Christine Boutin, despote compassionnelle


article de la rubrique droits sociaux > logement
date de publication : dimanche 14 décembre 2008
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Lors du conseil des ministres du 26 novembre 2008, Christine Boutin s’était demandé «  si on ne pourrait pas rendre obligatoire l’hébergement des personnes sans abri ». « Idée bête », avait raillé la fondation Abbé Pierre, « grave régression » selon Xavier Emmanuelli, le fondateur du Samu social.

Selon Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, Nicolas Sarkozy avait estimé lors de ce conseil que « les pouvoirs publics ont une responsabilité et un devoir, c’est de ne pas laisser mourir les gens » [1].

Mais pourquoi vouloir à tout prix que les sans-abris rejoignent, contre leur gré, des centres d’hébergement ? Pour laisser entendre qu’ils meurent avant tout parce qu’ils ne veulent pas s’abriter, et non parce qu’ils ne le peuvent pas. S’ils meurent, c’est de leur faute, mais nous sommes tellement humains que nous voulons les sauver malgré eux.
Ce que Thibault Gajdos qualifie de « despotisme compassionnel » [2].


Le 24 novembre 2008, un gymnase mis à la disposition des sans abri par la Ville de Paris. (AFP)

Boutin persiste sur l’hébergement d’office

[Liberation.fr, le 12 décembre 2008]

L’idée, très contestée, semblait enterrée. Pas pour la ministre du Logement, pour qui la question de l’hébergement obligatoire des sans-abris est « toujours ouverte ».

« Malheureusement, nous déplorons des morts en ce moment de l’hiver (…) qui sont des personnes à qui on avait proposé un hébergement et qui l’ont refusé. La question (de l’hébergement obligatoire) est toujours ouverte. » Christine Boutin a remis sur le tapis hier son idée d’un hébergement obligatoire pour les sans-abri.

Son annonce le 26 novembre d’une « réflexion » sur cette éventualité quand la température descend sous les -6°C avait pourtant déclenché un tel tollé que François Fillon puis Nicolas Sarkozy n’avaient pas tardé à retoquer l’idée.

Mais hier, en marge d’un déplacement à Hautmont (Nord), la ministre est revenue à la charge : « Est-ce que l’on doit laisser dehors des personnes qui ne sont peut-être pas en état de pouvoir exercer véritablement leur libre arbitre, alors qu’on pourrait nous accuser de non assistance à personne en danger ». Et d’ajouter qu’elle défendait « la vie plutôt que la mort ».

Chritsine Boutin réagissait à la mort, hier, d’un homme de 42 ans à Rezé, en Loire-Atlantique. Il n’avait pas donné suite à des propositions d’hébergement qui lui avaient été faites notamment par le Samu social, qui le connaissait depuis un premier signalement en 2006.
La veille, deux autres personnes ont été retrouvées mortes, vraisemblablement de froid, à Carcassonne et Clermont-Ferrand. L’un avait également refusé les propositions d’hébergement du samu social.

Hébergement obligatoire pour les SDF ?

[Liberation.fr, le 26 novembre 2008]

Alors que quatre SDF sont morts ces dernières semaines dans la région parisienne, le gouvernement réfléchit à rendre obligatoire l’hébergement en cas de grand froid.

Le gouvernement a décidé ce mercredi de lancer une réflexion sur l’opportunité de rendre obligatoire l’hébergement des sans domicile fixe pendant les périodes de grand froid, Nicolas Sarkozy ayant jugé de son « devoir » et de sa « responsabilité » de ne pas les « laisser mourir ».

Alors que quatre SDF viennent de mourir ces dernières semaines dans la région parisienne, la ministre du Logement Christine Boutin a fait le point devant le Conseil des ministres sur l’hébergement des sans-abri.

« Il y a eu un débat (en Conseil des ministres) sur le problème particulier du froid, je vais donc lancer une réflexion pour voir si on ne pourrait pas rendre obligatoire l’hébergement des personnes sans abri quand la température devient trop froide en France », a déclaré Mme Boutin à la presse.

En rendant compte des travaux du Conseil, le porte-parole du gouvernement a rapporté que le chef de l’Etat avait lui-même « insisté » sur le sujet.

« Ne pas laisser mourir les gens »

« Je pense, et le président de la République l’a évoqué ce matin, que les pouvoirs publics ont une responsabilité et un devoir, c’est de ne pas laisser mourir les gens et donc de faire en sorte qu’ils puissent aller dans ces centres d’hébergement, recevoir un repas, être logés », a déclaré Luc Chatel.

« Ensuite, ils peuvent prendre la liberté de quitter ce centre d’hébergement, mais le président a tenu à dire que c’était le devoir, la responsabilité du gouvernement, des pouvoirs publics de ne pas laisser mourir les gens de froid », a-t-il insisté.

Lors de sa communication devant les ministres, Christine Boutin a indiqué que les objectifs du plan de cohésion sociale 2005-2009 sur l’hébergement avaient été « pratiquement atteints », avec un total de 99.600 places ouvertes pour un objectif affiché de 100.000.

« Sur le travail qui a été fait depuis avril 2007 en ce qui concerne l’hébergement des personnes sans abri, on n’a pas à rougir puisque nous sommes le premier pays européen en ce qui concerne les efforts budgétaires (…) en termes arithmétiques, ça va à peu près », s’est réjouie la ministre.

Développer les « maisons relais »

Elle a toutefois reconnue qu’il fallait désormais « adapter tous ces accueils ». « On n’accueille pas une personne SDF avec un chien comme une femme qui a été battue avec ses deux enfants à 3 heures du matin sur le trottoir ou un malade psychique », a relevé Mme Boutin.

La ministre a rappelé le développement de nouvelles formes de logement, notamment les « maisons relais » pour ceux qui ont des difficultés à intégrer à court terme un logement ordinaire, et l’entrée en vigueur d’un droit au logement opposable.

Pendant sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait promis l’instauration de ce droit. Lors d’une réunion publique à Charleville-Mézières (Ardennes), il avait indiqué le 18 décembre 2006 qu’il voulait que « d’ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid ».

Le despotisme compassionnel

par Thibault Gajdos, Le Monde du 9 décembre 2008

Le gouvernement a une propension assez stupéfiante à vouloir résoudre les problèmes sociaux par l’enfermement (des malades psychiatriques, des mineurs, des récidivistes...). Cédant à ce tropisme inquiétant, Christine Boutin, la ministre du logement, a proposé de rendre obligatoire l’hébergement des sans-abri en période de grand froid. Devant l’indignation des associations, le gouvernement semble avoir renoncé à ce projet. Il n’en ressort pas moins une conception assez précise de la justice sociale, qui gagnerait à être explicitée, afin de pouvoir être débattue.

Faut-il respecter la liberté des sans-abri, au risque de les voir mourir de froid, ou bien les préserver d’un destin tragique, par la contrainte si nécessaire ? Cette tension entre le respect de la liberté et une certaine conception de l’efficacité sociale est en réalité très générale, et a été mise en évidence en 1970 par Amartya Sen, futur Prix Nobel d’économie en 1998. M. Sen a proposé l’exemple suivant, désormais célèbre. Supposons qu’Alice et Bernard découvrent un exemplaire de L’Amant de Lady Chatterley. Trois possibilités s’offrent à eux : soit Alice le lit, soit Bernard le lit, soit aucun des deux ne le lit. Bernard est prude : il souhaite, par-dessus tout, éviter qu’Alice soit exposée à cette lecture. A tout prendre, il préfère lire le livre lui-même. Bien entendu, il serait selon lui tout de même préférable que personne ne le lise. Alice préfère que l’un d’entre eux lise le livre ; elle tirerait même une satisfaction particulière à ce que ce soit Bernard. Que doit-on faire ? Si l’on respecte la liberté d’Alice, on doit préférer qu’Alice lise le livre plutôt que personne ne le lise. Si l’on respecte la liberté de Bernard, on doit préférer que personne ne lise le livre plutôt que Bernard. Par conséquent, si l’on respecte les libertés d’Alice et de Bernard, on doit donner le livre à Alice. Malheureusement, Alice et Bernard préfèrent que l’on donne le livre à Bernard plutôt qu’à Alice.

La morale de cette histoire est claire : on ne peut fonder une politique sociale respectueuse de la liberté individuelle sur la seule évaluation du bien-être des individus. Cela a conduit M. Sen à définir les notions de « fonctionnements » et de « capacités », articulées en une théorie qui a rencontré un grand succès. Les fonctionnements sont les états et les actions qui constituent notre existence : être en bonne santé, bien nourri, participer au débat public, etc. Les capacités d’une personne sont les fonctionnements qui lui sont effectivement accessibles. C’est précisément à l’aune des capacités des individus que doivent, selon M. Sen, être évaluées les politiques sociales.

L’analyse du Prix Nobel montre que le dilemme entre le respect de la liberté des sans-abri et la protection de leur vie est fallacieux. En effet, si l’on adopte le point de vue des capacités, l’objectif doit être de leur donner la possibilité de choisir entre s’abriter dans des conditions décentes et sûres, et rester dans la rue. Or ce n’est pas l’alternative qui leur est proposée. Les centres d’hébergements sont souvent vétustes, contraignants et surpeuplés ; les vols et les violences y sont réguliers. La seule solution durable passe donc par une politique de logement social ambitieuse et rapide, associée à une réhabilitation des centres d’hébergement. Nicolas Sarkozy a annoncé (il faut s’en réjouir) l’allocation de 160 millions d’euros à l’amélioration des centres d’hébergement. Mais Mme Boutin a déposé un projet de loi qui assouplit le quota de 20 % de logements sociaux imposé aux communes. L’amélioration des capacités des sans-abri ne semble pas être une priorité du gouvernement. Pourquoi, alors, vouloir à tout prix que les sans-abri rejoignent, contre leur gré, des centres d’hébergement ? Parce qu’ils dérangent. Au nom de la sollicitude, on les contraint. C’est le despotisme compassionnel.

Thibault Gajdos

P.-S.

A peu près simultanément, l’association Droit au logement (DAL) a été condamnée le 24 novembre 2008 à verser 12.000 euros pour avoir dressé des tentes rue de la Banque il y a 2 ans.
Le terme technique, c’est une condamnation suite à une infraction de 4e catégorie à plus de 300 reprises pour avoir "embarrassé la voie publique en y laissant des objets".

Une condamnation inédite, alors qu’en 18 ans d’existence l’association avait eu recours à ce type d’action une centaine de fois.

Dans la foulée, les Enfants de Don Quichotte ont été condamnés à 1875 euros d’amende... et à la confiscation de leurs tentes. L’an dernier, l’association avait déployé 200 tentes le 15 décembre près de Notre-Dame de Paris. D’après Libération, l’amende est moins élevée car les policiers ont dressé un PV global pour les Don Quichotte, et un par tente pour le DAL.

Notes

[1Liberation.fr, 28 novembre 6h51.

[2Ce commentaire est inspiré de l’article http://www.rue89.com/en-faire-un-so... du site Rue 89.


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