appels contre le projet de carte d’identité biométrique


article de la rubrique Big Brother > fichage généralisé
date de publication : lundi 18 juillet 2011
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Suite à l’adoption en première lecture de la proposition de loi concernant la “Protection de l’identité”, l’association CREIS-Terminal – Centre de coordination pour la Recherche et l’Enseignement en Informatique et Société et Revue Terminal – appelle les parlementaires « à ne pas mettre en péril les libertés par un énorme fichage biométrique ». Dans un communiqué du 18 juillet 2011, elle appelle également « les associations de défense des libertés à organiser la mobilisation citoyenne contre ce projet dangereux et inacceptable ».

Dans un texte datant du 5 octobre 2004, Philippe Aigrain remarquait que « la probabilité qu’un pays disposant de technologies avancées se transforme en régime totalitaire dans les 50 prochaines années est inconnue [1] », mais qu’elle n’est pas nulle – voir l’exemple de la Hongrie. Ce qui l’amène à publier un appel au boycott de « la nouvelle carte d’identité, quelles qu’en soient les conséquences ».


Communiqué du CREIS

Tous fichés : loi votée dans l’indifférence pour la mise en place d’une nouvelle carte d’identité biométrique !

Décidément tous les prétextes et tous les moyens sont bons pour aller vers un fichage général de la population. Sous prétexte de lutte contre l’usurpation d’identité, Sénat et Assemblée nationale avec 11 présents ( !) ont débattu d’une nouvelle loi sur la « protection d’identité ». Elle crée une carte d’identité électronique portant deux puces RFID (Radio Frequency Identification avec lecture possible sans contact) avec mise en place d’un fichier national TES, « titres électroniques sécurisés » déjà utilisé pour les passeports biométriques. L’une des puces contiendra données d’identité, empreintes digitales et photo d’identité et l’autre, optionnelle, sera utilisée « à des fins d’identification sur les réseaux de communication électronique et de signature électronique ».

Avec l’extension du TES, il s’agit donc du fichage biométrique général de la population en France (40 à 50 millions de personnes). Cela bien sûr pour le plus grand profit des industriels français oeuvrant dans le domaine de la biométrie et qu’il faut soutenir au dire même du rapporteur à l’Assemblée Nationale, M. Philippe Goujon : « il importe que nos entreprises puissent valoriser leur technologie ».

De toute évidence, il n’y a pas proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens mis en oeuvre et nous sommes loin des données« adéquates, pertinentes et non excessives » socle de la loi Informatique et Libertés. La proposition de loi a fait l’objet d’une procédure accélérée sans consultation préalable de la CNIL et du Conseil d’Etat. On se rappelle pourtant que sur le projet INES, très voisin du projet actuel, la CNIL avait émis de très fortes critiques.

L’Assemblée nationale, avec l’appui du gouvernement, a durci le texte adopté par le Sénat sur deux points déterminants : l’existence d’un lien fort entre données d’identité et données biométriques d’une part et l’accès possible au fichier pour recherche criminelle d’autre part.

Il faut également noter que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) s’est prononcée en faveur de la mise en place d’une carte Vitale biométrique, regroupant les informations sur les prestations servies à son titulaire.

Si on n’y prend garde, nous allons vers la généralisation des cartes biométriques, alors même que le législateur a tenu à encadrer fortement ces données. CREIS-Terminal ne saurait l’admettre.

La lutte contre l’usurpation d’identité constitue, pour l’ensemble des pays européens, une priorité, mais les solutions de sécurisation de l’identité différent d’un État à l’autre. Plus de douze pays ont adopté une carte nationale d’identité électronique, mais, peu prévoient l’inclusion de données biométriques et presqu’aucun la mise en place d’un fichier central. La France veut encore être la première à adopter des mesures liberticides.

Les textes émanant de l’Assemblée Nationale et du Sénat étant différents, une nouvelle lecture sera donc nécessaire. Parce que nous sommes sensibles à la protection des données personnelles et que nous nous opposons à l’usage abusif et à la banalisation des techniques biométriques, nous appelons députés et sénateurs à se ressaisir et à ne pas mettre en péril les libertés par un énorme fichage biométrique. Nous appelons également les associations de défense des libertés à organiser la mobilisation citoyenne contre ce projet dangereux et inacceptable.

Paris, le 18 juillet 2011

Contact : contact@lecreis.org
http://www.lecreis.org

Il faut s’insurger contre la biométrie de masse [2]

Je le dis depuis des années sur ce blog, sans grand effet : la mise en place de dispositifs personnels permettant de tester rapidement l’identité de grands nombres de personnes en interrogeant des bases de données centralisées de données biométriques est l’un des plus grands dangers qui pèsent sur les libertés et les droits fondamentaux. J’avais ainsi eu l’occasion de me révolter de la mise en place des passeports biométriques, puis de juger insuffisants les ajustements apportés par le gouvernement Villepin à son projet de carte d’identité électronique suite à une consultation publique [3]. J’avais aussi salué l’action courageuse de quelques résistants et le soutien que leur avait apporté Louis Joinet contre la mise en place de dispositifs d’identification biométrique dans les cantines scolaires. Tous avaient souligné que les fabricants de ces dispositifs cherchaient à les banaliser en les introduisant dans les vie quotidienne et en y familiarisant les enfants.

Le gouvernement actuel n’a lui aucune inhibition. Il vient de proposer de réunir en un seul dispositif la biométrie de masse sécuritaire et la pression sur les individus pour qu’ils l’acceptent en en faisant dépendre des services de la vie quotidienne. En effet la nouvelle carte proposée aurait non pas une mais deux puces, une servant à identifier les personnes pour les services de sécurité et l’autre pour les services en ligne. Cette dernière serait facultative, c’est à dire qu’on pourra renoncer au bénéfice de la « confiance » qui sera attachée à son usage. Tout y est : la mise en place de dispositifs qui auraient conduit à l’arrestation de centaines de milliers de juifs et de résistants qui n’ont dû qu’à la falsifiabilité des papiers de survivre pendant la dernière guerre, l’atteinte profonde au droit à l’anonymat sur Internet qui ne tardera pas à en résulter, le privé et l’Etat sécuritaire main dans la main. Ne vous en faites pas, on ne vous veut que du bien, faites-leur confiance.

Si vous n’arrivez pas à leur faire confiance, ne vous contentez pas de râler. Si jamais ce projet est adopté, tel quel ou vaguement assoupli, il faudra boycotter la nouvelle carte d’identité quelles qu’en soient les conséquences. Nous serons les sans papiers de demain.

Philippe Aigrain


Notes

[2Reprise sous licence creative commons de http://paigrain.debatpublic.net/?p=3317.

[3Le Forum des Droits sur l’Internet qui avait initié cette consultation a depuis été contraint à la dissolution par le gouvernement.


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