Edgar Morin, Françoise Vergès et Gilles Manceron répondent à Claude Guéant


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : samedi 25 février 2012
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Les réactions ont été nombreuses après les propos scandaleux tenus par Claude Guéant le 4 février dernier – « pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas » – propos qui ont culminé quelques jours plus tard avec une « mise en cause » de la religion musulmane.

Pour répondre au ministre de l’Intérieur nous avons retenu la tribune d’Edgar Morin publiée dans Le Monde du 7 février 2012, où le sociologue expose qu’il n’existe pas plus de civilisation pure que de civilisation supérieure, et qu’il faut dépasser cet occidentalo-centrisme au profit d’une symbiose des cultures.

Nous avons également repris l’enregistrement vidéo d’un débat sur le refoulé colonial entre deux historiens, Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, et Gilles Manceron, spécialiste du colonialisme, débat animé par Edwy Plenel et Jade Lindgaard, et diffusé sur Mediapart le 23 février 2012.


Vive la symbiose des cultures

Chaque culture a ses vertus, ses vices, ses savoirs, ses arts de vivre, ses erreurs, ses illusions. Il est plus important, à l’ère planétaire qui est la nôtre, d’aspirer, dans chaque nation, à intégrer ce que les autres ont de meilleur, et à chercher la symbiose du meilleur de toutes les cultures.

La France doit être considérée dans son histoire non seulement selon les idéaux de Liberté-Egalité-Fraternité promulgués par sa Révolution, mai aussi selon le comportement d’une puissance, qui, comme ses voisins européens, a pratiqué pendant des siècles l’esclavage de masse, a dans sa colonisation opprimé des peuples et dénié leurs aspirations à l’émancipation. Il y a une barbarie européenne dont la culture a produit le colonialisme et les totalitarismes fascistes, nazis, communistes. On doit considérer une culture non seulement selon ses nobles idéaux, mais aussi selon sa façon de camoufler sa barbarie sous ces idéaux.

Nous pouvons tirer fierté du courant autocritique minoritaire de notre culture, de Montaigne à Lévi-Strauss en passant par Montesquieu, qui a non seulement dénoncé la barbarie de la conquête des Amériques, mais aussi la barbarie d’une pensée qui « appelle barbares les peuples d’autres civilisations » (Montaigne).

De même le christianisme ne peut être considéré seulement selon les préceptes d’amour évangélique, mais aussi selon une intolérance historique envers les autres religions, son millénaire antijudaïsme, son éradication des musulmans des territoires chrétiens, alors qu’historiquement chrétiens et juifs ont été tolérés dans les contrées islamiques, notamment par l’Empire ottoman.

Plus largement, la civilisation moderne née de l’Occident européen a répandu sur le monde d’innombrables progrès matériels, mais d’innombrables carences morales, à commencer par l’arrogance et le complexe de supériorité, lesquels ont toujours suscité le pire du mépris et de l’humiliation d’autrui.

Il ne s’agit pas d’un relativisme culturel, mais d’un universalisme humaniste. Il s’agit de dépasser un occidentalo-centrisme et de reconnaître les richesses de la variété des cultures humaines. Il s’agit de reconnaître non seulement les vertus de notre culture et ses potentialités émancipatrices, mais aussi ses carences et ses vices, notamment le déchaînement de la volonté de puissance et de domination sur le monde, le mythe de la conquête de la nature, la croyance au progrès comme lot de l’histoire.

Nous devons reconnaître les vices autoritaires des cultures traditionnelles, mais aussi l’existence de solidarités que notre modernité a fait disparaître, une relation meilleure à la nature, et dans les petites cultures indigènes des sagesses et des arts de vivre.

Le faux universalisme consiste à nous croire propriétaires de l’universel – ce qui a permis de camoufler notre absence de respect des humains d’autres cultures et les vices de notre domination. Le vrai universalisme essaie de nous situer en un méta-point de vue humain qui nous englobe et nous dépasse, pour qui le trésor de l’unité humaine est dans la diversité des cultures. Et le trésor de la diversité culturelle dans l’unité humaine.

Edgar Morin


Retour sur le refoulé colonial

Un débat entre Françoise Vergès, historienne et présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, et Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme, auteur de Marianne et les colonies et de La triple occultation d’un massacre, animé par Edwy Plenel et Jade Lindgaard.



Mediapart 2012 : Le débat. Guerre des civilisations
par Mediapart



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