Le 5 juin 2004, l’Elysée reçoit les Présidents américain Georges Bush et russe Vladimir Poutine. A cette occasion, il est important de rappeler et dénoncer la situation en Afghanistan, Irak, Tchétchénie, ou sur la base de Guantanamo Bay à Cuba, qui sont le théâtre d’exactions, et de torture notamment perpétrées par les forces militaires américaines ou russes.
L’histoire a montré que le sentiment de légitimité et surtout d’impunité favorisait l’usage des sévices à l’encontre des prisonniers ou de la population civile. Il est donc indispensable que le Chef des armées donne des ordres clairs sur ce sujet et fasse savoir sans ambiguïté que ceux qui ne les appliqueraient pas seront poursuivis et condamnés.
C’est pourquoi l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Amnesty International, l’Association pour les victimes de la répression en exil (AVRE), la Conférence Française des Supérieures Majeures (CSM), Justice et Paix-France, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Médecins du monde (MDM) et Primo Levi viennent d’écrire au Président de la République pour lui demander de rappeler solennellement que la torture et toute autre forme de traitements cruels, inhumains ou dégradants sont des pratiques inacceptables et interdites en toutes circonstances, y compris pour lutter contre le terrorisme.
à Monsieur Jacques CHIRAC,
Président de la République,
Paris, le 2 juin 2004
Monsieur le Président,
La condamnation des tortures commises en Irak par des soldats de l’armée des Etats-Unis a été unanime.
Le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Michel Barnier, a ainsi déclaré : « Ces sévices, je les ai qualifiés immédiatement de déshonorants et d’indignes » [1].
De même, le chef d’état-major des armées françaises, le général Bentégeat, a qualifié la torture « d’acte non seulement abominable mais également contre-productif » [2].
Ces déclarations s’imposaient.
Mais, pour éviter que de tels actes soient à nouveau commis, il nous semble nécessaire que la plus haute autorité de l’Etat rappelle solennellement que la torture et toute autre forme de traitements cruels, inhumains ou dégradants sont des pratiques inacceptables et interdites en toutes circonstances.
Tous doivent savoir sans ambiguïté que ce sont des crimes et que ceux qui y auraient recours (que cela leur ait ou non été ordonné), tout comme ceux qui les y inciteraient, seront poursuivis et condamnés.
Une telle déclaration ne ferait que reprendre les termes des engagements internationaux que la France a ratifiés
[3]
et s’inscrirait dans le droit fil de votre discours du 30 mars 2001 à la tribune de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies. Vous y disiez : « Tous les observateurs confirment la persistance et l’étendue de la torture comme pratique légale ou de fait. Au-delà des souffrances infligées, rien n’est plus révoltant que cette volonté de dégrader et d’humilier l’Homme. »
Ce qui est ici en jeu, au-delà des jugements qui peuvent être portés sur les méthodes employées en Irak, c’est l’affirmation pour les générations futures que la torture ne peut jamais être une pratique banale qui trouverait sa légitimité au nom d’une supposée efficacité.
En tant que Président de la République, vous êtes le chef des armées. Nous espérons qu’au nom de la France vous voudrez proclamer ce message.
Ce rappel de la prohibition absolue de la torture pourrait avoir lieu le 26 juin prochain, journée internationale de soutien aux victimes de la torture.
Dans cette attente, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de notre haute considération.
Sylvie BUKHARI-de PONTUAL -
Présidente de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture ACAT-France
David FRIBOULET -
Directeur de la Section française Amnesty International
Hélène JAFFE -
Présidente de l’Association pour les Victimes de la Répression en Exil AVRE
Sœur Anneth GILLET - Secrétaire Générale de la Conférence Française des Supérieures Majeures CSM
Monseigneur François MAUPU -
Président de Jusice et Paix-France
Michel TUBIANA - Président de la Ligue des Droits de l’Homme LDH
Françoise JEANSON -
Présidente de Médecins du Monde MDM
Hubert PREVOT -
Président de Primo Levi
[1] Michel Barnier, « Le Monde », 14 mai 2004
[2] Général Bentégeat, « Europe 1 », 9 mai 2004
[3] Principaux textes internationaux :
Déclaration universelle des droits de l’homme, Article 5, 10 décembre 1948
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Article 7, 16 décembre 1996
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Article 2, 10 décembre 1984
Conventions de Genève relative aux traitement des prisonniers de guerre, article 13, 12 août 1949
Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Article 3, 4 novembre 1950
Convention Européenne pour la prévention de la torture, 26 novembre 1987