Michèle Alliot-Marie, le respect de la loi et de ceux qui incarnent les institutions


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : mercredi 1er septembre 2010
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Dans une tribune publiée dans Le Figaro du 22 août 2010, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice, nous rappelle que « en France, la loi doit être respectée par chacun, quelle que soit son origine, sa religion, son statut social », et en appelle au « respect des institutions » et «  de ceux qui les incarnent ».

Si elle avait poursuivi son raisonnement, la ministre aurait fait remarquer que ceux qui incarnent les institutions ne sont respectables que dans la mesure où eux-mêmes respectent la loi. C’est d’ailleurs la limite au devoir d’obéissance aux ordres qui figure dans le Code de déontologie de la police nationale.

Le respect de la loi commence avec celui de la Constitution et notamment de son premier article : « La France [...] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Un article que Nicolas Sarkozy semble avoir oublié quand, dans son discours de Grenoble le 30 juillet dernier, il a mis en cause les « Français d’origine étrangère ».

La tribune de Michèle Alliot-Marie mettant en cause le Bâtonnier Charrière Bournazel, nous reprenons ci-dessous le point de vue publié par ce dernier dans Le Monde du 31 août 2010 [1].

[Mise en ligne le 24 août 2010 à 14h05, mise à jour le 1er septembre]



Code de déontologie de la police nationale

Article 17 [2]

Le subordonné est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si le subordonné croit se trouver en présence d’un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses objections à l’autorité qui l’a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu’il attache à l’ordre litigieux.

Tribune de Michèle Alliot-Marie [3]

Il n’est pas de société sans règles

Il n’est pas de démocratie sans respect des règles inscrites dans les lois votées par les élus du peuple.

Il n’est pas de République sans respect de l’autorité qui assure l’obéissance aux lois.

La sécurité est au cœur de l’actualité de l’été, avec le rappel ferme par le président de la République de son refus de la violence, de la violation du droit de propriété, des trafics divers, des agressions contre les forces de l’ordre.

On est souvent surpris des commentaires et polémiques sur une évidence démocratique : la loi doit être respectée par tous, sa violation doit être sanctionnée, la réitération de la violation prévenue et empêchée.

Si ces attaques relèvent souvent de la mauvaise foi politicienne banale ou de la provocation populiste de certains médias, elles sont aussi l’occasion de réfléchir sur les conditions de notre vie en commun, sur notre adhésion aux principes de la République, et sur nos comportements personnels.

Les mises en cause de toute autorité et de tous ceux qui incarnent l’autorité se multiplient : injures, jets d’objets ou de pierres, voire tir à l’arme de guerre contre les policiers ou les gendarmes, mais aussi agressions contre les conducteurs de bus qui y symbolisent pour certains l’autorité. Certes, ces comportements sont très minoritaires, mais ils se banalisent.

D’où la nécessité à la fois de sanctionner mais aussi d’expliquer et de démontrer la nécessité des règles qui empêchent que règne la seule loi du plus fort.

D’où le besoin d’une attention particulière et d’une action déterminée envers les populations les plus fragiles pour leur démontrer que le respect de la loi et de l’autorité, c’est la garantie du mode de vie auquel elles aspirent.

D’où l’exigence que la loi qui crée les aires de passage, le règlement qui exclut le tutoiement par les policiers, la règle de bon entretien des HLM soient parallèlement bien mis en œuvre.

Mais la contestation de l’autorité n’est pas l’apanage des cités. Paradoxalement, elle est aussi le fait de certaines élites qui, par démagogie, populisme ou égoïsme, contestent qui l’autorité de la loi, qui celle des institutions, qui le président de la République.

Comment expliquer à ces jeunes de quartiers difficiles le respect dû à la loi et à la police quand un bâtonnier appelle à la désobéissance civile contre un texte qui lui déplaît, quand tel artiste, au nom de sa « créativité », incite ses fans au meurtre de policiers, quand tel patron de presse pour doper ses ventes ne trouve meilleure une qu’une insulte au président de la République, quand tel député compare l’évacuation par les forces de l’ordre d’une propriété occupée illégalement aux rafles sous l’Occupation. Au-delà de l’outrance, je vois dans toutes ces attitudes l’oubli des fondements mêmes du pacte républicain. En France, la loi doit être respectée par chacun, quelle que soit son origine, sa religion, son statut social : la propriété est protégée par la loi. Cette réalité s’impose aux gens du voyage comme à tout citoyen. La dignité des femmes est garantie par la Constitution quelle que soit la religion ou la coutume du pays d’origine, d’où l’interdiction de l’excision et du voile intégral. La protection sociale est assurée sur des critères identiques, d’où la lutte contre les fraudeurs qui détournent des prestations à leur profit mais au détriment de ceux qui en ont besoin et de ceux qui cotisent.

Garantir l’application républicaine de la loi implique le respect de ceux qui ont en charge sa mise en œuvre : police, justice, mais plus largement Parlement, gouvernement, et a fortiori président de la République.

Ce qui affaiblit l’autorité de l’une ou de l’autre de ces institutions affaiblit la République.

Le respect des institutions, c’est aussi le respect de ceux qui les incarnent.

Qu’on exige d’eux un souci scrupuleux de la loi, et même une éthique particulière dans l’exercice de leurs missions, est normal.

Que certains les poursuivent d’une vindicte personnelle en raison de leur fonction et mènent une véritable chasse à l’homme révèle au-delà d’une volonté de détruire un homme, son couple ou sa famille, une arrière-pensée plus fondamentale de contestation systématique de toute autorité qui n’est pas la leur.

Vivre ensemble, c’est respecter les règles de la société, c’est aussi savoir respecter l’autre, qu’il soit simple citoyen, ministre ou président de la République.

C’est admettre que l’homme politique peut avoir ses imperfections, mais celui qui le critique doit aussi être lucide sur les siennes.

C’est surtout faire preuve de modération et d’objectivité quand on porte un jugement sur autrui.

C’est admettre que celui qui ne partage pas nos opinions peut agir par idéal, envie de bien faire, aspiration à faire progresser le bien commun.

Ce respect de l’autre, c’est l’éthique de la politique, c’est l’éthique de la République.

Michèle Alliot-Marie


De la légalité des expulsions de Roms

Michèle Alliot-Marie insiste sur le respect dû à la loi. Peut-on lui faire remarquer que la Commission européenne, elle-même, ne semble pas convaincue a priori de la légalité au regard de la loi européenne des procédures suivies par les autorités françaises pour expulser des dizaines de Roms vers la Roumanie ou la Bulgarie. On pouvait en effet lire le 18 août dernier sur le site du Figaro [4] :

À la veille de l’expulsion prévue de 79 Roms vers la Roumanie et la Bulgarie, la légalité de la procédure suscite en particulier un concert de réserves. La Commission européenne a ainsi rappelé mercredi à la France qu’elle « doit respecter les règles » concernant la liberté de circulation des citoyens européens. Son porte-parole, Matthew Newman, a reconnu que les États européens avaient la possibilité de la restreindre à certaines conditions, mais il a averti que la Commission suivrait la situation « très attentivement » pour vérifier si toutes se passent conformément au droit européen.

Une rage sécuritaire insupportable

[Point de vue de Christian Charrière-Bournazel
publié dans Le Monde du 31 août 2010]


Les Français se sont réjouis de la décision du Conseil constitutionnel, le 30 juillet, déclarant plusieurs articles de lois inscrits dans le code pénal contraires à notre Constitution en ce qu’ils portent atteinte aux libertés fondamentales et aux droits de la défense.

La chancellerie, qui n’avait rien fait pour rendre nos gardes à vue conformes au droit européen issu des arrêts de la Cour de Strasbourg, allant jusqu’à prétendre qu’ils ne s’appliquaient pas à la France, a osé dire publiquement que cet arrêt confirmait la pertinence de son projet de réforme de la procédure pénale. C’est faux. Le projet est pire que les lois actuellement en vigueur telles que vient de les condamner le Conseil constitutionnel !

Madame la ministre d’Etat, "ministre de la justice et des libertés", a écrit qu’"il n’est pas de démocratie sans respect des règles inscrites dans les lois votées par les élus du peuple" (Le Figaro du 23 août). Certes ! Sauf si la loi est injuste parce que contraire aux normes juridiques inscrites dans la Constitution, dans les Déclarations des droits de la personne humaine, dans les conventions et les jurisprudences internationales auxquelles s’est soumis notre pays.

Un député socialiste, il y a trente ans, avait proclamé, du haut de la tribune de l’Assemblée, à l’intention de l’opposition, de droite à l’époque : "Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires." Cette phrase avait été conspuée comme particulièrement choquante : elle revenait à nier qu’existe un ordre du droit supérieur aux fluctuations politiques et à l’alternance des majorités ; qu’un Etat ne demeure démocratique que s’il s’y conforme puisque cet ordre est fondé sur le respect de la personne humaine comme source et finalité de toute loi. Antigone opposait à la loi de Créon celle des dieux à laquelle il aurait dû se soumettre.

La Révolution de 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont bouleversé l’ordre des pouvoirs : le roi a cessé d’être le mandataire de Dieu pour devenir le mandataire du peuple. Enfin est née la civilisation des droits de la personne humaine grâce à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, reprise par la Déclaration européenne du 4 novembre 1950 et complétées, l’une et l’autre, par quantité de pactes internationaux, jusqu’à la Convention de Rome de 1998 instituant une Cour pénale internationale (CPI) devant qui sont appelés à comparaître tous les auteurs de crimes de guerre, de génocides ou de crimes contre l’humanité, y compris les chefs d’Etat en exercice.

Charge grossière

Le propos de la garde des sceaux est, en réalité, un long apologue de la politique sécuritaire du gouvernement. Il peut, sans être dénaturé, se résumer ainsi : ceux qui critiquent le gouvernement sont les complices des voleurs, des trafiquants et des agresseurs de policiers. Cette charge grossière doublée d’un amalgame est indigne d’une ancienne chargée de conférences à l’université de droit et titulaire de plusieurs doctorats.

Je suis navré de constater une telle perte de sang-froid de la part d’une grande dame qui occupe et a occupé d’éminentes fonctions. Je serais horrifié qu’elle ait pensé un seul instant les phrases qu’elle a signées.

Notre société a un évident besoin de sécurité, surtout dans ses composantes les plus démunies et les plus faibles. Le respect de l’autre, en effet, doit être enseigné dès le plus jeune âge, dans le cercle familial et à l’école. Mais on ne saurait exiger de l’autre le respect si l’on ne commence par le respecter lui-même.

Peut-on considérer qu’ont été respectés des citoyens européens bénéficiant du traité de 1957 instituant la Communauté européenne et de tous ses pactes et protocoles successifs leur assurant la libre circulation dans les vingt-quatre Etats de l’Union, au moment où ils ont été renvoyés brutalement dans leur pays d’origine ?

Peut-on assimiler au respect dû à toute personne humaine le spectacle de femmes et d’enfants, que la misère avait contraints à s’expatrier, réduits à supplier la collectivité qu’on mette à leur disposition un terrain viable, comme la loi l’exige ?

Est-il admissible, au regard de la civilisation des droits de la personne humaine, d’assimiler toute une communauté à quelques-uns de ses membres, auteurs de délits, comme s’il existait une responsabilité collective ?

Le rappel de notre passé n’est pas injurieux, il est nécessaire : dans les années 1930, près de 250 000 ressortissants de pays d’Europe de l’Est ont fui les pogroms, les persécutions et les discriminations pour trouver refuge en France. La plupart n’avaient pas un sou, parlaient à peine ou ne parlaient pas notre langue.

Ni les gouvernements d’avant 1936, ni celui du Front populaire n’ont envisagé une seconde de les renvoyer dans leur pays d’origine. Ils venaient de Pologne, de Roumanie, de Hongrie. Nombre de leurs descendants font aujourd’hui honneur à la France. Je ne puis supporter l’idée que la France, aujourd’hui et demain, fasse honte à celles ou ceux de ces gens du voyage, venus d’Europe de l’Est, dont le fils ou le petit-fils sera peut-être un jour président de notre République.

Christian Charrière-Bournazel
Bâtonnier du barreau de Paris
Président de la commission juridique de la Licra.



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