Nicolas Sarkozy croit-il un mot de ce qu’il raconte sur les religions ?


article de la rubrique laïcité > Sarkozy parle de religion
date de publication : samedi 19 janvier 2008
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Le 14 janvier 2008, le président de la République a affirmé dans un discours officiel prononcé à Riyad, que « Dieu [...] n’asservit pas l’homme mais [...] le libère ».

Comment comprendre que Nicolas Sarkozy ait choisi de faire cette déclaration à Riyad, capitale d’un pays, l’Arabie Saoudite, où tout symbole d’appartenance à une religion autre que l’islam est interdit [1] ?
A-t-il été une fois de plus la victime consentante du lyrisme de sa plume préférée [2] ? A-t-il pris au pied de la lettre la prophétie attribuée à André Malraux « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas » ? ...

Peu importe l’explication [3], peu importe que Nicolas Sarkozy soit de bonne ou de mauvaise foi, l’essentiel pour lui est que ce thème des religions lui permet de cliver.


Nicolas Sarkozy recevant les autorités religieuses à l’Elysée, le 17 janvier 2008 (photo Christophe Ena AFP).

« Une tentative néocléricale » par Jean Bauberot

propos recueillis par Catherine Coroller, Libération, le 16 jan. 08

Jean Bauberot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont les Laïcités dans le monde (PUF, 2007). Il anime un blog [4].

  • Au Vatican comme à Riyad, Nicolas Sarkozy a valorisé la foi au détriment de la laïcité. Comment percevez-vous cette posture ?

Pour commencer, il faut essayer de voir pourquoi il a fait cela. Lui-même et ses conseillers ont bien lu les analyses sur la postmodernité, l’ultramodernité, ou ce que j’appelle, moi, la modernité tardive. C’est l’idée que l’on ne peut plus avoir confiance dans le progrès comme au temps des Lumières. A l’époque, la science et ses applications promettaient d’améliorer la vie sur terre. Aujourd’hui, elles sont accusées de mettre en danger la planète. Combiné au déclin des grandes idéologies, cela entraîne une montée des incertitudes. Du point de vue de la prise en compte de cette réalité, Sarkozy et ses conseillers ont plusieurs métros d’avance sur le PS. Si on ne comprend pas cela, on ne prend pas la mesure du défi que le chef de l’Etat lance à la gauche. Mais lui s’en sert au profit d’une tentative néocléricale de re-liaison du religieux et du politique, d’instrumentalisation du religieux par le politique.

  • Cela justifie-t-il des critiques aussi sévères sur la laïcité ?

La morale laïque est une morale commune. Elle n’a pas à être totalisante ni complète. Seules les sociétés totalitaires ont tenté de faire croire qu’elle pourrait répondre à toutes les aspirations de l’homme. Des individus peuvent estimer qu’elle est insuffisante. Libre alors à eux de rechercher volontairement une morale plus exigeante. Comparer morale laïque et morale religieuse, c’est confondre deux plans. De même quand Sarkozy dit que l’instituteur ne sera jamais à la hauteur du curé ou du pasteur.

  • Et l’insistance du Président à rappeler les « racines chrétiennes » de la France ?

Cette hypertrophie des racines privilégie le passé aux dépens de la dynamique et du mouvement. J’y vois une forme d’intériorisation de l’impuissance du politique, à l’égal des lois mémorielles votées par le Parlement. Le politique s’occupe de choses qui ne le concernent pas.

  • Sarkozy s’aventure-t-il sur un terrain qui ne devrait pas être celui d’un président de la République ?

Il fait de la religion une dimension obligatoire de l’être humain. C’est une option philosophique que n’a pas à avoir un président de la République. A ma connaissance, aucun de ses prédécesseurs n’est allé aussi loin. Personnellement, je suis protestant mais je dénie à l’Etat le droit de croire à ma place.

Jean Bauberot

La laïcité à la française : une bonne façon de vivre ensemble.

Dans le discours de Latran, le président Sarkozy a l’air de penser que la laïcité à la française constitue désormais un obstacle à ce qu’il nomme, d’un trait trop rapide, le besoin de « transcendance ». On le sait : tant le fond religieux européen, qui refait surface dans le contexte de la construction européenne, que la présence nouvelle de l’Islam font tanguer le modèle laïc. Faut-il pour cela y renoncer ? Et si, au contraire, ce modèle était, plus que jamais, la meilleure manière de répondre aux défis qui se posent à la République ? Où alors va-t-on nous inventer par décret une nouvelle « transcendance » ? Au moins, Monsieur le Président, souffrez que l’on défende, comme partie civile, ce procès instruit par de si hautes instances religieuses depuis toujours et désormais défendu par de brillants avocats… Il suffit de regarder autour de soi pour comprendre qu’il est très dangereux de jouer avec ces choses-là : partout les intégrismes et les confessionnalismes d’exclusion provoquent des désastres. Plus que jamais, l’idée d’un espace public laïc, qui respecte croyants et non-croyants, constitue l’horizon indépassable de la liberté de conscience.

Sami Naïr  [5]

Concluons : « Nicolas Sarkozy a poussé le goupillon un peu loin ! »  [6]

Notes

[1Un pays où « un homme et une femme ne sont autorisés à sortir ensemble en public que s’ils ont des liens familiaux. » ...

Référence : voir l’onglet “sécurité” de la page suivante du site du ministère des affaires étrangères.

[2[AFP 18.01.08] Henri Guaino, conseiller spécial du président de la République, a qualifié vendredi d’« opération de désinformation » la façon dont les journalistes ont rendu compte des propos de Nicolas Sarkozy sur la religion à Rome et à Ryad.

[...] Le conseiller de Nicolas Sarkozy a aussi fait valoir que le discours de Ryad « répondait à un impératif politique » soulignant le rôle que « joue aujourd’hui la monarchie saoudienne et l’Arabie saoudite dans la stabilité du monde, dans la paix du monde, dans les rapports entre l’occident et l’islam ».

« Ce sont des rapports essentiels parce que si demain nous avons une guerre de religion et de civilisation entre l’islam et l’occident, ce sera une catastrophe absolue pour la civilisation », a-t-il dit.

[3Marc Chevanche écrit dans l’édition du 18 janvier 2008 de Var-Matin :« On savait que Nicolas Sarkozy avait quelques problèmes avec la distinction vie publique, vie privée. Il semble avoir autant de difficultés à identifier ce qui revient à l’autorité qu’il incarne et ce qui relève du for intérieur. »

[4Le blog de Jean Bauberot : http://jeanbauberotlaicite.blogspir....

[5Extrait de « Quelle “politique de civilisation” ? », par Sami Naïr professeur de sciences politiques à l’université Paris-VIII, article paru dans Libération, le 18 janvier 2008

[6Jacques Camus dans La République du Centre, le 18 janvier 2008.


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