Gilles Sainati : “oublier Sarkozy”


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : mercredi 16 mai 2012
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« Le sarkozysme n’était pas qu’un jeu de chaises musicales » qui a abouti à placer dans la plupart des postes de direction des personnes à l’échine souple. « Ce fut aussi une idéologie acérée qui a, dès 2002, fait le lit de l’extrême droite en matière de libertés », utilisé la « dictature de l’émotion » comme méthode de gouvernement, et « remplacé l’humain par des technologies informatiques ».

« Dix ans d’échec » pour Gilles Sainati.
S’appuyant sur l’exemple de la politique de « guerre à la drogue », le magistrat demande l’abandon de l’idéologie managériale et de son illusion gestionnaire – un bouleversement de la nature même de la gouvernance qui ne devrait pas concerner que le domaine de la Justice.


“Justice, oublier Sarkozy”, par Gilles Sainati

[publié le 8 Mai 2012 sur le blog de Gilles Sainati]


Le 6 mai au soir, nul doute que la rue de Solférino et les rues adjacentes étaient pleines de directeurs de cabinet et de chargés de mission potentiels à la recherche d’un point de chute...

La valse des coulisses a commencé, et il est amusant de voir se précipiter les convaincus des derniers jours dont il faudra un jour demander le nom du tailleur...

La justice pour Nicolas Sarkozy était le mauvais objet, le souffre-douleur permanent... Mais ce travail de démolition, il ne l’a pas fait tout seul. Il y eut d’abord les assauts médiatiques dont le fer de lance s’est encore retrouvé dans la rue entre les deux tours : certains syndicats de policiers étant véritablement les vecteurs de cette entreprise idéologique de démolition.

L’on croyait revivre l’année 2001/2002 qui avait vu avec victoire défiler ces mêmes syndicats contre les juges laxistes, la présomption d’innocence, etc...

Le sarkozysme n’était pas qu’un jeu de chaises musicales qui a abouti à placer dans la plupart des postes de direction des personnes dont l’échine élastique était à la hauteur de leur incompétence, ce fut aussi une idéologie acérée qui a, dès 2002, fait le lit de l’extrême droite en matière de libertés et a placé la dictature de l’émotion comme moyen le plus efficace pour masquer son impéritie.

Quitter le Sarkozysme, quitter le court terme et l’illusion gestionnaire

Changer quelques noms sur un organigramme ne suffira pas, c’est la nature même la gouvernance et sa direction qui doit permettre de quitter les rives du sarkozysme.

10 ans de gâchis, de volonté systématique de casser " les corps intermédiaires", dix ans de régressions où l’on a systématiquement tourné le dos au principe des contre- pouvoirs. Cela va nécessiter un sérieux travail.

10 ans d’échec sur le terrain, aussi bien en matière de justice civile de proximité que de justice pénale.

Au coeur de cette déconstruction nécessaire, l’idéologie managériale qui a pensé, en matière de justice, remplacer l’humain par des technologies informatiques... Le fleuron de cette politique que l’on retrouve dans tous les ministères : la RGPP dont les audits successifs de la Cour des Comptes ont souligné les limites et les dangers.

Sous le vocable de la modernisation de l’Etat, ce fut une véritable entreprise de déstructuration et de privatisation qui fut menée.

La mission de modernisation menée sous la férule de Roger Scott-Douglas et de l’Institut de gestion financière du Canada en concevant l’État comme une entreprise et le Chef de l’État comme le "boss" a contribué à faire éclater la notion de service public pour patrimonialiser son fonctionnement : en clair l’Etat a été découpé en missions facilement confié au secteur privé .( cf fichier attaché).

Revenir sur cette démarche va être difficile tant c’est un champ de ruines qui s’offre à notre regard.

Cette désorganisation de l’Etat a abouti à confier la gestion financière de l’Etat au privé via un programme informatique de gestion dénommé CHORUS pour une somme de 500 millions d’ euros et dont le coût augmente tous les jours ( cf : la panoplie du coup d’Etat).

Ce programme est en phase d’application dans le ministère de la justice et menace de détruire les murs encore debout et s’attaque radicalement à la notion d’indépendance via une politique de management

Quitter le Sarkozysme, quitter le déni de la réalité

L’autre dossier symptomatique est celui de la guerre à la drogue. Politique développée par l’empire américain, elle présuppose une prohibition des produits classés comme stupéfiants.

II n’est pas difficile de comprendre combien cette politique est un échec, à tel point qu’une conférence internationale tenue récemment propose de lever cette prohibition pour casser les filières criminelles et mettre en place une véritable politique de santé publique (voir http://www.rfi.fr/ameriques/2012041...).

En France il y aurait 12,4 millions de consommateurs de cannabis dont 1,2 millions de consommateurs réguliers (en 2009, 59 614 kg saisis) ( voir les autres chiffres pour d’autres substances sur http://www.ofdt.fr/)..

Cette prohibition intégrale surcharge les services de police, éloigne les consommateurs des plans de santé et de réduction des risques. Elle a été le fer de lance de la politique du chiffre mise en place par Nicolas Sarkozy en matière de police. Arrêter le consommateur de « chichons » fait une affaire élucidée...

Le résultat de cette politique n’ a pas freiné la consommation et les trafics, en témoignent les règlements de comptes dans les grands centres urbains entre factions rivales de trafiquants.

Pourtant plusieurs possibilités s’ouvrent aux décisions politiques :

  • la contraventionalisation de l’usage de certaines substances par exemple le cannabis , pour réorienter et concentrer les services d’investigations sur les trafics,
  • la dépénalisation de l’usage pour basculer sur des politiques de santé publique,
  • la réglementation ou légalisation contrôlée pour casser les filières clandestines.

Aucune de ces solutions n’a été adoptée à l’issue du débat électoral, seule une indication : l’interdit sera maintenu.

La situation risque donc de rester en l’état.

L’on pourrait tout aussi parler des étrangers sans papiers pour illustrer le propos....

Il sera donc long et difficile de sortir du sarkozysme tant celui-ci a structuré la pensée publique et médiatique en paralysant l’action politique par des interdits idéologiques et une bien pensance de café du commerce... Pourtant il est urgent de le faire, ne serait ce que dans un but d’efficacité...

Gilles Sainati



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