de prendre en compte les refus des parents d’élèves qui ne souhaitent pas voir leur enfant “tracé” sur le fichier Base Elèves.

Obligation est donc faite à l’Education Nationale d’adopter une attitude autre que le refus systématique du droit d’opposition des familles.

C’est un vrai soulagement pour les familles traitées avec un réel mépris par l’ancien gouvernement dont le Ministère de l’Education Nationale balayait d’un revers de manche les demandes pourtant légitimes.

C’est un réel espoir de voir enfin reconnu ce droit élémentaire et fondamental du respect de la vie privée, d’autant plus que d’autres TA doivent se prononcer sur les mêmes dossiers dans les semaines à venir.

C’est aussi d’excellent augure pour l’avenir de ce dossier du fichage généralisé à l’école, dont l’inscription des enfants dans Base Elèves et leur immatriculation dans la BNIE (désormais RNIE) est le socle de l’enregistrement numérique de tout leur parcours scolaire de l’âge de 3 ans jusqu’à l’université.

Une immense espérance de voir se fissurer ce sombre édifice du fichage de l’Enfance.

Le Collectif Anti Base Elèves de Corse (CABEC) et le CNRBE, le 19 juin 2012


TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BASTIA (2ème chambre)

N° 1101179

Mme Corinne CAVICCHI
M. Hugues Alladio Rapporteur
M. Xavier Monlaü Rapporteur public

Audience du 31 mai 2012
Lecture du 14 juin 2012
AIT n° 2012/000663 du 14 mai 2012 30-01-03

Vu la requête, enregistrée le 14 décembre 2011, présentée pour Mme Corinne CAVICCHI, demeurant Erbadjo Cristiani à Peri (20167), par Me Mazas ; Mme. CAVICCHI demande au tribunal :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision de l’inspecteur de l’académie de la Corse-du-Sud rejetant implicitement la demande par laquelle elle s’oppose à l’inscription de ses enfants dans la base élève du premier degré et dans la base nationale des identifiants des élèves, ensemble la décision explicite du 25 octobre 2011 de rejet de son recours gracieux ;

2°) d’enjoindre à l’inspecteur d’académie de la Corse-du-Sud, d’une part, de retirer ses deux enfants de la base élève du premier degré, dans le délai de 8 jours à compter de la notification du jugement à venir, d’autre part et à défaut, de réexaminer sa demande, dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement à venir ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que la décision explicite de rejet de son recours gracieux n’est pas motivée ; que les décisions attaquées sont entachées d’erreur de droit en ce qu’elles méconnaissent les dispositions des articles 7, 32 et 38 de la loi du 6 janvier 1978 ; qu’elles sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que ses motifs d’opposition à l’inscription de ses enfants, tenant à l’absence de sécurisation du système, à un risque de discrimination et à la violation de la vie privée et familiale, sont fondés ;

Vu les décisions attaquées ;
Vu la mise en demeure adressée le 24 février 2012 à l’inspecteur d’académie de la Corse-du-Sud, en application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2012, présenté par le recteur de l’académie de Corse qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient qu’il ressort des textes en vigueur que l’inspecteur d’académie avait compétence pour prendre la décision contestée ; que la décision explicite de rejet du recours gracieux est suffisamment motivée tant en droit qu’en fait ; que la décision attaquée n’a pas pour effet de porter atteinte à l’exercice de l’autorité parentale et à l’action éducative des familles ; que les fichiers en cause sont effacés à l’issue de la scolarité de l’élève dans le premier degré ; que la requérante n’établit pas que le motif de son opposition serait lié à sa situation personnelle ou à celles de ses enfants ; que les fichiers en Cause n’ont d’autre finalité que d’assurer un meilleur travail pour la gestion administrative des élèves ; que les motifs d’opposition au fichage présentées par l’intéressée sont stéréotypés ; que, par suite, il n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ; qu’aucune des pièces produites à l’appui de la requête ne permet d’établir que d’autres personnes que celles autorisées auraient ou pourraient avoir accès à la base élève de l’école primaire ; qu’en ce qui concerne les dysfonctionnements ou les piratages éventuels, le législateur a entendu soumettre le responsable du site à une obligation de moyens et non de résultats ; qu’en l’espèce, les mesures pour garantir la sécurité des fichiers concernés ont été prises par l’éducation nationale ; que l’utilisation de la base nationale des identifiants des élèves est, à la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 19 juillet 2010, régulière ; que les interconnexions entre les différents fichiers sont également régulières ; qu’enfin, aucun élément concret et probant n’est apporté concernant une atteinte à la vie privée de la requérante ou de ses enfants ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 mai 2012, présenté pour Mme CAVICCHI qui conclut, par les mêmes moyens, aux mêmes fins que la requête et, en outre, à ce que la somme demandée au titre des frais irrépétibles soit versée directement à son avocat en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu la décision du bureau d’aide juridictionnelle, en date du 14 mai 2012, admettant Mme CAVICCHI au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, notamment en ses articles 37, 43 et 75 ;
Vu le décret n° 2005-139 du 20 octobre 2005 modifié pris pour l’application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu l’arrêté du 20 octobre 2008 modifié du ministre de l’éducation nationale, de
l’enseignement supérieur et de la recherche portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 31 mai 2012 :
- le rapport de M. Hugues Alladio ;
- les conclusions de M. Xavier Monlaü, rapporteur public ;
- et les observations de Me Mazas, pour Mme CAVICCHI ;

Considérant qu’aux termes de l’article premier de l’arrêté susvisé du 20 octobre 2008 ; « Il est créé au ministère de l’éducation nationale un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « Base élèves premier degré », dont l’objet est d’assurer : La gestion administrative et pédagogique des élèves du premier degré (inscription, admission, radiation, affectation dans les classes, passage dans une classe supérieure) ; La gestion et le pilotage de l’enseignement du premier degré dans les circonscriptions scolaires du premier degré et les inspections d’académie ; Le pilotage académique et national (statistiques et indicateurs) » ; qu’aux termes de l’article 2 dudit arrêté : « Le système d’information « Base élèves premier degré » est mis en oeuvre dans les écoles maternelles, élémentaires et primaires publiques et privées, dans les circonscriptions scolaires du premier degré, dans les inspections d’académie et dans les mairies qui le demandent pour les données qui les concernent. Les données sont enregistrées dans des bases académiques » ; et aux termes de l’article 3 de cet arrêté : « Les données à caractère personnel enregistrées sont les suivantes : I. - Identification et coordonnées de l’élève (nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, adresse de résidence, identifiant national élève). II. - Identification du ou des responsables légaux de l’élève (nom, prénoms, lien avec l’élève, coordonnées, autorisations, assurances scolaires). III. - Autres personnes à contacter en cas d’urgence ou autorisées à prendre en charge l’élève à la sortie de l’école (identité, lien avec l’élève, coordonnées). IV. - Scolarité de l’élève (dates d’inscription, d’admission et de radiation, classe, niveau, cycle). V. - Activités périscolaires (garderie, études surveillées, restaurant et transport scolaires) » que, sur le fondement des dispositions de l’article 38 de la loi susvisée du 6 janvier 1978, Mme CAVICCHI a fait valoir auprès de l’inspecteur d’académie de la Corse-du- Sud son droit d’opposition à ce que les données concernant ses enfants soient présentes dans la base élèves du premier degré ainsi que dans la base nationale des identifiants des élèves ; que, dans un premier temps, l’inspecteur d’académie a opposé un refus implicite à cette demande ; que, sur recours gracieux de Mme CAVICCHI, l’inspecteur d’académie de la Corse-du-Sud a explicitement rejeté sa demande par une décision du 25 octobre 2011 ; que Mme CAVICCHI demande l’annulation de ces deux décisions ;

Sur les conclusions en annulation :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la loi susvisée du 6 janvier 1978 : « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement » ; que l’inspecteur d’académie de la Corse-du-Sud a rejeté les demandes de Mine CAVICCHI tendant à s’opposer à ce que les données relatives à ses enfants soient inscrites dans deux fichiers de l’éducation nationale au motif que les parents qui souhaitent que leur enfant soit scolarisé ne peuvent s’opposer à la saisie d’informations nécessaires à la gestion du dossier de l’élève dès lors que ces fichiers ne comportent pas d’information sensible et répondent à l’exécution d’une mission de service public ; que cette motivation, qui nie le droit d’opposition prescrit par les dispositions précitées de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 et dont le Conseil d’Etat a jugé par sa décision n° 317 182 du 19 juin 2010 ,qu’il s’appliquait à la base de données créée par l’arrêté susvisé du 20 octobre 2008, est entachée d’une erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme CAVICCHI est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle l’inspecteur de l’académie de la Corse-du- Sud a implicitement rejeté la demande par laquelle elle s’oppose à l’inscription de ses enfants dans la base élève du premier degré et dans la base nationale des identifiants des élèves, ensemble la décision explicite du 25 octobre 2011 de rejet de son recours gracieux ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; et qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé » ;

Considérant que l’annulation, par les motifs du présent jugement, des décisions attaquées entraîne pour l’administration l’obligation de prendre non pas une mesure d’exécution dans un sens déterminé mais une nouvelle décision ; que, par suite, il est enjoint à l’inspecteur de l’académie de la Corse-du-Sud de réexaminer la demande de Mme CAVICCHI et de prendre une nouvelle décision dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 75-1 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, codifiée à l’article L. 761-1 du code de justice administrative, et des articles 37 et 43 de la même loi, que le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ne peut demander au juge de mettre à la charge, à son profit, de la partie perdante que le paiement des seuls frais qu’il a personnellement exposés, à l’exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle confiée à son avocat ; mais que l’avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de mettre à la charge de la partie perdante la somme correspondant à celle qu’il aurait réclamée à son client, si ce dernier n’avait eu l’aide juridictionnelle, à charge pour l’avocat qui poursuit le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;

Considérant que Mme CAVICCHI a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Mazas avocat de Mme CAVICCHI, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, de mettre à la charge de 1’Etat le versement â Me Mazas de la somme de 1 500 euros ;

DECIDE :

Article 1er  : La décision par laquelle l’inspecteur de l’académie de la Corse-du-Sud a
implicitement rejeté la demande de Mme CAVICCHI par laquelle elle s’oppose à l’inscription de ses enfants dans la base élève du premier degré et dans la base nationale des identifiants des élèves, ensemble la décision explicite du 25 octobre 2011 de rejet de son recours gracieux, sont annulées,

Article 2 : II est enjoint au recteur de l’académie de Corse de réexaminer la demande de Mme CAVICCHI et de prendre une nouvelle décision dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent j ugement.

Article 3 : L’Etat versera à Me Mazas une somme de 1 500 euros, sous réserve que Me Mazas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme Corinne CAVICCHI et au ministre de l’éducation nationale.

Copie en sera adressé pour information à l’inspecteur d’académie de la Corse-du-Sud et au recteur de l’académie de Corse.

Délibéré après l’audience du 31 mai 2012, à laquelle siégeaient :
Mme Geneviève Vescovali, présidente, M. Hugues Alladio, premier conseiller, M. Jan Martin, conseiller.


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