Laurent Mucchielli pointe la responsabilité de Nicolas Sarkozy dans la réussite au moins partielle de la stratégie de dédiabolisation du FN. Le sociologue appelle tous les humanistes et tous les progressistes à s’unir pour dénoncer « les conceptions régressives de la nation et de la citoyenneté françaises, pour pourfendre l’hypocrisie de ces discours soi-disant devenus respectables et pour marteler que c’est d’abord et avant tout dans les mécanismes d’exclusion économique, sociale et scolaire que se trouvent les racines des principaux problèmes de la société française. »
Texte repris du blog de Laurent Mucchielli Délinquance, justice et autres questions de société
où il a été publié le 27 avril 2012.
C’est un fait, avec 6,4 millions de voix Marine Le Pen vient d’obtenir presque 18 % des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle. Mais cela ne justifie pas qu’elle occupe le centre des commentaires de la vie politique, ni que l’on victimise ses électeurs comme beaucoup s’y emploient depuis quelques jours.
D’abord ce score n’est pas le « coup de tonnerre » que certains prétendent, montrant qu’ils ont la mémoire courte. Jean-Marie Le Pen avait fait 14% aux élections présidentielles de 1988, 15% en 1995 et presque 17% en 2002 avec 4,8 millions d’électeurs, arrivant en deuxième position de l’élection un certain 21 avril (et augmentant encore son score au deuxième tour avec près de 18% des suffrages exprimés et 5,5 millions d’électeurs). De ce point de vue, 2007 apparaît comme une exception et 2012 comme la suite d’une dynamique enclenchée depuis le milieu des années 1980. Progression, certes, mais certainement pas coup de tonnerre.
Ensuite, s’il est évident que la stratégie électorale de Marine Le Pen a consisté à tenter de « dédiaboliser » son parti, nous ne sommes pas obligés de faire nôtre cette stratégie ! Faut-il rappeler que, le 27 janvier dernier, la présidente du FN était invitée à Vienne par le FPÖ, le parti autrichien d’extrême-droite, qu’elle y a rencontré le théoricien néo-nazi Martin Graf et qu’elle y a participé au bal des corporations pangermanistes à la table du leader de ce parti, Heinz-Christian Strache ?! On conseillera à ceux qui ont là aussi la mémoire courte de se procurer le livre de Claire Checcaglini paru le 27 février dernier : Bienvenue au Front. Journal d’une infiltrée. Pour faire ce livre, la journaliste a intégré anonymement la fédération des Hauts-de-Seine du Front national pour voir comment fonctionnait ce parti. Elle montre que la xénophobie et l’islamophobie sont le ciment du militantisme FN, et que le racisme et l’antisémitisme n’y ont jamais totalement disparu. Alors de grâce ne tombons pas dans le panneau ! La façade a été repeinte, mais à l’intérieur le FN reste le FN. On comprend que l’héritage idéologique soit encombrant (le pétainisme, l’Algérie française...) et il est probable qu’une partie des électeurs l’ignorent, mais il est toujours présent dans le parti politique.
Les électeurs du FN n’ont pas le monopole de la souffrance !
Enfin, il n’y a aucune raison de victimiser les électeurs du FN pour mieux justifier de les courtiser en les caressant dans le sens du poil. Ce discours dominant dans l’espace politico-médiatique de ces derniers jours est insupportable. Les électeurs du FN n’ont pas le monopole de la souffrance ! Ce n’est du reste pas chez les chômeurs que Marine Le Pen a fait ses plus gros score mais chez les ouvriers et les artisans-commerçants. Et quand bien même elle fait 30 % chez les ouvriers, 70 % de ces derniers n’ont donc pas voté pour elle. La crise ne justifie pas que l’on devienne raciste, pas plus que le fait d’avoir été victime d’un acte de délinquance. Il faut au contraire combattre résolument ce genre d’amalgames et de pseudo-explications. Combattre sans répit et avec la plus grande détermination la stratégie du bouc-émissaire qui est celle de l’extrême droite depuis la fin du 19ème siècle. C’était autrefois la faute aux « métèques » italiens ou polonais, c’est aujourd’hui la faute « aux Arabes et aux Noirs ». Le fond du discours n’a jamais changé.
Pour conclure, il faut également dire et redire que si le discours du FN se banalise, c’est aussi parce qu’il a été servi avec une remarquable constance par celui de l’UMP et tout particulièrement par Nicolas Sarkozy et son entourage. Qui a fustigé l’Islam sans relâche, faisant voter des lois sur le voile et la burqa ? Qui a lancé le prétendu « grand débat » sur l’identité nationale, qui a servi surtout d’exutoire à l’islamophobie ? Qui nous a expliqué sans cesse, depuis un certain discours de Grenoble en juillet 2010, qu’il y avait un problème majeur en France avec la « délinquance des Roumains » ? Qui est revenu de Marseille en expliquant qu’il y avait un problème particulier de violence avec l’« immigration comorienne » ? Qui nous a expliqué que « toutes les civilisations ne se valent pas » ? On en passe et des meilleurs. Comment imaginer que ce véritable matraquage n’est pour rien dans la peur et le rejet qui s’expriment à travers un vote FN qui atteint ses plus hauts niveaux dans des villages et des petites villes où l’on ne croise quasiment aucun « immigré » ni aucune femme portant un voile ? Nicolas Sarkozy et son entourage portent une responsabilité majeure dans la réussite au moins partielle de la stratégie de dédiabolisation du FN. Face aux adeptes du bouc-émissaire immigré-musulman, tous les humanistes et tous les progressistes doivent s’unir pour dénoncer ces conceptions régressives de la nation et de la citoyenneté françaises, pour pourfendre l’hypocrisie de ces discours soi-disant devenus respectables et pour marteler que c’est d’abord et avant tout dans les mécanismes d’exclusion économique, sociale et scolaire que se trouvent les racines des principaux problèmes de la société française.