vidéosurveillance : rebaptisée vidéoprotection, elle pourra être imposée par l’État


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : dimanche 14 février 2010
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Non ! la phrase suivante n’est pas extraite de 1984, et George Orwell n’en est pas l’auteur :

« Dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot “vidéosurveillance” est remplacé par le mot “vidéoprotection”. »

Cette disposition est inscrite dans un amendement à la LOPPSI 2 adopté par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Un autre amendement donne maintenant aux préfets le moyen d’imposer cette “vidéoprotection” aux maires récalcitrants.Le vote sur l’ensemble du projet de loi aura lieu le 16 février 2010 à l’Assemblée nationale.
Pour apprécier la portée de ces mesures il faut revenir à la stratégie électoraliste de Nicolas Sarkozy.

L’Assemblée nationale, ayant terminé l’examen du projet de LOPPSI 2, l’adoptera par un vote mardi 16 février. Le texte devra encore être examiné au Sénat.

[Mise en ligne le 6 février 2010, revue et mise à jour le 14]



Voir en ligne : la vidéosurveillance est coûteuse et inefficace, mais le gouvernement tente de l’imposer

Un panneau voué à disparaître.


L’amendement CL 158 a été présenté par le gouvernement puis adopté le 27 janvier 2010 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, à l’occasion de l’examen de la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure [1] – plus familièrement désignée par le sobriquet de LOPPSI 2.

Voici l’“exposé sommaire” qu’en donnent les services de Brice Hortefeux [2] :

« L’article 10 de la loi du 21 janvier 1995 énonce les finalités qui peuvent justifier l’installation d’un système de vidéoprotection. Il s’agit d’assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation du trafic routier, la constatation des infractions aux règles de la circulation ou la
prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux
particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol.

« A la lecture de ces finalités, il apparaît très nettement que le recours à la prise d’images poursuit un objectif de protection des atteintes aux personnes et aux biens.

« Le mot de “vidéosurveillance” est donc inapproprié car le terme de “surveillance” peut laisser penser à nos concitoyens, à tort, que ces systèmes pourraient porter atteinte à certains aspects de la vie privée. Dès lors, il y a lieu de remplacer le mot “vidéosurveillance” par le mot “vidéoprotection”, qui reflète plus fidèlement tant la volonté du législateur que l’action conduite en faveur de nos concitoyens. »

Le justification est un peu courte, mais elle a emporté l’adhésion de la Commission des lois qui a adopté l’amendement. Sa « finalité » véritable est bien entendu de contribuer à imposer la vidéosurveillance aux Français, comme Nicolas Sarkozy l’avait exposé sans ambiguïté en novembre dernier.


Le 24 novembre 2009...

« Il va y avoir les élections régionales...  »

En déplacement en banlieue parisienne le 24 novembre 2009, Nicolas Sarkozy avait animé une table-ronde au Perreux-sur-Marne. Au programme, la lutte contre les trafics de drogue, l’immigration, et... la vidéosurveillance. Dans son intervention, le chef de l’Etat avait fait part de son intention de permettre aux préfets d’imposer la vidéosurveillance aux maires qui la refusent :

« Le ministre de l’Intérieur va déposer ce qu’on appelle la Loppsi, enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la Police et la Gendarmerie au début de l’année prochaine. Il a prévu, je le soutiens totalement, dans ce texte, que si un maire refuse l’installation de vidéosurveillance sur son territoire, le préfet puisse se substituer à ce maire. Je prends mes responsabilités. Ma première responsabilité c’est d’assurer votre sécurité. Pas d’idéologie avec cela. Des résultats et du pragmatisme. »


Auparavant, le Président avait précisé le sens de cette décision :

« Ceux qui sont contre peuvent me demander de retirer les caméras, mais
qu’ils le disent aux Français, qu’ils n’hésitent pas,
[...] il va y
avoir les élections régionales,
[...] on va voir le succès qu’ils auront. ».


Le 27 janvier 2010..

« Il convient également que l’Etat puisse passer outre... »

Lors de l’examen de la LOPPSI 2 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Brice Hortefeux a proposé au nom du gouvernement l’amendement CL 160, dont l’objectif est de permettre de forcer la main des élus de terrain réticents. S’appuyant sur une prétendue « efficacité de la vidéoprotection dans la prévention de la délinquance » – « efficacité » qu’aucune étude sérieuse ne permet de confirmer [3] – la présentation de cet amendement annonce clairement son objectif [4] :

« L’objet du présent amendement est de favoriser le développement de la vidéoprotection dans les communes où son implantation se justifie. Il convient pour cela que les autorités communales s’interrogent plus systématiquement sur l’implantation de la vidéoprotection. Il convient également que l’Etat puisse passer outre à leur inertie en la matière lorsque celle-ci conduit à ne pas recourir à cette technique alors que son intérêt est pourtant établi au regard
des circonstances locales. »

L’amendement prévoit en effet de donner aux préfectures le pouvoir d’ordonner la réalisation d’études de sécurité sur les besoins des communes en matière de vidéosurveillance, lorsque les conseils municipaux rejettent de telles études. Mieux, si l’étude conclut à la nécessité d’installer des caméras de surveillance, la préfecture pourrait les faire installer de force contre l’avis des élus locaux – la facture restant bien entendu à la charge des municipalités.

L’opposition d’élus de droite et de gauche a contraint Brice Hortefeux à retirer son amendement, mercredi 27 janvier, afin de le « retravailler »... mais le projet de LOPPSI 2 était loin du terme de son parcours parlementaire !

Une consolation pour le ministre : la commission avait adopté l’amendement CL 190 [5] qui permet « au préfet d’autoriser l’installation de dispositifs de vidéosurveillance à titre provisoire et sans réunir la commission départementale de vidéosurveillance lorsqu’il est confronté à une manifestation ou à un rassemblement de grande ampleur présentant des risques pour l’ordre public (rassemblements festifs ou sportifs, rave party…). » [6]


Le 11 février 2010...

L’Etat pourra imposer aux maires l’installation de caméras de vidéosurveillance

Lors de l’examen par l’Assemblée nationale [7], jeudi 11 février, du projet de loi LOPPSI 2, le gouvernement a fait adopter, un amendement [8] déposé en commission par Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur, « qui souhaitait autoriser les préfets à imposer la vidéosurveillance aux maires récalcitrants. Et à leurs frais. François Baroin (UMP, Aube), éphémère ministre de l’intérieur en 2007, s’y était vivement opposé, au point que le ministre avait retiré son amendement. Avant de le remettre jeudi sur la table de l’Assemblée. "Dans trois cas précis, a indiqué le ministre, la prévention des actes de terrorisme, les sites d’importance vitale, ou les intérêts fondamentaux de la nation, il faut que le dernier mot reste à l’Etat." Le préfet pourra ainsi imposer des caméras. L’Etat financera jusqu’à la moitié de l’investissement. » [9]

L’amendement complète l’article 10-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité [10] :

« VI. – Aux fins de prévention d’actes de terrorisme, de protection des abords des établissements, installations ou ouvrages mentionnés aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense, ou de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, le représentant de l’État dans le département, ou à Paris le préfet de police, peut demander à une commune la mise en oeuvre de systèmes de vidéoprotection. Le conseil municipal doit en délibérer dans un délai de trois mois.

« En cas de refus ou d’abstention du conseil municipal ou si le représentant de l’État dans le département, ou à Paris le préfet de police, estime que le projet de la commune méconnaît une nécessité impérieuse de sécurité publique, le représentant de l’État dans le département, ou à Paris le préfet de police, installe le dispositif qu’il estime approprié. Il est habilité à passer, pour le compte de la commune et en se substituant au maire et au conseil municipal, les marchés nécessaires à cette installation. »

« Delphine Batho (PS, Deux-Sèvres) a fait observer que la mesure était contraire à la libre organisation des collectivités territoriales ; François Pupponi (PS, Val-d’Oise), s’il "comprend la logique", s’est inquiété des coûts de financement. Treize caméras ont été installées à La Courneuve, a expliqué son maire, Daniel Goldberg (PS, Seine-Saint-Denis), ce qui représente 543 000 euros d’investissement. La subvention de 104 000 euros n’y a pas suffi. D’autant que le coût de
fonctionnement de l’installation s’élève à 242 000 euros par an. Qui va payer ? Le ministre n’a pas répondu, la droite n’a dit mot, l’amendement a été adopté. » [9]

« Si le PCF et les Verts restent très hostiles à la vidéosurveillance, le Parti socialiste a mis de l’eau dans son vin, comme pour les polices municipales ou l’occupation des halls d’immeuble, et il a voté la nouvelle mouture comme un seul homme. "Le soi-disant laxisme des socialistes ne passe plus, a plaidé M. Pupponi. Nous avons pu avoir des torts dans le passé. Nous avons essayé de les analyser, et vous pouvez venir dans les municipalités socialistes : nous y avons implanté sans aucun scrupule des caméras." » [9]

P.-S.

Références

Notes

[1Rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, page 159.

[2Liste des amendements examinés en commission, page 103.

[4Liste des amendements examinés en commission, pages 113-115.

[5Rapport de la Commission des lois, page 171.

[6Liste des amendements examinés en commission, page 110.

[7Le compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/1....

[8Amendement n° 300 : http://www.assemblee-nationale.fr/1....

[9Franck Johannès, Le Monde daté du 13 février 2010.

[10Référence : page 20 de http://www.assemblee-nationale.fr/1....


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