Henri-Claude Cousseau poursuivi pour une exposition qu’il avait dirigée il y a 6 ans


article de la rubrique libertés > liberté de création
date de publication : lundi 27 novembre 2006
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Une exposition d’art contemporain sur l’enfance, datant de 2000, a conduit son responsable devant la justice.
Henri-Claude Cousseau, qui dirigeait en 2000 les musées de la ville de Bordeaux, a été mis en examen la semaine dernière pour avoir, dans le cadre de « Présumés innocents, l’art contemporain et l’enfance », présenté des oeuvres susceptibles de porter atteinte à l’image de l’enfant.


Communiqué de l’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création de la LDH

Paris, le 27 novembre 2006

La liberté de création impose la modification du code pénal

La mise en examen d’Henri-Claude Cousseau, six ans après l’exposition Présumés Innocents au CAPC de Bordeaux dont il était le directeur, est fondée sur les articles suivants du code pénal :

  • l’article 227-22 qui réprime la corruption de mineurs,
  • l’article 227-23 qui vise à la fois la réalisation et la diffusion d’images pornographiques de mineurs et la représentation à caractère pornographique de mineurs,
  • et l’article 227-24 qui réprime la fabrication et la diffusion de messages à caractère pornographique susceptibles d’être vus par des mineurs.

Depuis son « Manifeste » publié en 2003 dans les Inrockuptibles, Politis et la Quinzaine Littéraire (et consultable sur le site de la LDH), signé par de nombreux créateurs, critiques et intellectuels, l’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création demande que ces articles soient modifiés et ne puissent plus servir à réprimer la création ou la diffusion des œuvres.

Cette mise en examen démontre jusqu’à l’absurde que cette modification législative s’impose et qu’elle est urgente.

L’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création en appelle au législateur afin que la défense des enfants ne soit plus le cache sexe de l’ordre moral.

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L’ex-directeur du CAPC-Bordeaux mis en examen pour une exposition

par Claudia Courtois, Le Monde daté du 19 nov 06

C’est du jamais vu dans l’histoire judiciaire récente : un directeur de musée poursuivi en justice pour le contenu d’une de ses expositions. Le directeur de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Henri-Claude Cousseau, a été mis en examen à Bordeaux, mercredi 15 novembre, pour une exposition qu’il avait organisée en 2000 au Centre d’arts plastiques contemporain (CAPC) de Bordeaux, qu’il dirigeait alors.

Une enquête judiciaire avait été ouverte le 23 octobre 2000 à la suite d’une plainte concernant l’exposition "Présumés innocents - L’art contemporain et l’enfance", organisée au CAPC de juin à octobre 2000. Six ans après, le doyen des juges d’instruction de Bordeaux, Jean-Louis Croizier, reproche à l’ancien directeur du musée d’avoir contribué à montrer des oeuvres à "caractère pornographique, violent, portant atteinte à la dignité de l’enfant", selon les termes d’Annie Gourgue, présidente de l’association La Mouette. Cette association d’Agen, active dans la protection de l’enfance, s’est constituée partie civile après le retrait de la plainte d’un père de famille "choqué" par l’exposition.

M. Cousseau est poursuivi pour deux infractions : la diffusion de messages violents à caractère pornographique ou contraires à la dignité accessibles à un mineur et pour la diffusion de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique.

Les deux commissaires de cette exposition, Marie-Laure Bernadac, aujourd’hui conservatrice au Louvre, et la critique d’art Stéphanie Moisdon-Trembley, sont convoquées début décembre à Bordeaux. Selon leur avocat, Me Emmanuel Pierrat, elles pourraient être mises en examen pour les mêmes motifs. "Une grande partie de ces oeuvres sont aujourd’hui sur les cimaises de musées du monde entier, constate l’avocat, perplexe. Il faut croire qu’il y a une exception culturelle à Bordeaux."

La plainte déposée en 2000 visait aussi vingt-cinq artistes et leurs créations sur les quatre-vingts invités par l’exposition, et non des moindres : Annette Messager, Christian Boltanski, Mike Kelley, Cindy Sherman, Tony Oursler, Nan Goldin, Marlene Dumas, Gary Gross, Carsten Höller... Malgré des commissions rogatoires nationales et internationales - qui expliquent en partie la lenteur de l’instruction - aucune oeuvre n’a été récupérée par le juge d’instruction. "Il n’est pas question de porter atteinte à la liberté de l’artiste, souligne Me Christine Maze, le conseil de Mme Gourgue. Nous nous basons sur le terrain de la protection de l’enfant qui doit être considéré dans un débat global. Si l’exposition avait été réservée aux adultes, on n’aurait pas porté plainte. Dans ce cas précis, les précautions prises n’ont pas suffi à protéger les mineurs."

Selon la direction de l’époque du CAPC, des précautions avaient bien été prises pour permetttre au public d’éviter les oeuvres les plus dérangeantes : des scènes filmées de masturbation, des dessins faussement naïfs connotés sexuellement, des animaux dotés de sexes humains... L’exposition a enregistré 24 000 entrées, dont celles de 1 550 scolaires. Mais ce jeune public suivait un itinéraire adapté dans l’exposition. Seuls deux professeurs sur les quarante-neuf écoles élémentaires se seraient plaints. Les créations les plus crues étaient installées dans un pièce fermée avec, souvent, un gardien à l’entrée et, systématiquement, un panneau d’avertissement, assure le CAPC. Un message était mis en évidence à l’entrée du musée.

"Si vraiment l’exposition était à caractère pornographique, pourquoi la brigade des moeurs, a-t-elle laissé faire ?", s’interroge Me Richard Malka, conseil de M. Cousseau. "Cette affaire est grave, car, quel que soit son aboutissement judiciaire, le mal est fait, poursuit-il : plus aucun conservateur n’osera à l’avenir réaliser ce type d’exposition, ni aucun politique le soutenir."

A la lecture du catalogue, Alain Juppé, le maire (RPR) de Bordeaux et principal financeur du musée municipal, avait refusé d’inaugurer l’exposition. Il avait même interdit à ses adjoints d’assister au vernissage (Le Monde du 10 juillet 2000). Mais il n’imaginait pas ces soubresauts judiciaires : "J’espère que l’on ne va pas revenir au temps des procès d’Oscar Wilde ou de Baudelaire (...)". Son cabinet ne souhaite pas s’exprimer davantage aujourd’hui. Il a simplement indiqué la mise à disposition, comme le prévoit la loi, de l’avocat de la ville si l’ancien directeur des musées de Bordeaux la demande.

Claudia Courtois

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