après la “récidive”, Sarkozy pointe maintenant la “réitération”


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : lundi 9 avril 2012
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Le 31 mars dernier, Nicolas Sarkozy est venu parler à l’Institut pour la justice, une association « qui n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique [1]. »

L’occasion de rajouter une couche à ses thèmes de prédilection dans le domaine de la Justice.


Sarkozy devant l’Institut pour la justice à Paris, le 31 mars 2012

Nicolas Sarkozy défend les victimes, en terrain conquis

par Franck Johannès, Le Monde du 3 avril 2012


La venue, samedi 31 mars, de Nicolas Sarkozy à l’Institut pour la justice constitue une victoire pour ce think thank marqué à droite, qui déploie des efforts méritoires pour passer pour un interlocuteur crédible. L’institut, créé en 2007 et composé d’une poignée de collaborateurs courtois et enthousiastes, se situe, sur le plan des libertés fondamentales, un peu à la droite de Gengis Khan, et la grande majorité du monde judiciaire ne s’en approche qu’en se pinçant le nez. Il a une obsession, les victimes ; une méthode, la réaction aux faits divers ; et une hantise, les juges. M. Sarkozy était ainsi, samedi, en terrain conquis.
« Je veux que les crimes sexuels répétés jugés au cours de la même procédure puissent être punis par la réclusion criminelle à perpétuité, contre les 20 ans prévus actuellement, a déclaré le candidat. Je veux rappeler simplement un crime d’un monstre, Patrick Trémeau, 11 viols, 15 ans de prison. Vous savez pourquoi ? Parce qu’il n’était pas un récidiviste. Eh bien, à la sortie de prison, ce M. Trémeau a repris sa carrière de violeur en série ! »

Patrick Trémeau a été condamné en 2009 à 20 ans de réclusion criminelle pour trois viols commis dès sa sortie de prison. Il avait déjà été condamné à 7 ans en 1987 pour un viol et à 16 ans en 1998 pour 11 viols et deux tentatives.

Nicolas Sarkozy a concédé une « erreur » dans la loi pénitentiaire de 2009, qui prévoit d’aménager les peines de moins de deux ans. « Je n’aurais pas dû passer ça. Toute peine au-delà d’un an doit être strictement exécutée », a-t-il dit.

« Angélisme »

Il souhaite étendre les peines planchers à la « réitération » (les auteurs de crimes et délits répétés mais différents). Et M. Sarkozy s’est encore prononcé pour plus de « fermeté » contre les mineurs délinquants, en citant le cas d’Alexandre, tué lundi 26 mars en Seine-Maritime par quatre mineurs : « C’est un règlement de comptes mafieux orchestré par des adolescents qui n’en sont plus. »

Le président-candidat en a profité pour dénoncer « l’angélisme » de la gauche et son « intolérance ». « Il y a des gens qui sont plus choqués par ce que je dis que par les violences qui sont faites aux victimes », a raillé le candidat, qui se propose de renforcer la rétention de sûreté, une mesure inventée en Allemagne en 1933 et adoptée en France en 2008, qui permet de maintenir en prison un criminel qui a purgé sa peine s’il est encore jugé dangereux. Nicolas Sarkozy est le seul des dix candidats, avec Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République), à s’être rendu en personne à l’Institut pour la justice.

Franck Johannès



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Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature

Le monopole du coeur...

Le 2 avril 2012

Samedi 31 mars, le président-candidat a tenu à se déplacer en personne pour exposer sa vision des victimes, du droit pénal et de la magistrature sur l’estrade rutilante de «  l’Institut pour la Justice  ». Il est vrai qu’il était pour ainsi dire chez lui. Outre que les positions de l’IPJ ressemblent souvent à s’y méprendre à celles de l’UMP – plus précisément à celles de sa frange la plus inepte et la plus extrême, la désormais célèbre « Droite populaire » –, le « Rassemblement Justice 2012 » était animé par Nicolas Rossignol, présenté en novembre par l’hebdomadaire Le Point comme « le Monsieur Loyal des conventions UMP », un ancien de « Génération France » – le think tank de Jean-François Copé.

L’IPJ est, en effet, une association « apolitique ».

Raillant les « beaux esprits, pardon les esprits forts » qui pensent que « la douleur est vulgaire », Nicolas Sarkozy s’est d’abord livré à son exercice favori, avec élégance donc : le vol éhonté de la souffrance des victimes. Car Lui les connaît, Lui sait ce qu’elles endurent, Lui ne peut pas rester insensible, Lui les reçoit dès qu’il peut, Lui veut les aider. Tandis que les autres, non, bien entendu. A commencer par les magistrats, cette « caste » qui se voudrait « hors de l’Etat », qui cultive « l’entre soi », qui pense que « tout va bien », que « la victime n’a rien à dire », pour qui « Outreau ça n’existe pas », « y a pas de retards », « y a pas de problèmes », « on est bien confortables entre nous »... Alors que pour Lui, un « monstre » est un « monstre » – ainsi a-t-il qualifié successivement Guy Georges, Romain Dupuy et Patrick Trémeau. Pour Lui – attention, formule fraîche – « les mineurs des années 90 ( ? ) n’ont rien à voir avec ceux de l’après-guerre » et les adolescents qui commettent des crimes « ne sont plus » des adolescents – en effet, puisqu’ils accèdent au statut de « monstres ». Pour Lui, la réitération est « aussi grave  » que la récidive (et la récidive que la récidive de récidive, les délits que les crimes, les contraventions que les délits et donc que les crimes... ?).

Au fil de la logorrhée poujadiste, quelques annonces, parce qu’il ne suffit pas de dire des âneries indécentes, il faut aussi en promettre : perpétuité pour tous les criminels sexuels réitérants, extension des peines-planchers aux délinquants réitérants – gagnons du temps : dès le premier acte et dès l’âge de 3 ans, lorsque les premiers signes de « dangerosité » apparaissent selon l’UMP –, obligation pour les cours d’assises de motiver leur refus de prévoir la rétention de sûreté, obligation pour tous les condamnés qui travaillent – « même en l’absence de partie civile » – de verser 10% de leur rémunération à un fonds d’indemnisation des victimes...

Qu’importe la Constitution – un gadget pour « beaux esprits » sans doute. Qu’importe le montant ridicule de la rémunération des détenus qui peuvent travailler quand d’autres – nombreux – le voudraient et ne le peuvent pas faute de travail en prison. Qu’importe l’inversion définitive de la loi républicaine selon laquelle la liberté est le principe et la détention l’exception. Qu’importe, enfin, que le scandale d’Outreau soit précisément celui de la déshumanisation des « présumés coupables », corollaire de la sacralisation des victimes – alors qu’elles demandent seulement justice – et de l’obsession répressive. Le « programme » de l’IPJ, c’est la promesse de centaines d’Outreau...

Mais ceux qui s’arrêtent à ce genre de détails n’aiment pas les victimes et méprisent le peuple. Alors que Lui, non : « C’est une question de nature, de tempérament »...

Au fait, qu’en pense le garde des Sceaux ? « Ne vous inquiétez pas de Michel Mercier, j’en fais mon affaire » a lancé le candidat de l’UMP à « l’Institut pour la Justice » après avoir rappelé qu’il était, Lui, favorable à un droit d’appel pour les victimes dans tous les domaines.

Que dire après tant d’imbécillités et de mensonges ? Rappeler que chaque magistrat a rencontré et écouté dans sa vie bien plus de victimes que Nicolas Sarkozy n’en rencontrera et n’en écoutera jamais ? Que Nicolas Sarkozy a sabré les budgets des associations d’aide aux victimes ? Qu’il a passé dix ans à saccager le droit, la justice et la police sans rassurer ni réparer la douleur de quiconque, et qu’il n’a rien d’autre à proposer que de recommencer ? Que la justice n’a rien à voir avec le spectacle émétique d’un candidat cynique qui manipule les sentiments, hier pour conquérir, aujourd’hui pour conserver le pouvoir ?

Il est temps de rappeler à Nicolas Sarkozy, non seulement qu’il n’a pas le monopole du coeur ni celui du peuple, mais encore que sa compassion de façade ne saurait dissimuler l’échec cuisant de sa politique dont le seul effet a été de faire reculer l’Etat de droit.

Notes

[1D’après l’excellent billet de Maître Eolas, cité dans cette page.


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