Danemark, 1943 : la résistance civile face au génocide


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : 2000
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D’après P.Coulon, Résistances civiles et défense populaire non-violentes,
Dossier de Non-violence politique
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Le 18 septembre 1943, Hitler donne l’ordre de déporter les Juifs danois.

Mais, dans ce pays, depuis près de deux ans, les occupants allemands se heurtent à une forme de résistance qui a fortement atteint leur moral.

Pourtant, lorsque le 9 avril 1940, ils avaient envahi le Danemark, rien ne laissait pressentir une telle résistance. En accord avec le roi Christian X, le gouvernement avait accepté l’ultimatum remis par le ministre allemand et un gouvernement de coalition avait été créé. Les Allemands acceptaient de ne pas se mêler des affaires intérieures danoises et de respecter la neutralité du Danemark. De leur côté, le roi et le gouvernement invitaient la population à vivre normalement et à se résigner à l’occupation. Les alliés prirent cette attitude pour de la lâcheté et l’expression "se coucher comme un Danois" devint une expression courante aux États-Unis.

Pendant un an et demi, le modus vivendi établi par les Allemands fut maintenu. Le mécontentement de la population ne se manifestait que par quelques gestes ou actions symboliques comme de porter des insignes interdits ou de chanter en choeur dans les parcs et sur les places.

Mais à la fin de 1941, les Allemands voulurent faire un pas de plus et, le 25 novembre 1941, contraignirent le gouvernement danois à accepter le pacte anti-Komintern qui plaçait le Danemark aux côtés des puissances de l’Axe contre les Alliés et avait pour conséquence la suppression du Parti communiste, l’emprisonnement de plusieurs de ses membres et la création d’un "corps libre danois" composé de volontaires pour se battre sur le front de l’Est.

Dès l’annonce de cette nouvelle, des émeutes sérieuses éclatèrent dans le pays et la résistance prit une forme nouvelle avec, notamment, un grand nombre de sabotages et de grèves.

La situation s’aggrava à un tel point que le 28 août 1943, les Allemands adressèrent au gouvernement danois un ultimatum très sévère. Le gouvernement devait supprimer le droit de grève, de manifestation et de réunion, proclamer la loi martiale et frapper les saboteurs de la peine de mort.

Mais le gouvernement danois, sans doute encouragé par la résistance de la population, au lieu de se soumettre comme en 1940 et en 1941, refusa l’ultimatum et cessa purement et simplement de fonctionner. Le roi se considéra désormais comme prisonnier dans son palais où il était effectivement gardé par des troupes allemandes et la Wehrmacht prit le contrôle du pays.

C’est dans ce contexte que, trois semaines plus tard, le 18 septembre 1943, Hitler donna l’ordre de déporter les Juifs danois.

Première surprise : les responsables allemands, qui occupaient le pays depuis plusieurs années et qui connaissaient l’attitude de la population, refusent cet ordre. Le général Von Hannecker lui-même refuse de mettre ses troupes à la disposition du plénipotentiaire du Reich, le Docteur Werner Best. Celui-ci a témoigné à Nuremberg qu’à plusieurs reprises les unités spéciales de SS affectées au Danemark, les Einsatz Kommando, ont protesté contre "les ordres des agences centrales".

Eichmann expédia donc au Danemark un de ses meilleurs hommes, Rolf Gunther, que personne ne pouvait soupçonner de manquer de "dureté sans pitié". Mais Gunther ne parvint pas à convaincre ses collègues de Copenhague. Et Hannecker refusait même de décréter que les Juifs pointent pour aller au travail.

Werner Best se rendit alors à Berlin pour négocier. Il obtint la promesse que tous les Juifs du Danemark, quelle que soit leur catégorie, seraient déportés à Theresienstadt, ville de Tchécoslovaquie avaient rassemblé dans un ghetto, à des fins publicitaires, les Juifs dont la notoriété empêchait provisoirement la suppression. Du point de vue nazi, c’était là une concession de taille.

On décide donc de capturer les Juifs dans la nuit du 1er au 2 octobre et de les évacuer aussitôt. Les bateaux étaient prêts dans le port. Et comme on ne pouvait compter ni sur les Danois, ni sur les Juifs, ni même sur les troupes allemandes affectées au Danemark, on importa des unités de police d’Allemagne pour procéder à la recherche des Juifs, maison par maison.

Mais, quelques jours avant la date fatidique, un agent de transport allemand, Georg F. Duckwitz, probablement renseigné par Best lui-même, révèle tous les projets allemands à des fonctionnaires danois.

La réaction danoise ne se fait pas attendre, au grand étonnement de Best lui-même. Le jour même, le ministère des Affaires étrangères danois demande à Best de s’expliquer sur cette rumeur. Les syndicats sollicitent de manière pressante un démenti officiel. Une pétition est présentée par les unions professionnelles. Et le roi Christian X lui-même fait parvenir un avertissement écrit à l’ambassade d’Allemagne. Auparavant, il avait menacé les Allemands d’être le premier citoyen à porter l’étoile jaune si les Allemands en imposaient le port aux Juifs. Plusieurs officiers supérieurs s’associent également à ces protestations.

Pendant ce temps, la population danoise qui s’attendait depuis longtemps à l’arrestation des Juifs, les aide à rejoindre la Suède dans des embarcations de pêcheurs. Les réseaux de résistance prennent en charge financièrement leur voyage. De leur côté, les responsables juifs informent les communautés locales de l’imminence des arrestations. La nouvelle est répandue dans les synagogues à l’occasion des offices. Les Juifs ont tout juste le temps de quitter leurs appartements et de se cacher dans des familles non-juives. Les hôpitaux et cliniques de Copenhague "renvoient" tous leurs patients portant un nom juif et, sans même qu’ils quittent leur lit, les réadmettent sous d’autres noms. Certaines cliniques vont jusqu’à hospitaliser des familles entières de Juifs en parfaite santé. Quant au Bispebjerg Hospital de Copenhague, il se transforme du jour au lendemain en un véritable camp de transit ; il admet des groupes d’une centaine de Juifs, leur fournit des vivres et de l’argent et les dirige vers des organisations de résistance.

Enfin, de son côté, Werner Best fait informer les policiers allemands par Rudolph Mildner, chef du S.D., qu’il leur est interdit de pénétrer de force dans des logements habités par des Juifs. S’ils le faisaient, la police danoise pourrait intervenir. Les policiers allemands ne pourraient donc capturer que les Juifs qui les laisseraient entrer de leur plein gré.

Résultat de la résistance délibérée des Danois et de la non-collaboration de certaines autorités allemandes aux ordres nazis : sur un total de 7800 Juifs danois, 477 personnes seulement furent arrêtées. Une cinquantaine d’entre elles dont l’état de santé interdisait le transport furent relâchées. Et finalement, ce ne sont que 425 Juifs, soit 5% de la population juive danoise, qui furent embarqués sur le vapeur allemand "Wartheland", prévu pour transporter au moins 5000 personnes.

Mais la résistance danoise n’en resta pas là dans sa volonté de sauver les Juifs danois. A la suite de demandes répétées, une délégation de la Croix-Rouge ainsi que des représentants du gouvernement danois furent admis à visiter le camp au cours de l’été 1944 et tous les Juifs danois reçurent des colis et des vivres. Comme l’a écrit Hannah Arendt dans son livre Eichmann à Jérusalem, à Theresienstadt, les Juifs danois "jouissaient plus que tout autre groupe, de privilèges spéciaux parce que des institutions et des particuliers danois ne cessaient de s’enquérir de leur sort."

Quarante-huit d’entre eux moururent, chiffre relativement bas étant donné l’âge moyen de ce groupe. Lors de son procès, Eichmann opina, après avoir mûrement réfléchi, que, "pour différentes raisons, les opérations projetées à l’endroit des Juifs du Danemark avaient échoué."


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