Gilles Sainati : “discriminer les pauvres”


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : dimanche 4 novembre 2012
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La pauvreté, le contrôle, le fichage ... un cri d’alerte de Gilles Sainati, publié le 3 novembre 2012 sur son blog de Mediapart.


Voir en ligne : la fraude sociale, la Cnil et le répertoire national Rncps

Discriminer les pauvres

C’est le moment de la trêves des expulsions, c’est aussi le moment de faire les comptes de la pauvreté en France. Selon l’INSEE et l’observatoire des inégalités la France comptait 4,8 millions de pauvres en 2010 si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,6 millions de pauvres si l’on utilise le seuil de 60 % du niveau de vie médian [1].

Source : www.inegalites.fr

Il est clair que la situation ne s’est pas améliorée à l’entrée de l’hiver 2012 – le chiffre pourrait bien être de 10 millions de pauvres.

Devant cette catastrophe, deux urgences : manger et avoir un toit contre les intempéries.

Pour le premier besoin, un nom vient tout de suite à l’esprit celui de Coluche et les Restos du coeur, pour le second l’abbé Pierre et le Droit au logement.

Ces deux d’organisations agissent dans l’urgence : la faim et le froid n’attendent pas. Mais les médias connaissent moins bien d’autres infrastructures qui sont aussi en place pour fournir la nourriture ; c’est en partie le rôle du réseau des 79 banques alimentaires, associations loi 1901 à but humanitaire, qui maillent le territoire national. Un travail difficile qui mobilisent un nombre sans cesse croissant de bénévoles à qui il faut rendre hommage.

Ces banques alimentaires distribuent les denrées à d’autres associations qui sont directement en contact avec les précaires. Ce maillage associatif surprend, parfois par des pratiques bureaucratiques dignes des meilleurs films de S.F. mais qui sont significatives de la tendance contemporaine...

Les ravages de la suspicion

L’on pourrait croire que les personnes qui s’adressent aux associations caritatives sont celles qui ont faim et n’ont pas assez de moyens pour manger... à leur faim. Las ! l’ancien pouvoir Sarko-Fillon a instillé l’idée qu’il y aurait des profiteurs parmi les pauvres. Des fainéants qui roulent en BMW, vivent des allocations familiales et se nourrissent de la solidarité nationale...

Lutte contre la fraude : campagne de communication 2011 (Ministère de l’Économie et des Finances)

Nous savons que cette idée rance est fausse : bon nombre de personnes qui devraient recevoir le RSA ne le demandent pas, beaucoup cachent leur misère dans un isolement qui devient rapidement dangereux...

Pourtant les caricatures ont la vie dure et on peut lire sous la plume de la banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, à l’adresse des associations partenaires :

Le souci de préserver l’esprit de la convention que vous avez signée, nous amène à vous rappeler les terme de son article 2 :

L’Association s’engage :

« A redistribuer les denrées qu’elle reçoit de Ia Banque Alimentaire, uniquement au seul profit des personnes en état de précarité reconnue et vérifiée, dans le cadre d’une action sociale ayant pour objectif, la promotion des personnes en tenant compte, si possible, de leurs habitudes alimentaires et culturelles. »

Ce paragraphe vous implique dans le contrôle des personnes aidées et vous fait
l’obligation de tenir un Registre mis à jour en permanence.

Lourde mission que de faire le tri entre les précaires reconnus et vérifiés et les autres. Ceci élimine déjà l’intégralité des sdf qui souvent précaires peuvent difficilement justifier de leur état du fait de l’absence de mise en place d’un parcours d’insertion ou de suivi social, ne parlons pas des étrangers sans papiers... C’est une nouvelle catégorie qui apparaît, les pauvres-intouchables, n’ayant aucun droit même pas celui de manger.

La tentation du fichage

Mais pour faire bonne mesure, et paraître surement plus sérieux la missive continue par la nécessité pour les associations bénéficiant de tenir un registre mis à jour en permanence comprenant les renseignements suivants :

  • Nom / Prénom / Situation
  • Composition familiale
  • Ressources
  • Charges

Les justificatifs à demander et à conserver dans les dossiers sont les suivants :

  • Fiche familiale d’état civil
  • Attestation de la C.A.F.
  • Salaire /ASSEDIC/ Pensions
  • Certificat de non imposition
  • Quittance de loyer/ Autres

Ce fichier sera t-il déclaré à la CNIL – car il contient de nombreux items d’informations nominatives – ?

En tout cas nous sommes loin de l’Auvergnat de la chanson de Brassens !!!

Cette réglementation de la pauvreté et de la solidarité doit nous alerter, car sous prétexte d’arguments gestionnaires c’est notre humanité qui passe à la trappe... Cette tentation panoptique devient inquiétante ! L’existence de ce type de fichier entraîne fatalement de l’arbitraire suivant la manière dont il est renseigné ; de plus, il suffira de le compléter avec des renseignements non plus discriminants mais discriminatoires et notre République aura vécu.

Gilles Sainati


Notes


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