Invité le 10 décembre prochain par le service des relations avec l’Islam du diocèse de Fréjus-Toulon pour parler de son livre sur les harkis, Pierre Daum a vu sa conférence brutalement déprogrammée.
Les deux quotidiens locaux ont repris l’information.
Pierre Daum est l’auteur des livres Ni valise, ni cercueil et Le dernier tabou. Deux ouvrages édités chez Actes Sud et qui traitent respectivement des Pieds Noirs et des Harkis qui sont restés en Algérie après l’indépendance [1].
Le diocèse de Toulon n’accueillera pas la conférence de Pierre Daum.
« Français et Algériens : éclaircir le passé pour apaiser le présent ». C’est le thème de la conférence que devait donner à Toulon le 10 décembre, Pierre Daum, journaliste et auteur du livre le Dernier tabou sur les harkis. Invité par le service des relations avec l’Islam du diocèse, son intervention devait notamment contribuer à une meilleure connaissance de l’histoire des « supplétifs musulmans », tels qu’ils étaient dénommés pendant la guerre d’Algérie.
Oui mais voilà, la conférence n’aura pas lieu. « Je l’ai appris par une lettre du père Olivier Laurent sans véritable explication. J’en suis très attristé et surpris car cela faisait deux ou trois mois que nous étions en discussion et j’avais le sentiment qu’ils avaient décidé d’organiser cela en pleine conscience », indique l’auteur.
Un évêque très conservateur
Dans ce diocèse, dirigé par monseigneur Rey, réputé pour ses positions très conservatrices, la décision d’annuler a une résonance particulière. L’un des laïques investis dans l’organisation d’initiatives de dialogue inter-réligieux par l’Église y voit clairement la main de l’évêque. Tenant à rester anonyme, il « rappelle la polémique provoquée en août par l’invitation à Marion Maréchal-Le Pen par monseigneur Rey à l’université d’été de l’Observatoire socio-politique du diocèse de Fréjus-Toulon ». Très remonté contre cette annulation « sans motif », il insiste : « la décision de retirer la conférence de l’agenda a été prise brutalement et avant les attentats, j’en témoigne ».
Du côté de l’Évêché, on botte en touche en renvoyant chez les pères maristes qui portaient initialement la conférence. Le père Olivier Laurent n’a pas vraiment envie de s’étendre sur la question. « Ce débat devait avoir lieu dans un cadre privé, avec tout ce qui se passe aujourd’hui je ne souhaite pas communiquer avec la presse. J’ai échangé avec Pierre Daum sur l’annulation je ne souhaite pas en dire plus », élude-t-il avant de raccrocher.
Pour le membre du service des relations avec l’Islam qui témoigne pour La Marseillaise, les pères maristes n’ont pas voulu se brouiller avec l’Évêché. « En octobre, nous avions organisé une initiative intitulée "un bateau pour la paix", avec une prière réunissant catholiques, juifs et musulmans. Il y a eu un article fort complet dans Var-Matin. À ma connaissance, l’évêque a été étonné du retentissement médiatique et a fait savoir qu’il ne fallait pas renouveler ce type d’initiatives », indique-t-il.
Pierre Daum également, ne peut « pas interpréter cette annulation comme un revirement de la part des pères. J’y vois plutôt un coup de bambou sur leurs doigts de la part de leur hiérarchie, c’est-à-dire de Dominique Rey ».
L’auteur qui plaide pour « une reconnaissance de la souffrance du peuple algérien pendant la colonisation », mais aussi de la « souffrance des pieds-noirs » analyse ce raidissement comme la marque de l’influence dans l’Église toulonnaise de ceux qui « portent un discours de légitimation de l’entreprise coloniale française, les ultras, les nostalgiques de l’OAS, des putschistes... »
Il regrette « que la main tendue d’un groupe de chrétiens en direction des Toulonnais de confession musulmane dans un contexte d’islamophobie croissante », n’ait pu se concrétiser. Selon Pierre Daum, « 50 ans après la guerre d’Algérie, les souffrances subsistent de part et d’autre. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On juge ces sujets polémiques et on n’en parle pas ou on engage des débats sereins pour évoquer ses souffrances et écouter celles des autres ? C’est bien dommage qu’ils ne puissent se tenir »
Mgr Rey est-il intervenu pour annuler la conférence de Pierre Daum sur la décolonisation de l’Algérie ? Ceux qui ne lui pardonnent pas de s’être affiché avec Marion Maréchal-Le Pen l’affirment.
Prévue de longue date pour le 10 décembre prochain à Toulon, la conférence du journaliste Pierre Daum - intitulée « Français et Algériens : éclaircir le passé pour apaiser le présent » - n’aura finalement pas lieu.
L’intéressé en a été averti dans un courrier daté du 6 novembre dernier et signé par l’équipe d’animation du Centre spirituel mariste (CSM), co-organisateur de la conférence avec le Service des relations avec l’islam.
Climat social tendu
Ce dernier, qui voyait là une manière « de contribuer à la rencontre et au dialogue entre celles et ceux qui ont vécu les événements douloureux d’Algérie dans les années soixante », justifie sa décision par la détérioration du climat social. « Le climat social qui prévaut actuellement dans notre département s’est fortement tendu au point de rendre difficile la mise en œuvre de ce dialogue », écrit le CSM. Au passage, il épingle les Universités d’été de la Sainte Baume auxquelles avait été invitée Marion Maréchal-Le Pen au mois d’août dernier. « L’accueil de Mme Marion Maréchal-Le Pen au cours
d’une session organisée à la Sainte Baume par les responsables diocésains de l’église du Var, la crise des réfugiés et des migrants, ont largement contribué à cette modification du climat social ».
Pierre Daum ne comprend pas l’annulation de la conférence. « Une terrible et bien triste surprise », confie-t-il dans sa réponse écrite au CSM. Très remonté, le journaliste met les organisateurs face à leurs contradictions. « Que voulez-vous faire alors pour lutter contre ces tensions ? Rien ? Que chacun reste dans son coin à ruminer ses peurs contre les autres ? », demande-t-il.
Joint par téléphone, le conférencier va plus loin dans ses critiques. S’appuyant sur des indiscrétions au sein des organisateurs, il n’hésite pas à y voir la main de l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon. « Mgr Rey, dont on connaît le positionnement idéologique, est responsable. Il a mis son veto à la tenue de la conférence ».
Dénégations de l’église
Sous couvert d’anonymat, une personne proche du dossier enfonce le clou. « Le dialogue islamo-chrétien existe depuis longtemps dans le département, mais il dérange les plus conservateurs des courants catholiques du Var. Or, la ligne apostolique de l’évêque est extrêmement conservatrice ».
Contacté par téléphone, le père Olivier Laurent, responsable du CSM, nie catégoriquement toute implication de l’évêque. Le diacre Gilles Rebêche confirme la non-intervention épiscopale. Pour les plus sceptiques, il explique : « Les maristes, qui ont mal vécu l’invitation de Marion Maréchal-Le Pen aux universités d’été de la Sainte Baume, sont autonomes. Ils n’ont pas de lien hiérarchique avec l’évêque.
Autant dire qu’ils prendraient assez mal toute consigne venant de sa part ».
Vu la tournure des événements, « ça devient presque une affaire d’état », lâche-t-il. Gilles Rebêche conclut : « Ça prouve qu’on n’était peut-être pas prêt pour organiser une conférence sur un tel sujet ».
[1] Les Toulonnais pourront rencontrer Piere Daum, qui viendra présenter son dernier ouvrage fin janvier dans une librairie de la ville.