Lasalle, village cévenol aux quinze Justes, accueille des Afghans de la “jungle” de Calais


article de la rubrique les étrangers > les étrangers sont des hommes
date de publication : dimanche 3 janvier 2010
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Dix-neuf demandeurs d’asile afghans, « évacués » de la “jungle” de Calais le 22 septembre dernier, ont été placés en centre de rétention à Nîmes puis libérés par le juge des libertés et de la détention le 28 septembre à minuit. Depuis lors ils sont hébergés à Nîmes dans l’attente d’une décision sur leur demande d’asile [1]. Depuis mardi 22 décembre, dix-huit d’entre eux sont reçus par la population de Lasalle, dans les Cévennes gardoises.

A l’initiative de la communauté protestante et de la municipalité de Lasalle, ils séjournent douze jours, pour les fêtes de Noël, dans un gîte cévenol. « C’est une tradition cévenole d’aider les gens » a déclaré le maire, Henri de Latour. La commune compte en effet 15 Justes, personnes honorées pour l’aide qu’elles ont apportée à des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

[Mise en ligne le 27 décembre 2009, complétée le 3 janvier 2010]



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Photo : Alexis Béthune

Le village aux quinze Justes accueille les Afghans

par T. Dg., Midi libre, 25 décembre 2009


"Quiconque sauve une vie, sauve l’univers tout entier"

Cette phrase résonnait mardi après-midi dans la salle de la mairie de Lasalle. Cette devise du Talmud figure sur la médaille remise par Israël aux Justes, ceux qui ont protégé et sauvé des juifs traqués par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Et Lasalle compte aujourd’hui quinze Justes reconnus, et beaucoup d’autres qui ne sont pas encore recensés alors qu’ils ne sont que 3 000 en France. Un symbole que le maire de Lasalle avait en tête en recevant 18 des 19 Afghans hébergés depuis trois mois à Nîmes. Des hommes, de 19 à 35 ans, interpellés à Calais lors du démantèlement de la tristement célèbre Jungle, ce lieu de transit où les candidats à l’exode en Grande-Bretagne tentaient leur chance.

A l’arrivée des Afghans dans le Gard, des associations comme la Cimade, mais aussi l’ensemble des communautés cultuelles, les ont pris en charge, depuis leur remise en liberté, après leur placement en centre de rétention, dans l’attente d’une décision sur leur demande d’asile politique.

A l’initiative du conseil presbytéral de l’Eglise réformée de France du Val de Salendrinque, à laquelle la municipalité de Lasalle s’est associée, l’idée a germé d’accueillir ces Afghans en gîte, et de leur permettre de souffler un peu en Cévennes, loin des inquiétudes d’une éventuelle expulsion vers leur pays d’origine, toujours en guerre. « C’est la tradition cévenole du devoir de citoyen d’aider les gens qui sont dans le malheur. Dans nos sociétés individualistes, c’est une preuve collective de solidarité, une mobilisation de la population », explique le maire de Lasalle, Henri de Latour. Des principes encore bien ancrés dans le protestantisme qui baigne cette région, pour ceux qui ont été « persécutés pour avoir exprimé leur foi », rajoute Michel Lafont, le président du conseil presbytéral.

Jusqu’au 4 janvier, de nombreuses animations sont prévues : un repas avec la population de Lasalle le jour de Noël ainsi que des soirées, musicales, de débat ou de projection de film, pour mieux connaître le quotidien des Afghans. Ou encore des randonnées. Dans toute la vallée et jusqu’en Lozère , des collectes ont permis de récolter notamment des denrées, afin d’assurer l’intendance pour les douze jours du séjour. Une pause cévenole, avant de retrouver la longue et difficile bataille juridique de l’asile, dans « une affaire très politique où le ministre de l’Immigration s’est impliqué en personne », explique Jean-Claude Nunez, délégué régional de la Cimade. Une affaire très symbolique.

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Photo : Alexis Béthune

« Le retour en Afghanistan signifierait la mort »

Mouhamad Zaman Hossein Khal a 21 ans. Il fait partie des 18 Afghans accueillis à Lasalle pour les fêtes. Ce jeune journaliste était à Calais depuis quatre jours lorsque le démantèlement de la Jungle a été lancé, sous les caméras des médias. « J’étais venu à Paris pour faire une demande d’asile en France et j’avais rejoint Calais, pour ne plus vivre sous les ponts. Je savais que, là-bas, je trouverai d’autres Afghans et que je pourrai être logé », raconte-t-il.

De la Jungle, Hossein Khal en parle comme d’un lieu « qui n’était pas pour les êtres humains » et où il n’y avait pas beaucoup de possibilités de passer en Grande-Bretagne. Il raconte aussi pourquoi il a fui l’Afghanistan, laissant sa famille et son travail de journaliste dans un magazine féminin. « Je suis parti à cause des Talibans. J’étais menacé de mort du fait de mon travail de journaliste. C’est là que les choses ont commencé à mal se passer pour moi », explique le jeune homme.

Comme pour ses camarades, son inquiétude pour l’avenir est omniprésente. « Quand je suis arrivé à Nîmes, au centre de rétention, c’était très difficile car on me disait que j’allais être renvoyé en Afghanistan. Ce qui pour moi signifiait la mort. » C’est grâce à la Cimade notamment qu’il a pu engager des démarches administratives, comme ses camarades, afin de monter un dossier d’asile politique.

Aujourd’hui, Hossein Khal attend de la France « une démarche humanitaire », mais aussi une décision qui ne soit pas arbitraire. « Pour nous, la France est le pays des droits de l’Homme, un pays d’accueil. Nous attendons de voir comment les choses vont évoluer. » D’ici la fin janvier et les premiers dossiers devant l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), les Afghans ont bien l’intention de profiter des Cévennes pour souffler, heureux de cet accueil et de l’aide qui leur est apportée.

Il y a deux mois, deux nouvelles “Justes parmi les Nations” étaient distinguées à Lasalle.

Une mère et sa fille, Justes parmi les Nations

par Caroline Froelig, Midi libre, 22 octobre 2009 [2]


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Médaille des Justes.

La remise de la médaille des Justes, à titre posthume, à Rosa Palon et Hélène Doret a été, hier 15 octobre 2009 à Lasalle, l’occasion d’une cérémonie chaleureuse et emplie d’émotion.
C’est leur petite-fille et fille, Roselyne Ghinea Doret, qui a reçu en leur nom cette distinction destinée aux personnes ayant sauvé des juifs lors de la seconde guerre mondiale. Renée Couque (née Garbowski), cachée entre 1942 et 1945, était présente.

La consule d’Israël à Marseille, Simona Frankel, et Edith Moskovic, déléguée régionale du comité français pour Yad Vashem, ont procédé à la remise de médaille et de diplôme et sont revenues sur sa portée humaine et historique, dans le cadre du devoir de mémoire.

Les élèves de CM2 de l’école de Lasalle sont d’ailleurs venus assister à la cérémonie aux côtés de nombreux Lasallois. Parmi eux, des Résistants, venus rendre hommage à Rosa et Hélène qui avaient également lutté à leurs côtés.

Henri de Latour, maire de Lasalle :

« Notre histoire, liée au protestantisme, nous rapproche des juifs. Nous avons été traités de la même manière en d’autre temps, par le pouvoir. »

Renée Garbowski avait 6 ans quand ses parents prirent la si difficile décision de la mettre à l’abri loin de Paris mais aussi loin d’eux. La gamine reçut un nouveau foyer à l’épicerie de Lasalle, auprès de Rosa Palon et de sa fille, Hélène (couturière). Toutes deux non seulement arrachèrent la petite Renée à la Shoah mais furent aussi des résistantes actives. Des Cévenoles courageuses, héroïques même mais ayant choisi de rester dans l’ombre...

« C’est une démarche normale » [3]

« Lorsque le conseil de l’église réformée de Lasalle a sollicité la mairie pour faciliter l’accueil, pendant les fêtes de fin d’année, de dix-huit réfugiés afghans, la réponse a été immédiate. C’est une démarche normale. Quelle que soit l’idéologie qui nous anime, c’est un réflexe tripal que de ne pas maintenir un homme la tête sous l’eau. Et puis, il y a notre histoire, notre origine cévenole », commente, entre pudeur et fierté, le maire Henri De Latour, 60 ans, élu au printemps 2008 sur un programme faisant la part belle au lien social et au mieux vivre ensemble.

Cinéaste auquel on doit pour le compte de FR 3 le long métrage documentaire l’Asile du droit, qui traitait des souffrances et vexations des réfugiés confrontés à la commission de recours de Montreuil, Henri De Latour est humaniste, protestant et homme de gauche radicale. Un couteau suisse de la solidarité et de la fraternité « qui ne pourrait vivre plus heureux ailleurs qu’à Lasalle, une terre d’exception, un monde civilisé avec des relations pacifiées ». Dès lors, rien d’étonnant qu’au beau milieu de ce bourg de résistance qui a dénommé sa grand-place du nom de Robert Francisque, un valeureux maquisard, la population se soit mise en quatre pour faire honneur à des hôtes ayant fui l’Afghanistan au prix fort : pas moins de 10 000 dollars pour un périple de crève-misère parsemé de privations, angoisses et violences.

A Lasalle, où la communauté protestante a battu le rappel de ses ouailles et fait sonner le tocsin de l’entraide de Mialet à Vallée-Française, on a ouvert les gîtes communaux et la salle paroissiale, installé des urnes chez les commerçants et monté des dizaines d’opérations destinées à financer le séjour vivifiant des Pachtounes. Pensez qu’en dépit des frimas, un quart du village était réuni en rangs serrés, autour d’un repas tiré du sac, pour la projection des films du réalisateur afghan Youssef Charifi, suivie d’un débat.
« Il y a eu un magnifique élan de solidarité. Je me sens conforté dans mes choix. Et il n’est qu’à voir le nombre de mails de félicitations et encouragements parvenant en mairie, pour se convaincre des aspirations du monde à une société plus fraternelle », ajoute Henri De Latour.

Demain, les Afghans auront les honneurs de la petite commune voisine de Soudorgues, qui s’était distinguée en 1993, en hébergeant trois mois durant plusieurs familles de Kosovars. Là encore tout ce que la vallée de la Salendrinque compte de musiciens et choristes donnera l’aubade et accompagnera dans le ciel cévenol, les cerfs-volants persans, condamnés par le vent de folie des talibans. Symboles de liberté et de paix, ils sont aujourd’hui interdits par les gardiens du Coran le plus austère et fanatique.

Mohamed : « Ici, nous avons le sentiment d’avoir des centaines de mères »

par Gérard Laudinas, Midi libre, 1er janvier 2010


Mohamed, 21 ans, journaliste à Lokman, était sous la menace constante des talibans.

  • L’accueil que vous réserve la population de Lasalle est-elle de nature à apaiser vos inquiétudes ?

A Calais, avant que nous ne soyons transférés vers Nîmes au prix de seize heures d’autobus, menottés du départ à l’arrivée, j’avais l’impression qu’ils allaient tous nous tuer. Ici, ce n’est qu’affection, respect, sourire. En Afghanistan, nous avions chacun une maman ; à Nîmes et à Lasalle que nous aimons de tout notre cœur, nous avons l’impression d’avoir des centaines de mères. C’est apaisant et reposant, même si les angoisses quant à notre avenir, nous réveillent toutes les nuits. Qu’allons-nous devenir ? La population nous soutient, mais nous n’avons pas reçu les bontés du gouvernement français.

  • Quel métier faisiez-vous en Afghanistan ?

Il y a sept mois lors de ma fuite de Lokman où j’étais établi avec mes parents, ma jeune sœur et mes trois frères - le quatrième étant réfugié au Pakistan - j’étais journaliste dans un magazine féminin appelé Clair. Je rédigeais et commentais des récits de vie de femmes afghanes. Les talibans ne l’ont pas supporté longtemps. J’ai aussi eu des ennuis lorsqu’ils m’ont surpris avec ma petite amie dans la rue. Comme nous n’étions pas mariés, ils m’ont accusé d’avoir une attitude anti-islamique. Dès lors, ce ne furent que menaces et intimidations.

  • L’un de vos amis réfugiés à vécu les mêmes soucis ?

Oui. Il avait une copine que le père a préféré tuer de ses mains, plutôt que de la voir épouser mon ami. Histoire d’honneur. Depuis, il est pourchassé par le père et les propres frères de sa promise, qui ont décidé de le tuer à son tour. S’il était contraint de retourner en Afghanistan, il ne pourrait leur échapper, c’en serait fini pour lui.

  • Quel regard portez-vous sur la situation de votre pays ?

Lorsque les forces internationales sont arrivées, nous avons eu espoir. Il est à présent déçu. L’insécurité a augmenté, il y a des attentats quotidiens à Kaboul. Le gouvernement central ne contrôle qu’un tiers du pays, le reste est sous le joug des Talibans, qui exercent une pression terrible, en prétendant que les hommes qui ne viennent pas se battre à leurs côtés sont contre eux. Et là, les ennuis commencent.

  • Quelle évolution pour envisager un retour ?
    Intégrer les talibans à un gouvernement d’union sans leur confier de postes trop importants, ou les éliminer par la force. C’est à ce prix que certains réfugiés pourraient retrouver leur pays.

P.-S.

« En prenant en charge ces personnes, nous voulions démontrer qu’il pouvait y avoir une alternative à La Jungle de Calais. Mais on se retrouve face à la volonté du gouvernement de ne pas faire les choses normalement. Alors que ces Afghans ne pensaient qu’à aller en Angleterre, ne connaissant même pas les possibilités de demande d’asile en France. Aujourd’hui, nous demandons leur régularisation à titre de réparation », a déclaré Jean-Paul Nunez dans Le Midi libre du 18 décembre.

Pour appuyer cette demande, signez et faites signer la pétition demandant la régularisation des 19 Afghans de Nîmes afin qu’ils puissent bénéficier de l’asile en France.


Notes

[1Voir notre page : article 3663.

[3Extrait de « Une nouvelle année cévenole pour dix-huit réfugiés afghans » par Gérard Laudinas, Midi libre, 1er janvier 2010.


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