Samedi dernier 21 août, la préfecture des Alpes-maritimes a fermé l’esplanade située au-dessus du parking du Paillon où les demandeurs d’asile avaient trouvé refuge dans 27 tentes installées par les militants associatifs dans la nuit de vendredi dernier.
« Les demandeurs d’asile n’ont plus où aller, une fois de plus », s’indigne Michel Abada de l’association des Don Quichotte.
« Il s’agit de demandeurs d’asile qui fuient leur pays en guerre et qui ont des droits en tant que tels dans notre pays » précise Agnès Braillon, responsable diocésaine de la pastorale des migrants [1].
Des mesures que les autorités ont justifiées ce week-end :
« L’Etat ne laissera pas s’établir, où que ce soit dans le département, des campements illicites », a réagi le préfet, Francis Lamy.
« Il s’agissait d’une occupation illégale du domaine public, ce qui ne peut être toléré », a renchéri le maire, Christian Estrosi.
Tandis que le président du conseil général, Eric Ciotti, dénonçait « une tentative honteuse d’exploitation de la misère humaine par certaines associations (...) qui ne font qu’aggraver les situations. » [2]
Demandeurs d’asile : retour à la case départ
par Christophe Cirone, Nice matin, 20 août 2010
« Notre situation ? Elle parle d’elle-même ! Regardez : on n’a ni toit, ni douche, ni toilettes. Rien... »
8 h 30 du mat’ sur le toit du parking du Paillon. Un petit Babylone au coeur de Nice, où se croisent les destins chaotiques de dizaines de migrants. Le ressortissant soudanais qui désigne ces lits d’infortune traduit le moral des troupes : désabusé. L’impression de vivre une galère sans fin.
« Le parking », comme ils l’appellent, c’est retour à la case départ pour nombre d’entre eux. Là où s’est révélée au grand jour, il y a près d’un an, la problématique de l’accueil des demandeurs d’asile. Là où ces Soudanais, Erythréens, Tchadiens ou encore Tchétchènes sont revenus faute de mieux, l’Etat ayant cessé de les héberger. Là où les services municipaux ont mené une opération de nettoyage le 11 août. Le parquet de Nice étudie actuellement la plainte contre X déposée par les associations à l’issue de cette « opération ».
« Pas de futur »
« La police a pris nos affaires et nous dit de ne pas dormir ici. Il n’y a pas de futur ! Pas de place pour les immigrants en France, pour les blacks... On est traités comme des animaux », s’emporte un jeune Nigérian qui dit avoir passé neuf mois dans la rue. Abdelazim, lui, erre à Nice depuis deux ans et demi. Et finit par en rire, au fond de son sac de couchage : « Pourquoi on dort pas au Negresco ? »
Ironie et colère froide. Résignation et ténacité. C’est le cocktail servi au p’tit-dej’ avant-hier, sur l’esplanade baignée de soleil.
La peur des vols
Venu en visiteur, Michel Abada, des « Don Quichotte », espérait que la récente manif’ place du Palais « leur aurait donné un coup de fouet ». Même pas, soupire Abdallah. « Ça va pas, franchement ça va pas. Avec le changement de climat la nuit, on est tous enrhumés. Et puis, suivre le Ramadan quand on vit dans ces conditions-là, c’est dur... »
Ces conditions-là ? C’est un sac de couchage offert par le Secours catholique. Un carton disloqué en guise de matelas. Une piste d’athlétisme où ils dorment par petits groupes – « chacun s’installe comme il peut, pour le mieux ». Et quelques affaires dont ils ne se séparent jamais : même la précarité attire les voleurs.
Au lever du soleil, ils vont se doucher à l’accueil de jour. Au crépuscule, ils partagent le repas de rupture du jeûne pour lequel tous ont cotisé. Pas de quoi faire chauffer les plats. Ils reçoivent en revanche le soutien d’anciens demandeurs d’asile, qui leur apportent le souper.
« Prêt à partir »
Au petit matin, on croise encore Magomed Takhayev, Tchétchène de 24 ans, tout juste débouté par la préfecture. Il craint d’être renvoyé et incarcéré en Pologne. Ou pire : en Russie, pays qu’il a combattu. Alors il vit séparé de sa femme et ses deux enfants, pour éviter que tous ne soient interpellés, en se raccrochant à l’espoir d’une régularisation à titre humanitaire. Magomed a erré toute la nuit avec Deni. Ils ont les traits tirés, les yeux terriblement fatigués. Tout comme les sept Afghans qui émergent de leur sommeil, allongés sur une grille d’aération ou à l’ombre d’une table de ping-pong. D’autres naufragés de la guerre. « Je préférerais être mort dans mon pays que vivre ici, finit par lâcher un Soudanais de 42 ans. Là, je souffre, je suis malade. J’aime Nice, mais je suis prêt à partir... » Le problème est : où ? Si ces migrants se sentent indésirables sur une Côte d’Azur aux capacités d’accueil saturées, aucun n’a pour l’heure tenté sa chance ailleurs. Et les associations envisagent de nouvelles actions pour interpeller les autorités.
- En quelques instants un alignement de tentes Quechua s’est déployé, autour d’un terrain omnisports cerné de barreaux. (Ph. Richard Ray)
Un campement de migrants s’est installé en centre-ville de Nice
par Christophe Cirone, Nice matin, 21 août 2010
Hier soir, une trentaine de tentes ont été déployées au-dessus du parking du Paillon. Pour abriter les demandeurs d’asile et alerter les autorités
Plusieurs jours qu’ils y songeaient. Ils l’ont fait. Hier soir, les militants associatifs mobilisés auprès des demandeurs d’asile ont soudain décidé de passer à l’action. Après s’être cotisés pour acheter trente tentes, ils ont installé un véritable campement en plein cœur de Nice. A l’heure où le thème de l’immigration agite la scène politique, la cinquième ville de France vit un nouveau rebondissement dans un dossier chaotique : l’accueil des migrants.
Hier donc, 21 h 30. Retour sur le toit du parking du Paillon, petit Babylone auquel nous consacrions un reportage le jour même. Ambiance surréaliste. Un rai de lampe torche balaie le terrain omnisports en synthétique, cerné de hautes barrières. Les acteurs associatifs et quelques demandeurs d’asile commencent à déployer des tentes rouges Quechua. Une, deux, puis quinze, puis une petite trentaine. Quelques instants ont suffi. Après l’offensive médiatique des Enfants de Don Quichotte fin 2006, la précarité s’est aménagé un nouvel abri de fortune dans la capitale azuréenne.« Pour qu’on nous voie »
Mais cette fois-ci, les occupants sont bien différents. Eux viennent du Soudan, d’Erythrée, du Tchad, de Tchétchénie, d’Afghanistan, d’Iran. Ils fuient la guerre. Et ils sont à la rue depuis fin juillet, à nouveau, parce que l’Etat ne parvient plus à les héberger comme il doit le faire en théorie.
Alors voilà ces tentes, faute de mieux. « Ça va permettre de se protéger contre la pluie, se félicite Abdallah, du Soudan. C’est beaucoup mieux pour nous. Hier [jeudi], c’était très dur. » Son compatriote Adil voit là un autre avantage : « C’est génial, ça amène les médias ! Pour que la population niçoise sache qu’on est là, et qu’on n’a pas respecté nos droits. »« Objectif humanitaire »
Mais Gérard Vincent, du Secours catholique, insiste sur ses intentions : « Notre premier objectif est humanitaire. On donne un abri à des gens qui n’en ont pas, qui ont été mis à la porte des hôtels sans ménagement. Après, on espère que ça va faire bouger les choses... même si ce n’est pas dans l’air du temps. »
Neuf jours après l’opération de « nettoyage » menée par les services municipaux au même endroit, le symbole est forcément fort. Voire provocateur. Bernard Neuville, de Vie et Partages, remarque la dimension « métaphorique des barreaux », qui évoquent à ses yeux un centre de rétention.
Et maintenant ? Combien de temps ces tentes peuvent-elles subsister en ce lieu certes peu passant, mais si central ? Les associations ont prévu de s’y relayer. « Mais on aimerait que cette situation ne perdure pas », souffle Michel Abada, des Don Quichotte. Pour l’heure, chacun s’attend à voir débarquer la police. Avec fatalisme, à l’image d’Adil : « La police a tous les pouvoirs ; nous, on n’a rien. »
Migrants à Nice : les autorités dénoncent un "campement illicite"
par Christophe Cirone, Nice matin, 22 août 2010
Des tentes pour les demandeurs d’asile en centre-ville : dès hier, maire et préfet ont réagi à cette offensive humanitaire et médiatique
« Illicite »
La réaction des autorités n’a pas tardé. C’était, en grande partie, le but recherché. Vendredi soir, des militants associatifs déployaient une petite trentaine de tentes sur le toit du parking du Paillon, en plein centre de Nice, pour les demandeurs d’asile réfugiés là depuis fin juillet. Dès hier, par voie de communiqués de presse, le maire Christian Estrosi a condamné cette initiative, à l’unisson du préfet des Alpes-Maritimes, Francis Lamy. Pourtant, hier midi, surprise : plus la moindre trace du campement établi la veille, sur un terrain omnisports, à l’abri des regards. Migrants et associations
[3] avaient tout remballé au petit matin, pour quitter l’esplanade et y revenir le soir. Comme à l’accoutumée.Mais cette fois, à leur retour, ils ont trouvé portes closes. A 19 h 30, des policiers municipaux étaient de faction sur la terrasse, tandis que les agents de nettoiement de la communauté urbaine Nice Côte d’Azur jetaient cartons et couvertures dans un camion-benne, sous le regard désemparé de quelques migrants. Ceux-ci ont toutefois pu récupérer leurs effets personnels, avant de réfléchir à un plan B pour dormir. Les tentes, elles, se trouvaient en lieu sûr.
« Il fallait ces abris »
Coup d’arrêt pour l’offensive médiatico-humanitaire. Reste qu’elle n’est pas passée inaperçue, à l’heure où le mot « immigration » fait la Une de l’actualité. A fortiori dans les A.-M. où « dix campements illicites ont été évacués ces quatre dernières semaines », selon le préfet. Pour le ministre-maire UMP de Nice, il y avait là « occupation illégale du domaine public », ce qui « ne peut être toléré. Je ne peux accepter que, dans ma ville, des êtres humains vivent dans de telles conditions d’insalubrité et que leur santé, comme celle des riverains, puisse être mise en danger. »
Mais Bernard Neuville et Michel Abada, aux avant-postes de cette occupation, en rappellent les prémices : « Ces derniers jours, les demandeurs d’asile dormaient éparpillés sur la terrasse ou sur les plages. Ils avaient pour couche un carton et des couvertures de fortune. (...) Il fallait ces tentes, alors que les premières pluies avaient déjà provoqué un repli dans le parking. » Une sorte d’hébergement d’urgence, donc, puisque la Côte d’Azur n’est plus en mesure d’en offrir à ces ressortissants soudanais, érythréens, tchadiens ou tchétchènes.
« Tentative honteuse »
Francis Lamy ne conteste pas la « saturation du dispositif d’hébergement ». Mais il prévient : « L’Etat ne laissera pas s’établir, où que ce soit dans le département, des campements illicites. » Dès lors, préfet et maire ont donné instruction aux forces de l’ordre afin que « pareille occupation ne se reproduise pas. » Et ensuite ? Tandis que les associations réfléchissaient aux suites à donner à leur action, c’est le président du conseil général qui s’est exprimé à son tour. Eric Ciotti, par ailleurs rapporteur de la loi sur la sécurité intérieure en tant que député, a dénoncé « une tentative honteuse d’exploitation de la misère humaine par certaines associations (...) qui ne font qu’aggraver les situations ».
[1] « L’interminable errance des demandeurs d’asile », par Yann Delanoë, Nice matin le 25 août 2010.
[2] Voici ce qui figure sur le blog d’Eric Ciotti, à la date du 23 août 2010 :
Clandestins : refuser l’exploitation de la misère humaine
Ce week-end, au coeur de Nice, des associations ont installé des tentes de manière illégale pour abriter des « sans-papier ». Des tentes que les forces de police ont démonté dès samedi soir. Eric CIOTTI tient à dénoncer la tentative honteuse d’exploitation de la misère humaine par certaines associations. En encourageant des personnes « sans papier » à occuper illicitement un terrain en centre ville ces associations ne font qu’agraver leurs situations. Les étrangers en situation irrégulière fraudent la loi et ils doivent être reconduits à la frontière. Quant aux demandeurs d’asile qui sont rentrés par un autre pays de l’Union Européenne, ils doivent être traités dans le pays de l’Union Européenne qui leur aura ouvert la porte en premier.
[3] Le Secours catholique, le CCFD, les Don Quichotte de Nice, la Pastorale catholique des migrants, l’ADN, Vie & Partages, Habitat & Citoyenneté, le COVIAM, la CIMADE et RESF 06, avec le soutien du NPA.