CNE, la bataille juridique continue


article de la rubrique droits sociaux > travail
date de publication : dimanche 17 septembre 2006
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Les syndicats veulent toujours "avoir la peau du Contrat nouvelles embauches" sur le terrain juridique (voir notre article : le CNE, un an après).

Vendredi 28 avril, le conseil des prud’hommes de Longjumeau (Essonne) a requalifié un CNE en CDI, confirmant ainsi l’analyse des syndicats : le conseil a estimé, en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation, que l’ordonnance créant le CNE était contraire au droit international (lire ci-dessous l’article paru dans la revue Justice du Syndicat de la Magistrature).

Le gouvernement contre-attaque : pour éviter une confirmation en appel de la décision de Longjumeau qui rend caduc le CNE, le préfet de l’Essone demande qu’il appartienne au juge administratif de traiter l’affaire ...

Le vendredi 28 septembre, le parquet estimait que la cour d’appel était compétente, contre la demande du préfet.
Jugement sur cette requête le 20 octobre.


article modifié le 29 septembre 2006

Le gouvernement ne veut pas laisser aux juges le contrat nouvelles embauches

Le Monde du 13 septembre 2006

Pour garantir l’avenir de son contrat nouvelles embauches (CNE), le gouvernement a discrètement engagé, au cœur de l’été, une bataille juridique décisive. Le 19 juillet, le préfet de l’Essonne a contesté à la cour d’appel de Paris sa compétence pour juger une affaire traitée en première instance par les prud’hommes de Longjumeau.

Selon le préfet, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le CNE car celui-ci a été créé par une ordonnance et non une loi. Objectif : éviter que la Cour de cassation n’enterre le CNE pour son illégalité. En avril, les prud’hommes de Longjumeau avaient donné raison à une salariée, d’abord engagée en CDD, qui avait signé un CNE puis avait été licenciée aussitôt après. Suivant les instructions de la chancellerie (Le Monde du 23 mars), le parquet a fait appel de cette décision, tout comme l’employeur. L’audience devant la cour d’appel est prévue le 22 septembre.

Selon le jugement de Longjumeau, "l’ordonnance du 2 août 2005 instituant le CNE est contraire à la convention 158 de l’Organisation internationale du travailet ne peut recevoir application en droit français." La convention de l’OIT encadre le licenciement : l’ancienneté requise pour bénéficier du droit commun des salariés doit avoir une durée "raisonnable", sauf exception. Selon les prud’hommes, la période de consolidation du CNE, deux ans, est "une durée unique ne dépendant pas des conditions propres à chaque emploi" et "nécessairement déraisonnable".

L’analyse avait de grandes chances d’être confirmée en appel, car la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt rendu en mars que la convention de l’OIT s’appliquait de plein droit en France. "Il est d’ores et déjà clair que la Cour ne pourra faire autrement que d’appliquer les conventions internationales", a expliqué son premier président, Guy Canivet, le 29 juin, dans un entretien aux Echos. "Il reviendra au juge de [les] contrôler", de contrôler les marges de manœuvre prévues par l’OIT, a défendu M. Canivet. Ce que conteste le gouvernement par l’intermédiaire du préfet.

Si la cour d’appel se déclare incompétente, l’affaire sera portée devant le Conseil d’Etat, qui s’est déjà prononcé, en octobre 2005, en validant l’ordonnance créant le CNE. Dans le cas contraire, le préfet portera l’affaire devant le tribunal des conflits, qui arbitre entre le juge administratif et le juge judiciaire. Mais en cas de partage, c’est le garde des sceaux qui aura le dernier mot. "Dans tous les cas, c’est gagné pour le gouvernement", conclut une source judiciaire. La cour d’appel pourrait cependant aussi saisir la Cour de cassation pour avis. Celui-ci n’aurait pas de force contraignante, mais une portée symbolique.

Le ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, se dit "serein". Le gouvernement attend, en novembre, la décision de l’OIT sur le recours déposé par FO contre le CNE devant le Bureau international du travail (BIT) en août 2005. Les arguments transmis par le ministre au BIT étant les mêmes que ceux employés devant le Conseil d’Etat, il se montre confiant. "L’OIT est l’organisation la plus compétente pour juger de la conformité du texte français avec l’une de ses conventions", fait valoir le cabinet du ministre.

Pour "répondre à l’intervention directe du préfet et du gouvernement", la CGT, la CFDT et FO ont décidé d’intervenir directement devant la cour d’appel bien qu’elles ne soient pas parties prenantes dans le dossier et de déposer des conclusions à l’audience, comme une loi de 1920 les y autorise s’agissant de faits "portant atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu’ils représentent". Cette démarche n’a pas été engagée depuis 1986.

CNE : le parquet général estime que la cour d’appel de Paris est compétente [1]

Le parquet général a estimé vendredi que la cour d’appel de Paris était compétente pour se prononcer sur une décision du conseil des prud’hommes de Longjumeau jugeant le CNE contraire au droit international alors que le préfet de l’Essonne souhaitait la saisine de la justice administrative.

L’arrêt de la 18e chambre de la cour d’appel sur cette requête particulière et non sur le fond de l’affaire sera rendu le 20 octobre.

Dans un mémoire adressé au procureur général de la cour d’appel de Paris du 18 juillet, le préfet de l’Essonne, Gérard Moisselin, demandait à la cour "de décliner la compétence du juge judiciaire" au profit de la justice administrative, l’ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelles embauches (CNE) relevant du domaine réglementaire.

L’avocat général a requis le "rejet" de cette requête notamment parce que le conseil des prud’hommes de Longjumeau (Essonne) a estimé que le CNE était "contraire" à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiée par la France, texte supranational qui revêt un caractère judiciaire.

L’avocat général, qui a également estimé que "la question posée par le déclinatoire (demande visant à contester la compétence d’une juridiction, ndlr) n’est pas nécessaire à la solution du litige", est ainsi allé dans le sens des syndicats qui réclament également le rejet de ce "déclinatoire".

[...]

Le préfet de l’Essonne avait indiqué avoir "agi sur instruction du ministère de l’emploi".

Extraits de la décision du conseil de prud’hommes de Longjumeau

Le CNE pris entre deux juges, Justice n° 187 de mai 2006


De l’application directe de la convention internationale du travail vue par la Cour de cassation...

Dans un arrêt du 29 mars 2006, la Cour de cassation a estimé :

"Vu les articles 1°, le b) du paragraphe 2 de l’article 2 et l’article 11 de la Convention internationale du travail n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur adoptée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, qui sont d’application directe devant les juridiction nationales ; ensemble les articles L. 122-5 et L. 122-6 du Code du travail (...)"

... à son application par le conseil des prud’hommes de Longjumeau

Le 28 avril 2006, se référant explicitement à l’arrêt de la Cour, le conseil des prud’hommes de Longjumeau rendait une décision aux attendus extrèmement sévères sur l’application du contrat nouvelles embauches au cas d’espèce.

Il constatait notamment :

"Attendu qu’en tout état de cause, à supposer que l’ordonnance du 2 août 2005 ait eu la moindre
valeur juridique, le Conseil relève,que la signature d’un contrat nouvelle embauche avec un salarié
déjà présent dans l’entreprise, au titre d’un CDD comme I’employeur le prétendait, ou au titre d’un
contrat à durée indéterminée de droit commun, ce qui est la réalité juridique de l’espèce, contrarie
les prévisions de cette ordonnance ;

"Qu’en effet, cette forme contractuelle prétend permettre de "nouvelles embauches" ;

"Qu’elle ne pouvait donc être utilisée pour précariser la situation d’un salarié déjà présent dans I’entreprise à un poste pérenne de celle-ci ; (...)"

Mais l’intérêt de ce jugement [...] réside surtout dans les conséquences que le conseil de Longjumeau tire de l’arrêt de la Cour de cassation quant à l’applicabilité directe de la Convention internationale du travail n°158 :

"Sur le contrat dit nouvelles embauches :

"Attendu que la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail a été ratifiée par la France et est entrée en vigueur en France le 16 mars 1990 ;

"Qu’elle a plein effet en droit interne, comme l’a rappelé la Cour de cassation par l’arrêt de la chambre sociale du 29 mars 2006 ;

[Or, analyse le conseil, ce texte a valeur supérieure à la loi d’après l’article 55 de la constitution, et les juridictions judiciaires ont le pouvoir de contrôler la conformité de ce texte aux engagements internationaux de la France - Note de Justice]

"Que le Conseil de prud’hommes est ainsi compétent pour apprécier la conformité de l’ordonnance du 2 août 2005 à la convention 158 de l’OIT ;

(...)

"Que ladite convention prévoit dans son article 2.2.b) : "un membre pourra exclure du champ d’application de l’ensemble ou de certaines des dispositions de la présente convention les catégories suivantes de travailleurs salariés : (...)les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable" ;

(...)

"Attendu que le Conseil doit alors s’interroger sur l’applicabilité de l’article 2 de la Convention, à savoir l’existence de dérogations en fonction de l’ancienneté du salarié ;

"Qu’aux termes de la Convention, les dérogations ne sont possibles que pour une durée raisonnable, fixée d’avance ;

"Que l’ordonnance fixe une durée de deux ans pour tous les contrats nouvelles embauches ;

(...)

"Qu’une durée de deux ans pour les contrats exécutés en France, est ainsi déraisonnable au regard du droit et des traditions tant internes que comparés ;

(...)

"Attendu que la durée de la période d’essai, dite de consolidation, étant déraisonnable, la dérogation prévue à l’article 2 de la Convention 158 de l’OIT ne s’applique pas ;

"Qu’en conséquence le Conseil constate que l’ordonnace du 2 août 2005 instituant les contrat nouvelles embauches est contraire à la Convention 158 de l’OIT ;

"Que la Convention ayant une valeur supérieure en application de l’article 55 de la Constitution, l’ordonnance du 2 août est privée d’effet juridique ;

"Qu’en conséquence le contrat dénommé à tort "nouvelles embauches" sur le fondement d’un texte non valable s’analyse en contrat à durée indéterminée de droit commun, soumis à toutes les dispositions du Code du travail ; (...)"

A peine 18 jours après ce jugement, une circulaire aux parquets du 8 mars 2006 louait les bienfaits du CNE et invitait les parquets à faire appel systématiquement des décisions des conseils des prud’hommes inopportunes !

Notes

[1Dépêche de l’AFP, 22 septembre 2006.


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