un tableau accablant de la vidéosurveillance en Grande-Bretagne


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : vendredi 3 novembre 2006
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Un avenir angoissant... - un dossier de Laurent Suply, publié dans Le Figaro du 2 novembre 2006.


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4.2 millions de caméras sont installées au Royaume-Uni.

La Cnil britannique dresse un tableau accablant de la vidéosurveillance en Grande-Bretagne, et met en garde contre ses dérives. Elle appelle les citoyens à « se réveiller » et à mener un grand débat public sur ce thème.

George Orwell l’avait surnommé Big Brother, mais c’est sous l’œil de “CCTV” que vivent les Britanniques. Avec une caméra pour 14 habitants dans les rues ou les commerces (4.2 millions au total), la Grande Bretagne est la nation la plus espionnée du monde. Les premières caméras de surveillance ont été installées dès 1953, à l’occasion du couronnement d’Elizabeth II. A cet « œil attentif » s’ajoutent le suivi à la trace des paiements par cartes bancaires, des communications des téléphones mobiles, ou des GPS embarqués dans les voitures.

En plein essor depuis le 11-Septembre

L’Information Commissioner’s Office (ICO), équivalent de la Cnil française, tire donc la sonnette d’alarme. Il y a deux ans déjà, son président, Richard Thomas, affirmait que l’archipel « se dirigeait tel un somnambule vers une société de la surveillance ». Dans un nouveau rapport publié jeudi, il estime que le pays vient juste de s’y réveiller, et que cet œil omniscient et omniprésent est là, et ne risque pas de les lâcher. Ces dérives sont d’autant plus inquiétantes que l’Etat, tout en cherchant à en savoir plus, s’échine à en dire le moins possible.

Le rapport souligne que la vidéosurveillance a pris un essor considérable depuis le début de la « Guerre contre le Terrorisme » des Etats-Unis, auxquels est alliée la Grande-Bretagne. Il détaille ce processus de généralisation en quatre phases : d’abord, la surveillance se donne un but précis et public. Puis elle devient une « routine », s’intègre au paysage, avant de se faire « systématique ». Dernière étape : la vidéosurveillance devient « focalisée ». Elle ne se contente plus d’observer, mais cherche d’elle-même des détails, croise les informations, les classe, et les échange. Avec parfois des erreurs. La commission recense 2.700 cas d’erreurs d’identification par le système de lecture vidéo des plaques d’immatriculations, pourtant des plus simples.

La surveillance, une tendance endémique

La surveillance généralisée entraîne également des discriminations sociales. La commission note que la vie quotidienne des personnes d’origine étrangère a été considérablement compliquée et « ralentie » depuis le 11-Septembre. Ils sont en effet soumis à plus de « points de contrôle » que les autres populations. A l’appui, l’ICO souligne que 40% des hommes noirs ont été intégrés aux fichiers ADN britanniques, contre 9% des blancs, et 13% des asiatiques.

Si l’ICO admet les bénéfices de la vidéosurveillance dans certains cas, il souligne que ce développement se traduit par une perte totale de confiance au sein la société : « La surveillance nourrit la suspicion : les patrons qui installent des dispositifs dans leurs entreprises n’ont pas confiance en leurs employés. Les parents qui utilisent des webcams et des GPS pour veiller sur leurs enfants admettent ne pas leur faire confiance non plus », dit le rapport, qui estime que cette tendance conduit la Grande-Bretagne à un « suicide social ».

Au même moment, l’ONG Privacy International publie son classement annuel des pires sociétés en matière de surveillance et de protection de la vie privée. La Grande-Bretagne a l’honneur de figurer dans le groupe des cinq pays dont la propension à surveiller les faits et gestes des habitants est jugée la plus « endémique ».

Londres en 2016, un tableau angoissant

Le rapport de l’ICO, largement documenté, est aussi accablant. Il appelle les Britanniques à se réveiller. Pour les y inciter, il dresse un tableau, digne des œuvres de science-fiction les plus angoissantes, de ce que pourrait être l’Angleterre en 2016.

• Le contrôle des frontières de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, des pays européens et d’autres pays du G8, devenu G10, a été délégué à un gigantesque consortium privé omniscient : BorderGuard. Grâce à son concept de « frontière intelligente », les humains dotés de papiers biométriques passent les frontières en quelques secondes, tandis que les autres en sont largement dissuadés.

• Big Brother fait aussi de la ‘pub’ : alors que le porte-monnaie est enterré et la carte bleue à l’agonie, les puces RFID implantées dans le bras se chargent du payement. Des publicités personnalisées sont affichées directement dans les magasins en fonction du profil du consommateur. Et si celui-ci a la mauvaise idée d’effectuer un achat jugé « non-conforme à ses habitudes », il risque un blocage préventif de ses moyens de payements. En 2016, on racontera parfois qu’une personne s’est fait amputée du bras dans un recoin sombre. Mais l’Etat l’assure, c’est une simple légende urbaine…

• Suivis dès le berceau, les jeunes britanniques seront vite habitués à cette surveillance permanente. Leurs faits et gestes, leur présence à l’école, leurs notes, ce qu’ils mangent à la cantine, les résultats de leurs tests anti-drogues réguliers… Tous ces éléments seront consultables par leurs parents, mais aussi par l’Etat et par des sociétés tierces.

• Total Social Solution, un autre consortium, fait régner l’ordre et la sécurité. Les riches vivent, rassurés, derrière des murs de barbelés et de caméras. Aux portes, des gardiens surarmés. Les autres, sont soumis au Plan de Comportement Personnel, qui comme dans Minority Report, prévoit les probabilités de crimes en fonction de certains critères sociaux. Pour assurer une efficacité maximale, TSS transforme la CCTV en OCTV (Open-Circuit Television) : les retraités peuvent à loisir se connecter sur les différentes caméras de surveillance de leur région, pour reconnaître un criminel et donner l’alerte. De même, certains se portent volontaires pour enregistrer et communiquer toute leur vie : les gens qu’ils croisent, les conversations qu’ils entendent…

• Omniprésente, la vidéosurveillance est devenue invisible. Caméras, senseurs et barrières ont été discrètement intégrées à l’architecture urbaine. Les hommes des Renseignements Généraux sont au chômage technique. Désormais, les manifestations politiques sont observées de très haut par des drones…

• Les Britanniques doivent choisir entre liberté et aide sociale. En principe, en 2016, les Britanniques sont libres de refuser les puces, les dossiers électroniques… Mais en pratique, ils abandonnent ainsi le droit de prétendre aux postes de fonctionnaires, aux logements aidés, ou aux prêts étudiants. Quelques communautés refusent ce modèle et vont s’installer à la campagne. D’autres, activistes, artistes, et autre tenants de la « sousveillance », choisissent la résistance active. Ils déposent des générateurs à micro-ondes près des lecteurs RFID, aveuglent les caméras à coup de paint-balls…


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