Tchétchénie, briser le silence


article de la rubrique international
date de publication : vendredi 31 mars 2006
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Pour le bien de tous, y compris la Russie, il faut dénoncer l’horrible guerre du Caucase.

Un appel publié dans Le Monde, le 21 mars 2006.


L’observateur de bonne foi éprouve de grandes difficultés à percer le huis clos qui isole la Tchétchénie du reste du monde. Combien de morts dans la population civile en dix ans de guerre ? Au moins 100 000, au plus 300 000, selon les estimations des ONG. Soit un civil sur dix ou sur quatre. Combien de votants aux élections de novembre 2005 ? Entre 60 % et 80 %, selon les autorités russes, 20 %, estiment les témoins indépendants. Le black-out qui règne sur cette parcelle de Caucase interdit toute évaluation chiffrée des ravages d’un conflit que chacun sait impitoyable.

La censure ne masque pas l’horreur. Sous nos yeux, une capitale (Grozny, 400 000 habitants) a été rasée pour la première fois depuis 1944 quand Hitler punit Varsovie. L’étiquette "lutte antiterroriste" ne saurait coiffer une telle inhumanité. L’état-major russe prétend lutter contre une poignée de terroristes qu’il chiffre entre 700 et 2 000 combattants. Qu’aurions-nous dit si le gouvernement anglais avait bombardé Belfast ou le gouvernement espagnol Bilbao, sous prétexte de réduire l’IRA ou l’ETA ? Le sac de Grozny, des villes et des villages de Tchétchénie, se repaît du silence mondial. Les femmes, les enfants, tous les civils tchétchènes sont-ils moins dignes de respect que le reste de l’humanité ? Sont-ils encore considérés comme des êtres humains ?

Rien n’excuse notre planétaire silence.

1. Il en va de notre morale la plus élémentaire. Comment accepter le viol des filles enlevées par les troupes d’occupation ou leurs milices ? Pourquoi supporter le meurtre des enfants et le rapt des garçons, torturés, brisés et revendus, vivants ou morts, à leur famille ? Et les camps de "filtration" ? Et les "fagots humains" incendiés ? Et les villages décimés pour l’exemple ? Quelques ONG et journalistes courageux, russes ou occidentaux, témoignent des forfaits innombrables. Nous ne pourrons pas dire : "Nous ne savions pas."

2. Il en va du principe fondamental des démocraties et des Etats civilisés : le droit à la vie des civils, la protection due à l’innocent, à la veuve et à l’orphelin. Les accords internationaux et la Charte de l’ONU obligent.

3. Il en va de la lutte antiterroriste elle-même. Qui ne s’aperçoit que l’armée russe joue les pompiers pyromanes ? Au bout de dix années de répression à grande échelle, le feu, loin de s’éteindre, s’étend, franchit les frontières, embrase le nord du Caucase et ensauvage les combattants.

4. Il en va du réalisme politique et du bon sens. Allons-nous longtemps ignorer que, brandissant l’épouvantail du "terrorisme tchétchène", le gouvernement russe supprime les libertés acquises à la chute de l’empire soviétique ? Reprise en main des mass media, lois contre les ONG, renforcement de la "verticale du pouvoir" : la guerre camoufle et motive le rétablissement d’un pouvoir central sans contre-pouvoirs qui le limitent. Autrement dit, elle couvre le retour à l’autocratie. Les guerres de Tchétchénie durent depuis trois cents ans. Elles furent sauvagement coloniales sous les tsars, quasi génocidaires sous Staline, qui déporta l’entière population, dont un tiers périt dans le seul transfert au Goulag. Aujourd’hui, il s’agit, eu égard à la proportion des morts et à la cruauté des moyens, du pire conflit inaugurant le XXIe siècle. Parce que nous rejetons les aventures coloniales et exterminatrices, parce que nous aimons la culture russe et que nous croyons la Russie capable de s’épanouir dans un avenir démocratique, parce que nous estimons que le terrorisme doit être condamné, qu’il soit le fait de groupes sans Etat ou d’armées avec Etat, nous demandons que la question tchétchène ne soit plus couverte d’un mutisme complaisant. Nous devons aider les autorités russes à sortir du piège où elles sombrent aux risques et périls des Tchétchènes, des Russes et des nôtres. Il nous paraîtrait inconcevable qu’au prochain G8, réuni en juin (en Russie), la "question tchétchène" soit évacuée d’office et ne fasse pas l’objet de discussions publiques. Au-delà de nos divergences quant à l’indépendance ou non de la Tchétchénie, nous sommes tous concernés par l’épouvante d’une guerre sans fin.

André Glucksmann (France), Vaclav Havel (République tchèque), prince Hassan Bin Talal (Jordanie), Frederik Willem De Klerk (Afrique du Sud), Mary Robinson (Irlande), Yohei Sasakawa (Japon), Karel Schwarzenberg (République tchèque), George Soros (Etats-Unis), Desmond Tutu (Afrique du Sud)

(Le Monde - 24 mars 2003)


Appel au rassemblement devant le Parlement européen de Strasbourg, à l’occasion des élections parlementaires en Tchétchénie

Mercredi 16 novembre 2005 à 14h30, les Tchétchènes réfugiés en Europe organisent un grand rassemblement devant le Parlement européen de Strasbourg, en vue d’interpeller les députés et l’opinion publique sur la situation en Tchétchénie, à l’occasion des élections législatives qui s’y dérouleront le 27 novembre. Le Comité Tchétchénie et de nombreuses ONG françaises soutiennent cette initiative de la société civile tchétchène. En Tchétchénie, les combats continuent et les exactions perdurent dans l’impunité quasi absolue, au point que la violence s’étend désormais à tout le Caucase du Nord. Force est de constater que le conflit permanent et l’absence d’Etat de droit dans cette république entravent le déroulement d’élections libres et transparentes. Elus et électeurs ne peuvent rester indifférents à une telle situation, dans une région si proche des frontières de l’Union européenne.

En outre, une conséquence humanitaire de ce conflit relève directement de la responsabilité de l’Union européenne : les ressortissants originaires de la Tchétchénie constituent depuis 2003 l’un des groupes de demandeurs d’asile les plus importants en Europe.

C’est pourquoi les associations réclament que tous les réfugiés ayant résidé sur le territoire de la République de Tchétchénie bénéficient d’une protection de l’Union européenne. Elles insistent auprès des parlementaires européens pour :

  • qu’ils dénoncent le contexte de ces élections,
  • qu’ils appellent publiquement les autorités russes au respect des droits humains,
  • qu’ils condamnent les auteurs des exactions commises dans cette région. En effet, l’Etat russe se doit de respecter sa propre législation ainsi que ses engagements internationaux.

Paris le 14 novembre 2005

ACAT, CCFD, Comité Tchétchénie, FIDH, Médecins du Monde, Ligue des droits de l’Homme, Secours catholique


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