Né à Berlin en 1917, naturalisé français en 1937, Stéphane Hessel débute en 1946 sa carrière de diplomate au secrétariat des Nations Unies. A ce titre, il sera « témoin » de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948. Aujourd’hui, à 91 ans, il continue à défendre les Droits de l’Homme, la dignité des peuples, la coopération avec les pays en développement, la justice sociale, les libertés, toutes ces valeurs dont certains voudraient s’affranchir de l’exigence. Il a un argument pour lui : les Droits de l’Homme sont la seule référence qui demeure quand tout se disloque dans le monde, et ils engagent encore les Etats qui ne peuvent renier leur signature [1].
En visite vendredi à Montpellier pour fêter le 60e anniversaire de la Déclaration qu’il a vue naître, il raconte que « le contexte de la montée du nazisme, franquisme, fascisme et autres formes de stalinisme exigeait qu’un texte donne les nouvelles valeurs fondamentales du monde ».
L’Institut des droits de l’Homme de Montpellier m’a demandé de venir à cette occasion pour faire l’état des lieux du respect de la Déclaration et des grands textes qui marquent les progrès des droits de l’Homme depuis 60 ans.
Elle est en tout cas plus que jamais nécessaire comme le programme qui est loin d’avoir été achevé. Même si des progrès considérables ont été faits comme la décolonisation, la fin de l’apartheid, du nazisme, stalinisme... Ceci dit, il reste énormément à faire. Et c’est là-dessus que la jeunesse du monde d’aujourd’hui avec la quantité d’organismes de défense des droits de l’Homme qui existent, a une part importante à faire. Parce qu’il y a encore beaucoup de graves dénis de droits
économiques et sociaux. Des lieux a où l’on pratique des brutalités inacceptables comme à Guantanamo ou en Palestine. Beaucoup reste à faire. Pour autant, le programme que représente - si on la lit bien - la Déclaration, est formidablement audacieux et utile.
Non, au contraire, elle a pris un coup de jeune. Elle est plus jeune aujourd’hui qu’il y a 60 ans. La moderniser, ça ne signifie rien. Un texte est un texte, on ne le change pas. Ceci dit, il y a de nouveaux défis qui se posent à la génération du XXIe siècle et qui ne figurent pas dans cette Déclaration qui ne traite pas tous les problèmes du monde. Notamment ceux des relations de l’Homme avec la planète qui n’existaient pas à l’époque. Aujourd’hui, il est essentiel d’avoir une politique aussi courageuse et audacieuse que l’étaient les rédacteurs de la Déclaration Universelle pour mettre l’humanité devant ses responsabilités vis-à-vis de la planète.
Il ne faut jamais penser ajouter des textes à une déclaration. Une déclaration est datée et ce qu’elle dit reste parfaitement valable. Ce
qu’elle ne dit pas doit être dit dans d’antres textes. Par exemple dans la création d’une vraie organisation mondiale pour la défense de l’environnement qui n’existe toujours pas. Le petit programme des Nations Unies que nous avons n’est pas doté des moyens nécessaires pour faire face aux grands risques que nous courons à assez brève échéance.
Oui. C’est un nouveau problème qui n’est traité que d’un mot insuffisant par la Déclaration qui dit d’une jolie phrase qu’il faut « libérer les Hommes de la terreur et de la misère ». A l’époque, on entendait par là la terreur du nazisme, du fascisme. Aujourd’hui, nous avons affaire à une chose difficile à circonscrire : une haine de gens à l’égard de la civilisation. Elle se nourrit de la désespérance de ceux qui n’ont pas été accueillis dans les grandes civilisations modernes. C’est l’immense pauvreté et le désespoir dans certains pays. Comment faire pour que ce nouveau terrorisme contre lequel nous n’avons pas encore d’armes très efficaces, soit véritablement attaqué ? Tout simplement en réalisant vraiment les projets qui figurent dans la Déclaration (accorder à tous le droit au logement, à la santé, à l’emploi...). Cela retirerait le tapis sous les pieds du terrorisme qui s’est développé depuis septembre 2001.
Il faut considérer le cheminement de l’histoire humaine comme une succession de moments de progrès et de moments de reculs. Depuis huit ans, nous avons une période de régression. Cela correspond au début de l’ère Bush aux Etats-Unis qui se répercute sur l’ensemble du monde. On a pris, à cause des horreurs du terrorisme, des formes sécuritaires dans tous les pays. On s’est méfiés des immigrants alors qu’ils sont une richesse. On s’est méfiés des prisonniers pour lesquels on n’a pas fait assez de prisons alors qu’ils sont plus nombreux. Ce recul est grave et il faut y porter remède. Mais on ne peut pas dire que les droits de l’Homme n’ont fait aucun progrès depuis 60 ans. Pour autant, je ne suis pas sûr que l’élection de Nicolas Sarkozy ne soit pas pour la France une période de recul.
Cela n’a pas de [sens de faire la] comparaison. Nous n’en sommes pas là même si les arrestations d’enfants devant les écoles sont tout à fait inadmissibles. Le fait que nous soyons bientôt débarrassés de Brice Hortefeux montre bien que la politique de ce ministre a été jugée trop sévère.
Oui, même si ce qui va être finalement mis sur pied est un peu moins grave. C’est toujours le même problème : faut-il donner à la sécurité un rôle excessif par rapport aux libertés ? La sécurité peut quelquefois émouvoir des dirigeants qui pensent qu’il faut intervenir tout de suite. Et ce, au lieu de réfléchir d’abord sur le rapport nécessaire entre la vie privée protégée par la Déclaration et la nécessité d’assurer une certaine sécurité.
Bien entendu. Tout reste à faire. Nous n’avons toujours pas, pour une bonne partie du monde, ni l’application des droits civils et politiques, ni celle des droits économiques, sociaux et culturels. Cela conduit à des situations graves comme au Darfour, en Somalie ou en Palestine qui est l’une des situations qui me préoccupe le plus. Il y a donc énormément à faire.
[1] Voir l’article de Jean-Michel Helvig :
http://www.mediapart.fr/club/blog/j....
Lire également cet autre entretien où Stéphane Hessel déclare la politique d’immigration française est contraire aux valeurs traditionnelles de la France.