Un de ses amis dit le bonheur qu’il eut de le rencontrer.
Comment je suis devenu un militant de la LDH
Je me suis inscrit à la section de la LDH du 18ème arrondissement de Paris aux environs des années 90, alors que le FN prenait de plus en plus d’importance dans la vie politique française.
Mais je n’étais alors qu’un adhérent, pas encore un militant.
Et voilà qu’un jour, il m’est donné d’entendre parler de Saïd Bouziri, je ne sais plus en quelle occasion, mais le portrait que l’on m’en fait active ma curiosité, mon envie de rencontrer cet homme. J’appris qu’il était président de la section du 18ème. Je décidais d’aller voir.
J’ai rencontré, alors, un homme au physique puissant, s’exprimant dans un français impeccable avec un léger accent rocailleux. Ses raisonnements me parurent frappés au coin du bon sens, de la générosité, du désir de comprendre. Il était à l’écoute de chacun, attentif à toutes les propositions. Il rectifiait quand il le fallait les erreurs de jugement de l’un ou de l’autre. En un mot je fis la connaissance d’un homme empli d’humanité. Alors je suis devenu un militant de la LDH.
Avec le temps, nous avons appris à mieux nous connaître, à nous fréquenter, puis nous sommes devenus amis. Ma femme et moi sommes allés dîner chez lui. Il vint avec la sienne, la chère Faouzia, chez moi. J’ai accueilli dans mon appartement parisien sa fille et sa petite fille qui venait de naître.
Nous pensions les mêmes choses sur à peu près tous les problèmes de notre société. Il m’apprit à aller sur les marchés, à répondre avec fermeté et toujours courtoisie à des contradicteurs. Avec lui, je suis allé plusieurs fois rencontrer des collectifs de sans papiers. Je fis, avec lui, campagne dans le 18ème, pour la votation citoyenne. J’admirais sa capacité de travail.
Je me rappelle d’un jour où nous nous sommes retrouvés tous les deux dans la bibliothèque municipale du 18ème. Nous passâmes notre après-midi à distribuer des tracts et à inviter les lecteurs à venir voter dans l’urne fournie par la Mairie. Entre deux interlocuteurs nous discutions.
J’appris à mieux le connaître. Il me parla de Génériques [1] dont j’ignorais qu’il en fut le président. Il me raconta sa famille tunisienne. Ses différentes aventures depuis sa jeunesse, depuis son arrivée en France. Un jour, il devint trésorier de la LDH. Cela le faisait beaucoup rire, d’un rire de gorge si joyeux. Il resta néanmoins fidèle à sa section, celle du 18èmeNous nous téléphonions souvent ; nous échangions des idées par internet. Puis, ainsi va la vie, je quittais cette section du 18ème pour aller vers celle de Toulon. C’est donc ici dans ce pays de soleil si proche du sien, que j’appris sa mort par un message venant de Paris-18.
Que mes nouveaux amis toulonnais ne m’en veuillent pas. Je garderai toujours au cœur, aujourd’hui plus qu’avant, ma section du 18ème dans laquelle j’eus le bonheur de rencontrer Saïd Bouziri.
Jacques Vigoureux
Saïd Bouziri
par Philippe Bernard, Le Monde du 9 juillet 2009
Disparu le 23 juin à Paris à l’âge de 62 ans, Saïd Bouziri était une figure marquante des luttes de l’immigration depuis les années 1970, un militant de l’intégration des étrangers dans la vie politique et associative. Il était né le 4 juin 1947 à Tunis.
Son itinéraire d’étudiant tunisien en France, marqué par la guerre des Six-Jours puis par Mai 68, commence fugitivement dans les rangs maoïstes, qu’il quittera au nom d’une idée qui ne l’abandonnera plus : l’autonomie politique des immigrés. Etudiant-travailleur, il participe à la fondation des Comités Palestine puis du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) et du Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés. Critique à l’égard des partis de gauche français, hostile aux organisations mises en place par les régimes du Maghreb pour contrôler les émigrés en France, le MTA, créé en 1970 à Marseille dans le sillage de la Gauche prolétarienne, fut le premier mouvement organisé des immigrés.
En 1972, visé ainsi que sa femme Faouzia par un arrêté d’expulsion pour atteinte à l’ordre public, Saïd Bouziri observe une grève de la faim qui aura un grand retentissement. Droit d’association, droit au logement, à l’éducation, défense des immigrés menacés, dénonciation des attentats racistes qui se multiplient : le militant se bat sur tous les fronts. Dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris, il crée le centre culturel de la rue Stephenson et, en 1981, Radio Soleil Goutte-d’Or. Jusqu’à une époque récente, Saïd Bouziri participera à tous les mouvements de sans-papiers.
Entre-temps, il aura été au coeur d’un passage de témoin historique entre les "travailleurs immigrés" des années 1960-1970 et la deuxième génération qui animera le "mouvement beur" des années 1980.
Le journal Sans frontière rebaptisé un temps Baraka (1979-1986) en sera l’organe, popularisant les revendications des immigrés auprès d’un public plus large, lançant la Marche pour l’égalité (dite "des beurs") de 1983, puis un mouvement d’inscription sur les listes électorales. Conscient de s’inscrire dans une histoire longue, Saïd Bouziri créera en 1987 avec son ami Driss El-Yazami l’association Génériques destinée à collecter les archives de l’immigration en France. L’association organisera en 1989, à la Grande Arche de la Défense, la première exposition sur l’histoire de l’immigration. Elle est aujourd’hui associée à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration de la porte Dorée à Paris.
Saïd Bouziri, comptable aux Assedic de profession, et longtemps membre du conseil d’administration du Fonds d’action sociale des travailleurs immigrés (FAS), n’a jamais demandé à être naturalisé français. Cela ne l’empêchait pas de se considérer comme un citoyen à part entière. Engagé depuis une vingtaine d’années à la Ligue des droits de l’homme (LDH), dont il était le trésorier national, il portait la campagne de cette organisation en faveur de l’octroi aux étrangers du droit de vote aux élections locales.
Philippe Bernard
[1] Organisme préservant l’histoire et les archives de l’immigration.