vous oubliez les grands-parents, monsieur Ciotti


article de la rubrique discriminations > “violence” des jeunes
date de publication : mardi 3 août 2010
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Le 30 juillet 2010, lors de la prise de fonction du nouveau préfet de l’Isère, Nicolas Sarkozy a déclaré « souhaite[r] que la responsabilité des parents soit mise en cause lorsque des mineurs commettent des infractions. Les parents manifestement négligents pourront voir leur responsabilité engagée sur le plan pénal. » [1]

Quarante-huit heures plus tard, en disciple dévoué, le député des Alpes- Maritimes Eric Ciotti, “monsieur sécurité” de l’UMP, révélait qu’il était en train d’achever la rédaction d’une proposition de loi sur la responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants, un texte qui doit être déposé au début du mois de septembre et que Bernard Girard analyse ci-dessous.

En toute logique, Eric Ciotti ne devrait pas s’arrêter là : si les parents de mineurs délinquants sont des délinquants, leurs propres parents ne devraient-ils pas également être mis en cause – d’ailleurs, que faisaient-ils en mai 68 ? Ne faudrait-il pas mettre ces grands-parents démissionnaires face à leurs responsabilités ?

[Mis en ligne le 2 août 2010, mis à jour le 3]



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Eric Ciotti et Nicolas Sarkozy

Ciotti ou la guerre civile

par Bernard Girard, Journal d’école, 2 août 2010


Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, secrétaire national UMP en charge de la sécurité, s’apprête à déposer une proposition de loi visant à sanctionner les parents jugés défaillants dans l’éducation de leurs enfants. Le texte frappe fort et ratisse large : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, le fait par le père ou la mère de laisser son enfant mineur, lorsque celui-ci a été poursuivi ou condamné pour une infraction, violer les interdictions et les obligations auxquelles il est soumis. » Ainsi formulé, on note qu’il n’est même pas nécessaire que l’enfant ait été condamné – il suffit qu’il ait été poursuivi – pour que s’enclenche la procédure pénale.
L’argumentation développée par le député dans le JDD du 1er août [2] s’appuie sur un certain nombre de contre-vérités touchant à la délinquance des mineurs, des clichés éculés sur mai 68 mais surtout de douteux amalgames autour de groupes ciblés, reflétant une pensée retorse et confuse.

Au regard de chiffres hautement improbables, dans lesquels il voit une augmentation de la délinquance des mineurs, Ciotti reprend la rengaine sur « les enfants de plus en plus jeunes concernés par des faits de plus en plus graves ». Une rengaine qui semble tout ignorer des conclusions avancées par les chercheurs [3] les plus compétents qui ne retrouvent pas cette prétendue explosions de la délinquance juvénile à travers leurs recherches et enquêtes, analyse également appuyée par les travaux d’historiens pour qui les jeunes n’ont jamais été aussi peu violents qu’à notre époque. Et puisque Ciotti persiste dans ses affirmations, on est alors en droit de se demander à quoi ont pu servir le durcissement continu de la justice des mineurs depuis 2007 et la préférence accordée à l’enfermement sur l’éducation, notamment par la création des centres éducatifs fermés qui, pour leurs initiateurs, devaient permettre d’en finir avec la délinquance des mineurs.

L’argumentaire pour le moins sommaire sombre dans la caricature avec la dénonciation de la déliquescence des mœurs et de la famille « dont les bases – poursuit Ciotti – ont été sapées depuis mai 68, quand on a commencé à pilonner les notions d’autorité, de discipline, de respect de la règle et, plus globalement, de respect des lois ». Avec cette accusation qui ne manque pas de piquant dans le contexte actuel d’un gouvernement englué dans des affaires douteuses mettant à mal, précisément, le respect de la règle et des lois, le député reprend ce qui avait été un des thèmes de prédilection du candidat Sarkozy lors des élections de 2007, discours aux relents d’ordre moral, ressassé, usé jusqu’à la corde. Manifestement très ignorant des réalités éducatives, Ciotti n’en persiste pas moins à vouloir intervenir dans un domaine sur lequel il n’a ni légitimité ni compétence pour le faire. Il s’était déjà signalé en juin dernier par son obstination brutale, malgré l’opposition unanime des parents et des milieux de l’éducation, à faire adopter un amendement privant des allocations familiales les parents d’élèves absentéistes. Sa dénonciation opiniâtre d’un supposé laxisme parental le conduit aujourd’hui à inclure dans la responsabilité des parents les « obligations de résultats scolaires » de l’enfant. Appliquée à la lettre, cette obligation pourrait conduire en prison les parents d’élèves dont les résultats scolaires ne seraient pas jugés satisfaisants. En dépit de son profond ridicule, le cynisme de cette proposition se rattache en réalité à une idéologie qui s’est dangereusement développée depuis quelques années et qui fait des difficultés scolaires le signe, non pas de difficultés d’apprentissage, mais de la mauvaise volonté de l’élève ou de la négligence des parents et qu’il faut donc traiter comme tels. La suspension des allocations familiales, la prison pour les parents, la création annoncée pour la rentrée d’ « établissements de réinsertion scolaire », en réalité de colonies pénitentiaires pour les élèves jugés difficiles, toutes ces mesures imposées par Sarkozy avec un entêtement jamais démenti, se ramènent à quelques idées simplistes et rudimentaires : puisque l’échec scolaire est la marque de la délinquance, la punition doit passer avant l’éducation.

Confusion, amalgame, assimilations tendancieuses, dénonciations injurieuses, Ciotti, à travers sa proposition de loi, nouvel avatar d’un activisme maladif, quasi paranoïaque, donne l’exemple du pire en matière d’action politique. Dans son entretien au JDD, il n’hésite pas à rapprocher dans un même opprobre « le comportement de certains Roms, …l’absentéisme scolaire, …les bandes » (sic), toutes choses qui relèvent d’un seul remède : « la guerre contre la délinquance…une guerre de mouvement ». Ciotti connaît-il le sens des mots qu’il utilise ? En se lâchant sans retenue dans la stigmatisation de catégories entières de la société, les jeunes, les Roms, les immigrés et leurs descendants, les parents, à des degrés divers considérés comme des ennemis contre lequel il faut partir en guerre, la droite, sans doute affolée par les prochaines perspectives sociales et économiques, puis électorales, délaisse le registre du débat d’idées, légitime, pour se placer sur un terrain qui n’a plus rien à voir avec la démocratie.

Bernard Girard


P.-S.

On lira également, sur le blog de Jean-Pierre Rosenczveig : « Cool Papa, ! J’t’apporterai des oranges … ! ».


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