Après le délit de blasphème, une autre exception à la laïcité française.
L’histoire
La loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas en Alsace-Moselle. En effet, à l’époque de son adoption, les territoires actuels du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, faisaient partie de l’Empire germanique [1]. Après leur retour à la France en 1918, le poste de commissaire général de la République en Alsace-Moselle est occupé par Alexandre Millerand, partisan d’une intégration par paliers. C’est sous son influence qu’est votée la loi du 17 octobre 1919 spécifiant que l’Alsace-Moselle continuera à être administrée selon les textes en vigueur constituant le Droit local (en particulier le Concordat de 1802 et le statut scolaire restent en vigueur).
Les élections législatives de 1924 donnent la victoire au Cartel des Gauches. Devant la volonté du nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, d’achever rapidement l’assimilation de l’Alsace-Moselle - donc la fin du Concordat et la fin de la loi Falloux abrogée en France en 1881 - l’Église catholique organise une campagne de presse, de grandes manifestations, une grève ... pour s’opposer à ce programme. Cette opposition, orchestrée par l’évêque de Strasbourg Monseigneur Ruch, contraint le gouvernement Herriot à renoncer à son projet [2].
Quatre cultes « reconnus »
Ces trois départements continuent donc à relever d’un droit spécifique local, qui couvre notamment la législation sociale, le droit du travail, et les cultes religieux.
Le culte catholique est régi par le concordat napoléonien amendé [3] conclu en 1802 entre Bonaparte et le pape Pie VII. Trois autres cultes sont régis par des règles analogues : les cultes luthérien (Eglise de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine) et réformé (Eglise réformée d’Alsace et de Lorraine) [4], et juif.
Les statuts de ces quatre cultes reconnus reposent sur deux principes :
Les cultes dits non reconnus s’organisent librement dans le cadre des institutions du droit privé - les collectivités publiques ayant la faculté de leur apporter les soutiens matériels qui leur paraissent appropriés.
L’enseignement religieux à l’école publique
Le « statut scolaire local » organise l’enseignement de la religion (le "catéchisme") dans l’école, en se limitant aux quatre confessions reconnues - ignorant donc les musulmans et les non croyants. Il repose essentiellement sur la loi Falloux de 1850 et la législation allemande de la fin du XIXe siècle [6].
Dès 1936, un système de dispenses avait été établi. Leur multiplication a érodé la fréquentation, et, aujourd’hui, une majorité des élèves concernés ne suivent pas cet enseignement [7].
Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 6 avril 2001, a précisé clairement le droit actuel : l’enseignement religieux à l’école publique n’est pas obligatoire pour les élèves [8] ; la seule obligation incombe à l’Etat qui est tenu d’organiser cet enseignement conformément à la réglementation locale.
Dans une lettre adressée le 8 août 2001 au Ministre de l’Education nationale [9], le président de la Ligue des droits de l’Homme demandait que « l’obligation soit faite à tous les chefs d’établissement (directeurs d’écoles, principaux de collèges et proviseurs) d’avoir à informer clairement chaque année les parents quant à leur droit à la dispense de l’enseignement religieux. » A cet égard, il ne semble pas que la situation soit devenue satisfaisante.
La commission Stasi
Dans son rapport remis au président de la République le 11 décembre 2003, la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi, revient sur la question :
« La commission estime que la réaffirmation de la laïcité ne conduit pas à remettre en cause le statut particulier de l’Alsace-Moselle, auquel est particulièrement attachée la population de ces trois départements. Un aménagement lui paraît cependant nécessaire. Doit être envisagée toute mesure permettant d’affirmer l’égalité des croyants, des athées et des agnostiques. La pratique actuelle, qui oblige les parents à effectuer une demande spécifique pour que leurs enfants soient dispensés de l’enseignement religieux, pourrait être modifiée. Il suffirait qu’un formulaire soit remis en début d’année scolaire aux parents, afin qu’ils répondent positivement ou négativement à cette offre de cours. » [10]
Parmi d’autres propositions visant à « affirmer une laïcité ferme qui rassemble », la commission propose de « laisser ouvert le choix de suivre ou non un enseignement religieux » [11].
Un statut qui doit évoluer
Le 6 janvier 2006, le président Jacques Chirac est venu à Metz pour une cérémonie nationale de présentation des vœux.
A cette occasion, une adresse, émanant de représentants de la FSU, FCPE et de la Ligue de l’Enseignement, lui a été remise, insistant sur les points suivants :
Ces demandes s’appuient sur le respect de la laïcité comme principe universel et comme valeur républicaine.
Il semble malheureusement qu’elles n’aient toujours pas été entendues - si l’on en juge par un point de vue de Claude Hollé et Bernard Anclin paru le 4 février 2006 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace [12] et par un article récent de Roland Pfefferkorn : « Le statut scolaire d’Alsace-Moselle : un archaïsme intenable » [13].
[1] Ils avaient été annexés par l’Allemagne à la suite de la défaite de 1871.
[2] Source : la page http://www.sgen-cfdt.org/actu/artic... du site du syndicat SGEN-CFDT.
[3] Le concordat a le statut de traité international liant la France et le Saint-Siège.
[4] D’après un article de
Yolande Baldeweck, dans Le Figaro du 20 avril 2006, ces deux cultes viennent de « sceller leur union ».
[5] La rémunération du clergé n’est pas spécifique à l’Alsace-Moselle, puisque l’on retrouve certaines de ces dispositions en Guyane, à Mayotte, à la Martinique, en Guadeloupe ou bien encore sur l’île de la Réunion, où les ministres du culte catholique émargent au budget du département.
[6] Concernant l’enseignement supérieur, l’université publique Marc-Bloch de Strasbourg est la seule en France à intégrer deux facultés de théologie, catholique et protestante, délivrant des diplômes d’Etat.
[7] Il est difficile de donner des chiffres précis, mais environ la moitié des élèves dans les écoles, les deux tiers en collège, et la quasi-totalité en lycée ne suivent pas l’enseignement proposé.
[8] En janvier 2000, la mère d’une collégienne d’Hagondange s’était vue suspendre momentanément les allocations familiales pour quelques heures d’absence de sa fille en cours de religion pour lesquels elle avait demandé une dispense.
[9] Source : http://www.ldh-france.org/actu_loca....
[10] Page 49 du rapport de la commission Stasi http://www.laic.info/Members/webmes....
[11] Page 65 du rapport.
[12] Le texte de ce point de vue est accessible sur Internet, accompagné d’un appel à signer une pétition en ce sens : http://laicite.blog.lemonde.fr/laicite/.
[13] La pensée, n° 334, oct - déc 2005.