torture : la France sévèrement épinglée par le Comité contre la torture de l’ONU


article de la rubrique torture
date de publication : lundi 9 janvier 2006
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Le Comité contre la torture a tenu sa trente-cinquième session du 7 au 25 novembre 2005 au Palais des Nations, à Genève, pour examiner les mesures prises par la Bosnie-Herzégovine, le Népal, la France, l’Équateur, la République démocratique du Congo, l’Autriche et Sri Lanka pour prévenir et punir les actes de torture Le Comité est un organe de dix experts siégeant à titre personnel. [1]

Il présente ses conclusions et recommandations sur la Bosnie-Herzégovine, le Népal, Sri Lanka, l’Équateur, l’Autriche, la France et la République démocratique du Congo
le 25 novembre 2005 [2]
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Le Comité contre la torture a achevé aujourd’hui les travaux de sa trente-cinquième session qui se tenait au Palais des Nations, à Genève, depuis le 7 novembre dernier, en rendant publiques ses conclusions et recommandations concernant les sept rapports qu’il a examinés au cours de la session et qui étaient présentés par la Bosnie-Herzégovine, le Népal, Sri Lanka, l’Équateur, l’Autriche, la France et la République démocratique du Congo.

En ce qui concerne la France, le Comité prend note avec satisfaction de la création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il réitère sa recommandation selon laquelle une décision de refoulement entraînant une mesure d’éloignement doit pouvoir faire l’objet d’un recours suspensif - effectif dès qu’il est déposé. Tout en relevant la retenue dont les agents de la force publique ont fait preuve lors des troubles qui se sont répandus tout récemment dans de nombreuses villes françaises, le Comité est sérieusement préoccupé par les déclarations du Ministre de l’intérieur demandant aux préfets d’ordonner l’expulsion immédiate des personnes condamnées durant ces émeutes, indépendamment de leur statut administratif. Le Comité souligne que l’expulsion ne devrait pas être utilisée comme une mesure punitive. Il recommande à la France de garantir que toute demande de mesures provisoires de protection adressée par le Comité sera désormais rigoureusement observée. Il reste par ailleurs préoccupé par les mauvaises conditions de détention dans les prisons

Dans ses observations et recommandations sur le troisième rapport périodique de la France, le Comité prend note avec satisfaction de la création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui fait rapport de manière exhaustive sur le comportement des agents de la force publique. Il prend également note avec satisfaction de la création d’une Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention et des zones d’attente, chargée de veiller au respect des droits des étrangers détenus, ainsi qu’au respect des normes relatives à l’hygiène, à la salubrité, à l’aménagement et l’équipement des lieux de rétention, qui devrait entrer en fonction prochainement. Le Comité prend également note avec satisfaction de la loi du 10 décembre 2003 qui accorde une protection subsidiaire à toute personne ne remplissant pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié.

Le Comité reste néanmoins préoccupé par l’absence dans le Code pénal français d’une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention, ce qui peut prêter à confusion et nuire à la collecte des données pertinentes.

Le Comité est par ailleurs préoccupé par la procédure d’asile en vigueur en France, qui ne permet pas à l’heure actuelle de distinguer les demandes d’asile fondées sur l’article 3 de la Convention de l’ensemble des demandes, augmentant ainsi le risque de renvoi de certaines personnes vers un État où elles pourraient être soumises à la torture.

Le Comité est également préoccupé par le caractère expéditif de la procédure dite prioritaire concernant l’examen des demandes déposées dans les centres de rétention administrative ou aux frontières, qui ne permet pas une évaluation des risques conformes à l’article 3 de la Convention. Le Comité réitère par ailleurs sa recommandation selon laquelle une décision de refoulement (« non-admission ») entraînant une mesure d’éloignement doit pouvoir faire l’objet d’un recours suspensif qui devrait être effectif dès l’instant où celui-ci est déposé. Il est en outre recommandé à la France de prendre les mesures nécessaires afin que les personnes refoulées (« non admises ») bénéficient d’office d’un jour franc et soient informées de ce droit dans une langue qu’elles comprennent.

Le Comité est également préoccupé par les nouvelles dispositions de la loi du 10 décembre 2003 introduisant les notions d’« asile interne » et de « pays d’origine sûrs » qui ne garantissent pas une protection absolue contre le risque de renvoi d’une personne vers un État où elle risque d’être soumise à la torture.

Le Comité s’interroge en outre sur les raisons pour lesquelles la France, en intégrant dans sa législation interne la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, n’a pas transposé le considérant 13 stipulant que « nul ne devrait être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture, ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Tout en relevant la retenue dont les agents de la force publique ont fait preuve lors des troubles qui se sont répandus dans de nombreuses villes françaises et face auxquels la police a été mobilisée pour contrôler les émeutes, le Comité est sérieusement préoccupé par les déclarations du Ministre de l’intérieur demandant aux préfets d’ordonner l’expulsion immédiate des personnes condamnées durant ces émeutes, indépendamment de leur statut administratif.

Le Comité craint que la mise en œuvre de cette déclaration puisse avoir un effet discriminatoire, par le fait même qu’elle viserait non seulement des ressortissants étrangers en situation irrégulière, mais également des français naturalisés déchus de leur nationalité par décision de justice et des étrangers jusque là établis régulièrement en France. Par ailleurs, le Comité est préoccupé par le risque de renvoi des personnes ainsi condamnées dans un État où elles risquent d’être soumises à la torture. Le Comité souligne que l’expulsion ne devrait pas être utilisée comme une mesure punitive.

Il recommande en outre à la France de lui fournir des informations sur les allégations qu’il a reçues concernant des arrestations collectives de personnes en vue d’être placées dans des centres de rétention administrative dans l’attente d’un renvoi vers un État tiers.

D’autre part, le Comité estime que la France devrait autoriser la présence d’observateurs des droits de l’homme ou de médecins indépendants à l’occasion de tous les éloignements forcés par avion. Le Comité fait en outre observer à la France qu’il lui avait demandé, en 2001, de surseoir à l’expulsion d’un requérant, compte tenu du fait qu’il existait des motifs sérieux de croire que celui-ci risquait d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine, mais que la France n’a pas jugé opportun de donner une suite favorable à cette recommandation. En ne respectant pas la demande de mesures conservatoires qui lui avait été faite, la France a contrevenu gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention. De plus, le non-respect de cette disposition, en particulier par une action irréparable comme l’expulsion, anéantit la protection des droits consacrés par la Convention.

Le Comité recommande donc à la France de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que toute demande de mesures provisoires de protection adressée par le Comité sera désormais rigoureusement observée.

Le Comité se dit par ailleurs préoccupé par le fait que l’avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale limite le champ de la compétence universelle aux ressortissants d’États non parties au Traité de Rome ; aussi le Comité recommande-t-il à la France de maintenir sa détermination à poursuivre et juger les auteurs présumés d’actes de torture trouvés sur tout territoire sous sa juridiction, quelle que soit leur nationalité.

Le Comité se dit en outre préoccupé par les modifications apportées par la loi du 9 mars 2004 faisant reculer l’accès à l’avocat à la 72ème heure de la garde à vue dans le cadre de la procédure spéciale applicable en matière de criminalité et de délinquance organisée.

Le Comité est également préoccupé par le recours fréquent à la détention provisoire et par la durée de celle-ci.

Il reste en outre préoccupé par les mauvaises conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, ainsi que par l’augmentation des incidents violents entre détenus et des suicides.

Le Comité continue en outre d’être préoccupé par le système de l’opportunité des poursuites qui laisse aux procureurs de la République la possibilité de ne pas poursuivre les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements impliquant des agents de la force publique, ni même d’ordonner une enquête, ce qui est en contradiction évidente avec les dispositions de l’article 12 de la Convention.

Notes

[1Il est actuellement composé des experts suivants : M. Guibril Camara (Sénégal), M. Sayed Kassem el Masry (Égypte), Mme Felice Gaer (États-Unis), M. Claudio Grossman (Chili), M. Fernándo Mariño Menéndez (Espagne), M. Andreas Mavrommatis (Chypre), M. Julio Prado Vallejo (Équateur), M. Ole Vedel Rasmussen (Danemark) et M. Alexander Yakovlev (Fédération de Russie). M. Wang Xuexian (Chine), membre nouvellement désigné du Comité, fera une déclaration solennelle lors de la séance d’ouverture de la session.


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