Patrick Weil : « derrière la binationalité, ce sont les “Franco-Africains” qui sont visés »


article de la rubrique discriminations > les “binationaux”
date de publication : vendredi 3 juin 2011
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Que révèle l’utilisation par certains dirigeants du football français de la référence répétée à la binationalité ? Historien, spécialiste des questions de nationalité et d’immigration, Patrick Weil, qui est en train de terminer une étude sur la double nationalité, estime que Nicolas Sarkozy a rendu possibles les glissements de la nationalité à l’origine en distinguant, dans son discours de Grenoble de juillet 2010, les Français d’origine étrangère et les autres. Il vient de publier Être français, les quatre piliers de la nationalité (éditions de l’Aube, 2011).

Cet entretien avec Carine Fouteau a été publié le 3 mai 2011 sur le site Mediapart.


  • Comment analysez-vous l’usage de la double nationalité dans le verbatim mis en ligne par Mediapart ?

Pour ces dirigeants de la Fédération française de football, l’enjeu n’est pas seulement la binationalité réelle ou supposée des joueurs. Ils ne s’intéressent pas aux Franco-Italiens ou aux Franco-Brésiliens, ce sont les “Franco-Africains” qui sont visés. Leur forte présence est liée à la sociologie du football français et à l’histoire récente de l’immigration. Parler de ces joueurs comme ils en parlent, c’est hiérarchiser entre deux types de Français, les seconds étant ceux dont il faudrait se méfier. Cette transgression inacceptable du droit et de la loi s’inscrit aussi dans un contexte politique. En parlant cet été de Français d’origine étrangère, Nicolas Sarkozy lui-même a donné carte blanche à ce type de distinction illégale.

  • Les distinctions entre les Français d’origine étrangère et les autres mais aussi entre les binationaux et les autres sont-elles spécifiques à la période actuelle ?

La France a été longtemps, avec le Royaume-Uni, le seul pays à accepter la double nationalité. Et juste après la Première Guerre mondiale, il s’agissait pourtant d’Allemands installés en Alsace-Moselle qui voulaient devenir français tout en restant allemands. La France n’en avait cure, elle y voyait son intérêt, elle avait confiance en elle. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce phénomène de multi-nationalité s’est développé. D’abord en raison de la multiplication des États. Ensuite parce que l’égalité des femmes dans le droit de la nationalité a été conquise. Jusque-là, les femmes perdaient leur nationalité d’origine lorsqu’elles épousaient un homme d’une autre nationalité, et les enfants n’avaient que la nationalité du père.

Dorénavant la femme garde sa nationalité et la transmet aux enfants, tout comme son mari. Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, la nationalité a été sécurisée, elle est devenue un élément inaliénable du statut de l’individu. Les États – c’est le cas de la France – n’ont plus déchu de leur nationalité une personne qui se naturalisait à l’étranger. La double nationalité était cependant vue d’un mauvais œil. Ce n’est plus cas. De plus en plus de pays du monde prennent les double nationaux comme des atouts, ils renouent des liens avec les descendants de leurs émigrants à l’étranger ou acceptent que les naturalisés gardent leur nationalité d’origine. La France le fait aussi quand elle décide de naturaliser Eunice Barber, la championne d’heptathlon, d’origine sierra-léonaise, qui est devenue française six mois seulement avant son titre mondial sans parler quasiment le français.

Aucune prévention ne devrait exister pour ce qui est des joueurs de foot franco-africains. Les meilleurs vont en équipe de France, les autres jouent peut-être ailleurs mais ils diffusent alors l’influence, la culture et les valeurs de la France. Ils reviennent ensuite jouer en France et y payent leurs impôts. Le paradoxe, c’est que la France était en avance sur son temps et qu’aujourd’hui elle régresse.

  • Que révèle cette fixation sur les origines des joueurs ?

C’est un poison destructeur que l’on s’inocule de façon incompréhensible. Que Nicolas Sarkozy utilise ce type d’approche, on doit l’interpréter comme un calcul électoral cynique, ignominieux et coûteux pour le pays. Mais Laurent Blanc ! Il était en train de démontrer que la crise de l’équipe de France n’était pas ethnique, mais plutôt un problème de management, dû à un prédécesseur nul, sinon pervers. Ce n’est pas à Laurent Blanc de dire qui est français et qui ne l’est pas. Sa mission est de repérer parmi tous les Français que la loi fait tels les talents les plus prometteurs, et de faire avec eux la meilleure équipe de France. Indépendamment de leur origine, lieu de naissance ou religion, un point c’est tout !


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