France, pays des droits de l’homme ? Trois ans après le rapport d’Alvaro Gil-Roblès le rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, invite à nouveau à poser la question, notamment en ce qui concerne les détenus et les étrangers. Ce texte, présenté jeudi 20 novembre, fait suite à la visite en France du commissaire, du 21 au 23 mai 2008.
Vous trouverez ci-dessous, à la suite du communiqué de la LDH, le résumé ainsi que les conclusions et recommandations de ce rapport
[1].
Nous avons d’autre part regroupé les extraits de ce rapport suivant les domaines abordés :
Communiqué LDH
Paris, le 20 novembre 2008
Rapport Hammarberg :
la France, pays de violations massives et persistantes des droits de l’Homme
Comme son prédécesseur Alvaro Gil Robles en 2006, Thomas Hammarberg, Haut Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, dresse un constat accablant de l’état des droits de l’Homme dans notre pays, qui confirme hélas toutes les critiques émises depuis des années par nombre d’associations dont la LDH.
Nos gouvernants se flattent de représenter le « pays des droits de l’Homme ». Derrière leurs discours angéliques, voici les faits. Toutes les personnes en situation de fragilité, de dépendance ou de marginalité, loin d’être protégées contre les risques d’atteintes aux droits induites par leur état, sont l’objet de discours, de politiques et de pratiques administratives qui augmentent ces risques et les placent dans des situations inadmissibles et parfois inhumaines.
C’est le traitement indigne réservé aux détenus dans les prisons françaises, aux étrangers « retenus » dans les centres de rétention, aux demandeurs d’asile traqués autour de Calais avec hélicoptère, projecteurs et chiens policiers ; ce sont les conditions de vie honteuses et discriminatoires qui sont faites si souvent aux Rroms et aux Gens du voyage ; c’est la violation délibérée des normes internationales qui protègent les mineurs face à la justice ; ce sont les pressions et les menaces sur les personnes qui se plaignent de violences policières ; c’est aussi le mépris dans lequel est tenue la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, voix indépendante chargée de rappeler le gouvernement aux exigences du respect des droits.
Tout cela vient après une longue série de scandales : le charter de la honte pour les Afghans de Calais, auquel le gouvernement n’a renoncé que devant l’indignation partagée notamment par le récent prix Goncourt ; les violences dans le centre de rétention de Vincennes, liées à des conditions de détention administrative indignes d’un Etat de droit ; les attaques contre la Cimade qui précisément assiste les étrangers dans les centres de rétention ; le fichage généralisé institué par le décret créant « Edvige », retiré sous la pression d’une large mobilisation citoyenne mais dont la métastase « Edvige 2 » est déjà annoncée… Cette suite de coups portés aux droits, aux libertés et à leurs garanties n’a que trop duré.
La France, qui assure la présidence de l’Union européenne, est aujourd’hui montrée du doigt par le Conseil de l’Europe comme un pays dont les gouvernants violent sans cesse davantage, et délibérément, les standards européens de protection des droits de l’Homme. Et les défenseurs des droits, les « délinquants de la solidarité », les associations qui assistent les victimes des violations des droits, sont stigmatisés, menacés, déstabilisés, et désormais systématiquement privés d’une part croissante de leurs moyens d’action.
Dans quelques jours, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée à Paris le 10 décembre 1948, aura 60 ans. René Cassin aurait honte de ce que font aujourd’hui ceux qui nous gouvernent de cet héritage qui nous oblige tous.
Résumé du mémorandum
Le Commissaire Thomas Hammarberg s’est rendu en France au mois de mai 2008. Au cours de cette visite, le Commissaire a rencontré les Ministres de la Justice, de l’Immigration, du Logement et de la Ville, la plupart des institutions nationales chargées de la protection des
droits de l’homme et des représentants de la société civile. Il a ainsi pu évoquer certaines questions de droits de l’homme et notamment les droits des détenus, l’asile et l’immigration et la protection des Roms et Gens du voyage. Il a également visité plusieurs institutions dont les
prisons de Fresnes et Meyzieu (pour mineurs) et des terrains roms et aires d’accueil des Gens du voyage dans la périphérie de Strasbourg.Les priorités du Commissaire lors de sa visite et ses principales conclusions peuvent se résumer comme suit :
- Respect des droits de l’homme des détenus : le projet de réforme de la loi pénitentiaire devrait couvrir certains éléments importants pour la protection des droits fondamentaux des détenus tels que la diminution de la durée de placement en quartier disciplinaire, l’encadrement de l’isolement, le droit effectif de vote ou le maintien des liens familiaux. Il faut par ailleurs garantir le principe de l’encellulement
individuel pour les prévenus. Les conditions de vie sont encore inacceptables pour nombre de détenus qui doivent subir le surpeuplement, la promiscuité et la vétusté des installations et des conditions d’hygiène. Enfin, il y a un risque d’arbitraire dans la mise en oeuvre de la rétention de sureté, qui exige la plus grande vigilance.- Justice juvénile : le rapport salue les moyens alloués pour les lieux privatifs de liberté que sont les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres éducatifs fermés. Néanmoins, l’action éducative doit primer sur toute forme de répression. Par ailleurs, l’âge auquel des sanctions pénales peuvent être prises devrait être relevé et non abaissé.
- Droits de l’homme dans le contexte de l’immigration et l’asile : le Commissaire attire l’attention des autorités françaises sur les risques associés à la détermination à priori du nombre de migrants irréguliers à reconduire aux frontières : il convient d’analyser les conséquences sur les méthodes d’interpellations et la pratique administrative. Plus aucune interpellation ne devrait être effectuée dans les écoles et préfectures. Les autorités sont appelées à offrir aux personnes maintenues à la
frontière ou en centre de rétention le temps et les conditions nécessaires pour réaliser une demande d’asile. Une plus grande transparence devrait être assurée dans les procédures de régularisation, de regroupement ou de rapprochement familial.- Droits des Gens du voyage et des Roms : le Commissaire invite les autorités à assurer une application effective de la loi imposant aux communes de créer des aires d’accueil. Un terme doit être mis aux différentes mesures dérogatoires concernant les Gens du voyage (droit de vote ou carnet de circulation notamment). La question de l’évaluation du taux de scolarisation ainsi que des moyens à mettre en oeuvre pour l’améliorer doit être considérée. Les retours volontaires des migrants irréguliers, et notamment des Roms, comme les retours humanitaires doivent s’effectuer dans le respect des droits des intéressés et leur caractère « volontaire » doit être pleinement garanti. Plus généralement, le Commissaire invite les autorités à garantir un meilleur accès des populations roms aux soins, à l’éducation ainsi qu’au monde du travail. Des solutions devraient être apportées pour garantir le respect de la dignité des personnes vivant dans des bidonvilles insalubres.
- Mécanisme de protection de droits de l’Homme : saluant la mise en place du contrôleur général des lieux privatifs de liberté, le Commissaire invite les autorités françaises à consulter plus systématiquement les institutions nationales de droits de l’Homme et à garantir une pleine indépendance au futur Défenseur des droits en
conformité avec les standards internationaux.
France, pays des droits de l’homme ? Le rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, présenté jeudi 20 novembre, invite à nouveau à poser la question, notamment en ce qui concerne les détenus et les étrangers. Ce texte fait suite à la visite en France du commissaire, du 21 au 23 mai.
Immigration et politique du chiffre. S’alarmant des conséquences d’une politique "centrée sur la réalisation de chiffres", le commissaire appelle sans détour le gouvernement à "ne plus recourir à la détermination du nombre de migrants à reconduire". La pression engendrée par une telle politique pousse les forces de l’ordre à procéder à "de plus en plus d’interpellations avec des méthodes parfois contestables", comme des contrôles "au faciès", constate-t-il. Pour "exceptionnelles" qu’elles soient encore, ces "pratiques illégales démontrent l’impact que peut avoir une politique où le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits des individus."
Et M. Hammarberg de s’alarmer des arrestations qui, en dépit d’instructions donnée par le ministre de l’immigration, ont eu lieu dans l’enceinte même d’écoles et de préfectures. Des lieux qui, relève-t-il, "devraient être des lieux protégés où aucun étranger ne devrait pouvoir être interpellé". "Il est à craindre, insiste le commissaire, que les services administratifs, confrontés à une obligation de résultat quant aux objectifs de retour, appliquent la loi d’une manière de plus en plus mécanique et sous un angle plus répressif ne leur permettant souvent plus de mesurer la réalité des situations humaines derrière chaque dossier."
Régularisations. L’absence, depuis 2006, de tout texte définissant "précisément les critères et les preuves à apporter" pour bénéficier d’une régularisation, "accroît le caractère potentiellement arbitraire" de ce processus, relève le commissaire qui constate "une diminution importante du nombre de personnes régularisées" depuis la suppression du dispositif de régularisation après dix années de résidence en France.
Centres de rétention. Le commissaire s’alarme du caractère "déshumanisé" persistant de certains centres qui accueillent les immigrés en situation irrégulière. Les vives tensions dont a été le théâtre celui de Vincennes doivent inciter les autorités françaises à "revoir de façon critique l’ensemble des conditions prévalant dans les centres et à les humaniser". Aussi, constatant l’accroissement du nombre d’enfants en rétention, M. Hammarberg déplore que "les problèmes juridiques et humains" qui en découlent soient "totalement sous-évalués par les autorités françaises".
Surpopulation carcérale. Le commissaire appelle le gouvernement à "répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes". L’accroissement de la population carcérale est dû "principalement" au "durcissement des peines prononcées", observe-t-il, relevant que depuis 2002, "une série de lois a modifié la politique pénale en accentuant sa dimension répressive".
"Sept détenus sur dix sont écroués dans des établissements surpeuplés", s’alarme en outre le commissaire. Or, "toute surpopulation engendre automatiquement une carence en terme de surveillants, de travailleurs sociaux ou de personnel administratif". Pour lui, "détenus et personnels subissent tous les dysfonctionnements de la gestion pénitentiaire française".
Les réponses du gouvernement au problème ne satisfont pas pleinement M. Hammarberg. La création de 13 000 places supplémentaires d’ici 2012 est insuffisante car la création de nouvelles places n’est pas "propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement". Il déplore que les travailleurs sociaux soient "en sous-effectif flagrant et les moyens à leurs dispositions insuffisants".
Rétention de sûreté. Le commissaire demande "une extrême précaution dans l’application de la rétention de sûreté", qui prévoit l’enfermement des criminels dangereux une fois qu’ils ont purgé leur peine. Elle ne doit pas "mener à un emprisonnement perpétuel". Il redoute "le risque d’arbitraire qui découle de l’appréciation de la dangerosité du criminel", constatant que "la France semble manquer d’outils pour évaluer avec précision cette dangerosité". "La logique du risque zéro ne devrait pas devenir la règle, au détriment des libertés individuelles."
Mineurs. Thomas Hammarberg s’inquiète du "durcissement de la justice juvénile qui se caractérise notamment par l’instauration de peines planchers" pour les mineurs. "Le problème des jeunes délinquants ne sera pas résolu par des peines plus dures", explique-t-il. Son avis sur les établissements pour mineurs est "globalement positif", mais il constate qu’une minorité d’enfants sont emprisonnés dans ces établissements, qui sont déjà aux prises avec un manque de moyens. A Meyzieu, le commissaire a constaté que "les activités extrascolaires, bien que louées par l’encadrement et les enfants, avaient été supprimées faute de moyens".
[1] Le rapport est téléchargeable dans son intégralité : http://tempsreel.nouvelobs.com/file... (au format PDF, 67 pages). Vous y trouverez également en annexe la réponse de la France à ce rapport.