visite « inopinée » du sénateur Robert Bret au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède


article de la rubrique prisons > Toulon - La Farlède
date de publication : mercredi 30 novembre 2005
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Le 21 novembre 2005, à la demande de la section de Toulon de la Ligue des Droits de l’Homme, Robert Bret, sénateur des Bouches du Rhône, s’est rendu au CENTRE PENITENTIAIRE DE TOULON LA FARLEDE - inauguré de façon solennelle le 20 avril 2004 par Dominique PERBEN, alors Ministre de la Justice - pour faire, 17 mois plus tard, un premier bilan des conditions de détention.

Voici son compte-rendu.

[Page rédigée le 30 novembre 2005, et complétée en février 2006.]


Les caractéristiques de l’établissement

Cet établissement est composé :

- d’une MAISON D’ARRET pour hommes constituée de 2 bâtiments qui disposent de 454 lits alors que théoriquement 373 places sont prévues. Il y avait ce jour 476 détenus ou prévenus, dont 8 en quartier d’isolement et 8 en quartier disciplinaire.
Il faut noter que l’ancien établissement de Saint-Roch sert pour partie de « délestage » quand la Maison d’Arrêt de La Farlède atteint un taux de surpopulation carcérale trop élevé. Saint-Roch dispose de 62 places et d’un quartier de semi-liberté de 40 places.

- d’un CENTRE DE DÉTENTION de 192 places théoriques. Il y avait ce jour 171 détenus.

- et d’un QUARTIER POUR MINEURS de 19 places. Il y avait 13 incarcérés ce jour là.

- QIS (quartier en instance de sortie, à Saint Roch) 52.

- SL (semi liberté) 13 [1].

- PSE (placement sous surveillance électronique) 7 [2].

Soit TOTAL DES PERSONNES ÉCROUÉES : 732
dont 712 sont détenues "à 100 %".

Enfin, 50 détenus (sur un objectif de 80) profitent d’un travail dans les ateliers et 70 autres bénéficient d’une formation professionnelle pouvant aller jusqu’à 500 heures (une de ces formations prépare au CAP Pâtisserie).

Suite aux articles parus dans les quotidiens La Marseillaise et Var Matin reprenant mes propos à l’issue de ma visite, je tiens à préciser que M.FONTAINE, Administrateur et Délégué pour le Var d’AUXILIA, Association spécialisée dans la lutte contre l’illettrisme et les remises à niveau - étape nécessaire avant d’envisager une formation qualifiante-, a pris contact avec moi pour me préciser, et ainsi compléter mes propos, que 77 détenus de la Farlède bénéficiaient de ces cours de remise à niveau dont un pour apprentissage de la langue française et un autre en cours d’alphabétisation.

Questions évoquées au cours de ma visite

• Alors qu’une Commission visant à lutter contre les suicides (avec un suivi des détenus à risques) en partenariat avec l’UCSA a été mise en place dès 2004 à Saint-Roch et poursuit son travail sur La Farlède, on déplore 4 suicides (3 selon le Directeur, le 4ème serait dû à une overdose).

• L’établissement a connu depuis son ouverture de nombreux incendies (8 cellules ont été totalement détruites).
Un détenu est actuellement poursuivi pour tentative d’homicide à l’encontre de son co-détenu.

Ces incendies sont provoqués par des détenus qui devraient être placés en établissement psychiatrique. Il faut savoir que près de la moitié de la population carcérale de l’établissement a un suivi médical psychiatrique. La prison est-elle la meilleure réponse ?

• De nombreuses discussions avec les détenus attestent d’un problème avec un des deux Juges d’Application des Peines (JAP) jugé trop sévère quant à l’octroi des remises de peines et des permissions de sortie (pour les détenus en semi liberté). Consécutivement on assiste à une dégradation du climat de l’établissement avec une grève des plateaux repas après avoir mis les postes de télévision dans les couloirs. D’autant que de nombreux détenus récidivistes peuvent faire des comparaisons avec d’autres établissements et les décisions d’autres JAP.

• J’ai posé la question de la sécurité des détenus délinquants sexuels, mélangés avec les autres détenus et qui subissent brimades et sévices ; au point que certains détenus en sont réduits à ne plus sortir de leur cellule.
Le directeur a évoqué une réorganisation visant à regrouper ces détenus dans un même bâtiment (ou une partie de bâtiment) avec une cour de promenades séparée (ou à des heures différentes) pour éviter ou limiter ces violences.

EN CONCLUSION

Par rapport à ma visite surprise de Saint Roch en 2004 (où l’on décomptait 334 personnes détenues), je constate que mes doutes, en matière de désencombrement et mes craintes quant à un élargissement du contrôle pénal de la population étaient pleinement justifiés au vu des 719 détenus de ce jour.

En effet, au vu du bilan de la LDH, force est de constater que la création d’un deuxième établissement n’a pas permis de mettre un terme au surpeuplement. Dès lors, nous pouvons affirmer que plus il y a de places plus on remplit les centres pénitentiaires.

Qu’à défaut de rendre plus humain le parc pénitentiaire, ce nouvel établissement n’avait pour objectif que de doubler le nombre de places disponibles. D’ailleurs, alors que Saint Roch accueille le quartier de semi liberté, le fait que très peu de permissions ou de conditionnelles ne soient accordées témoigne de cette volonté d’enfermer toujours plus.

Plus de cinq années après les deux commissions d’enquête parlementaires, force est de constater que la situation non seulement ne s’est pas améliorée, mais s’est, en outre, largement dégradée.

L’actuel gouvernement, faisant fi du travail sérieux effectué par les parlementaires d’opinion politique diverse a - singulièrement avec ses lois PERBEN I et II et SARKOZY - pris l’exact contre-pied de leurs conclusions et recommandations dont l’actualité et la pertinence sont pourtant toujours de mise.

La commission d’enquête sénatoriale concluait qu’il était urgent d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur qui mettre en prison, et de réfléchir aux alternatives à l’incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, contre les suicides en prison etc.. Toutes ces réflexions et pistes de travail sont passées à la trappe !

Tant que la politique pénale du pays restera axée sur le tout sécuritaire et la seule incarcération, les conditions de détention continueront de se détériorer tout comme les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Plus fondamentalement, c’est notre système pénal tout entier qu’il convient de réviser, lui qui est essentiellement basé sur la répression, ignorant la prévention, la réinsertion et donc la lutte contre la récidive.

Pour remédier à la surpopulation carcérale, le gouvernement n’envisage qu’un seul type de réponse : la construction de nouvelles prisons.

Or, il s’agit d’une « vraie-fausse solution » tant on sait que plus on construit de prisons, plus on incarcère et plus on a de surpopulation. Ce cercle vicieux est désormais bien établi.

Pour finir, et cela avait déjà été souligné lors des commissions d’enquête parlementaires, non seulement on meurt en prison mais l’on meurt plus dans les établissements neufs que dans les anciens. La Farlède confirme une fois encore cette problématique.

On est bien loin du discours inaugural du Garde des Sceaux qui déclarait : - " une remarquable illustration de nos effort pour [...] humaniser notre parc pénitentiaire ".

Il devient urgent de réfléchir à comment rendre plus humaine, plus sociale l’incarcération.
Pour ma part, je reste convaincu qu’il est nécessaire de faire entrer la société et ses services à l’intérieur de l’univers carcéral pour d’une part rompre l’isolement total des détenus, favoriser leur vie relationnelle et d’autre part les préparer à leur future sortie.
Les détenus doivent pouvoir accéder aux soins médicaux (médecins, psychologues, psychiatres, dentistes...), aux services sociaux, à l’enseignement, ils doivent également pouvoir, s’ils en expriment le besoin, accéder aux services cultuels.

D’autant, que nous avons pu pointer combien les détenus souffrent d’un manque de « relationnel » vecteur de suicide. Hormis le parloir, ils n’ont, somme toute, que des échanges avec l’univers carcéral : personnels pénitentiaires, avocats, codétenus, éducateurs, visiteurs de prisons... Là aussi un travail est à faire

Marseille, lundi 28 novembre 2005.

Robert Bret

Notes

[1Le régime de semi liberté consiste en général à quitter la prison de Saint Roch le matin vers 7h-8h et à la réintégrer le soir au plus tard vers 19h-20h aprés la journée de travail, ainsi que les samedi et dimanche (ou que le dimanche , ou samedi aprés midi etc...selon les horaires de travail). Ils sont considérés comme détenus, mais leur régime vise soit à sauvegarder l’emploi qu’ils avaient, soit aprés une période d’incarcération à 100% à les remettre , tout en terminant leur peine, dans la vie active et sociale. (Note de LDH-Toulon.)

[2Les PSE sont juridiquement écroués (ne pas respecter les horaires de présence à domicile du PSE est une évasion), mais ils ne sont pas détenus au sens "classique" : leur régime consiste à être présents durant certaines plages horaires à leur domicile ; s’ils sortent du rayon du domicile en dehors des horaires prévus, une alarme le signale au centre de contrôle qui effectue une vérification. (Note de LDH-Toulon.)


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