refuser la politique de la peur, par Françoise Dumont


article de la rubrique Big Brother > psychiatrie
date de publication : mardi 8 septembre 2009
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Pour faire admettre sa politique antisociale, le gouvernement actuel tente de casser les solidarités et de déconstruire les rapports sociaux. Il s’agit d’exploiter la peur, d’opposer les individus les uns aux autres, en développant la surveillance, la délation, l’intimidation. L’un des meilleurs exemples est l’instrumentalisation de la psychiatrie dans une visée sécuritaire.

Dans l’article ci-dessous, Françoise Dumont, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, montre qu’il est possible de résister à cette entreprise de démolition en refusant la politique de la peur [1].


Nous refusons la politique de la peur

par Françoise Dumont, vice-présidente de la LDH


La peur passe pour mauvaise conseillère. Pourtant, le climat social et sécuritaire que nous connaissons aujourd’hui l’attise chaque jour davantage. Mise en oeuvre par l’actuel
gouvernement, teintée de populisme, cette peur est exploitée pour justifier une déconstruction du social.

De quelle peur s’agit-il ? Peur pour soi-même d’abord. Parce que la crise économique et socia-
le plonge de plus en plus d’individus dans la précarité ou dans la crainte du chômage. Peur que la moindre réaction aux dérapages des forces de police ne soit considérée comme un outrage ou une rébellion, qu’on vous traite comme un passeur parce que vous rechargez des portables, qu’un proche vous fasse une bonne blague en parlant de « train qui déraille » sur votre messagerie... Ce sont des incidents qui vous conduisent tout droit en garde à vue. Le résultat, on le connaît : en 2008, un Français sur cent a subi ce genre de contraintes.

Peur des autres également. Parce que nous sommes soumis à un discours qui tend à accréditer l’idée que notre environnement est envahi de délinquants multirécidivistes, d’assistés qui vident les caisses de l’Etat, de jeunes violents et paresseux, de fonctionnaires qui campent égoïstement sur des privilèges obsolètes... Cette stratégie qui consiste à opposer les individus les uns aux autres, à faire de chaque voisin une menace a des relents nauséabonds de populisme mais elle vise avant tout à casser les solidarités et à freiner la prise de conscience d’une politique globale dont la cohérence est pourtant claire.

Le 18 novembre 2008, un jeune étudiant de Grenoble était mortellement agressé par un déséquilibré qui avait réussi à quitter l’hôpital psychiatrique où il était soigné. Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy, en visite au centre spécialisé Erasme à Anthony, proposait « ses solutions » pour éviter que ne se renouvelle un fait divers aussi dramatique. En résumé, il s’agit de promouvoir une psychiatrie sécuritaire où l’enfermement est renforcé, avec la mise en application d’un certain nombre de mesures contraignantes, comme une obligation de soins à domicile ou le port également obligatoire du bracelet électronique. Sur le fond, ces projets sont en totale continuité avec les différentes décisions prises par un Président qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, désignait déjà un certain nombre de boucs-émissaires, sortes de figures-épouvantails destinées à faire peur. Au gré des lois votées depuis 2002, ce furent tour à tour les jeunes de banlieue, les parents défaillants, les prostituées susceptibles de « racolage passif », les sans-papiers, ou bien encore tous ces bénéficiaires de maigres prestations sociales qu’il faut absolument contrôler parce que vraisemblablement fraudeurs... Maintenant, c’est le tour des schizophrènes désignés comme forcément dangereux, alors que les cas de violence liés à un trouble mental ne sont pas plus fréquents que la moyenne, remettant ainsi en cause le mythe du « fou dangereux ».

A fait divers, psychiatrie sécuritaire

Même continuité aussi dans la façon de se saisir d’un fait divers, de médiatiser chaque nouvelle victime et de promulguer une nouvelle loi, en déclarant ne connaître les droits de l’Homme que pour la victime et subordonner les droits des « autres » à leur dangerosité. Rien de nouveau donc sous le soleil de la démagogie...

Ces déclarations ont suscité une vive émotion parmi les personnels qui travaillent dans les services de psychiatrie. Cela s’est traduit par diverses initiatives, individuelles ou collectives, comme « L’appel des 39 » ou la publication d’un communiqué, signé conjointement par dix organisations syndicales de personnels médicaux et non médicaux de la psychiatrie publique.

La vive réaction des personnels travaillant dans le secteur de la psychiatrie répond en fait à une double inquiétude. D’une part, les personnels concernés ont eu l’impression que le discours de N. Sarkozy balayait d’un revers de la main des décennies de luttes et de progrès dans le champ de la santé mentale et remettait les soignants en position de gardiens. Dès lors, à quoi bon rechercher et travailler le consentement libre et éclairé du malade ? A quoi bon aussi accueillir, écouter, prendre soin du sujet souffrant, c’est-à- dire le considérer dans sa dignité et sa singularité de personne, d’individu social et de sujet de droit ? Ces interrogations posent
des questions essentielles d’éthique professionnelle et les personnels soignants se sont sentis blessés professionnellement par des propositions qu’ils vivent comme une nouvelle instrumentalisation de la psychiatrie dans une visée sécuritaire. D’autre part, le soutien affiché par le chef de l’Etat à sa ministre de la Santé pour son projet de loi « Hôpital, santé, patients et territoires » (HSPT) montre bien le lien entre politique sécuritaire et politique de réduction de moyens pour la santé et le social. Ces orientations nient les difficultés rencontrées au quotidien par la psychiatrie de service public. L’activité et les missions de celle-ci ne cessent d’augmenter alors que ses moyens ont constamment diminué depuis vingt ans. Ce déséquilibre se traduit par un accès aux soins de plus en plus aléatoire sur des territoires de plus en plus vastes et concerne tout autant la psychiatrie générale que la psychiatrie infanto-juvénile, par exemple.

Une politique de casse du service public

En réalité, on ne compte plus les secteurs où, à l’instar de la psychiatrie, les personnels sont soumis à la fois à des contraintes budgétaires insupportables et à une évolution inquiétante de leurs missions. Sur le plan budgétaire, il est inutile de revenir sur le sort réservé à différents secteurs du service public. A travers la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et les diverses réformes mises en chantier, l’objectif de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite se met en place, avec les répercussions que cela entraîne sur les conditions de travail des salariés mais aussi sur l’accès à un certain nombre de droits fondamentaux, notamment pour les plus démunis.

La liste des professions où les réductions budgétaires accompagnent un véritable dévoiement
des missions qui en constituaient le fondement même ne cesse de s’allonger. En 2007, les travailleurs sociaux ont vu le « secret professionnel » devenir le « secret partagé », en particulier avec le maire. Aujourd’hui, ils doivent transmettre de plus en plus d’informations sensibles dans des fichiers dont ils ne maîtrisent pas les interconnexions. La même année, les juges s’opposèrent à la loi sur la récidive parce qu’elle n’apportait pas de solutions à l’indigence des moyens accordés à la justice mais aussi parce qu’elle transformait la justice pénale en machine à punir, indifférente aux réalités des personnes qu’elle est amenée à juger.

Comment ne pas voir que dans L’Education nationale, la politique de suppressions de postes va aboutir très vite à des classes encore plus chargées, mais aussi à une école encore plus sélective, ce qui va à l’encontre de la façon même dont de nombreux enseignants conçoivent leur métier ? Que dire aussi des conditions de travail des salariés de Pôle emploi, coincés entre surcharge de travail due à l’augmentation du nombre de chômeurs et l’obligation de dénoncer les sans- papiers ? Demain, lorsque les textes réformant l’ordonnance de 1945 sortiront, les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (Pli) devront peut-être abandonner définitivement toute forme de travail préventif pour ne se consacrer qu’au répressif... A n’en pas douter, on ressortira le discours qui consiste à démontrer que les jeunes délinquants sont de plus en plus violents, de plus en plus précoces, alors même que des travaux comme ceux menés par Laurent Muchielli montrent que la réalité de la délinquance juvénile n’est pas celle-là.

Le collectif « Refusons la politique de la peur »

Les atteintes frontales portées au cours des derniers mois aux conditions de travail et aux missions de toutes ces catégories professionnelles ont donné lieu à la création de nombreux collectifs où travaillent ensemble différentes organisations syndicales, politiques ou associatives. Chaque collectif a ses orientations, ses priorités, son histoire et les individus qui les composent ont leurs engagements, leur métier, leur éthique de professionnel et de citoyen. Difficile de comparer un collectif comme « Non à Edvige », dont l’activité est centrée sur
le fichage, au collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de 3 ans » qui s’est créé au moment de la publication du rapport de l’Inserm et en réaction à une certaine vision déterministe de l’évolution de l’enfant. Pourtant... Toutes ces forces sont confrontées au même rouleau compresseur, à la déconstruction des rapports sociaux, des services publics, des garanties de libertés. Il s’agit d’exploiter la peur, d’organiser la surveillance, la délation, l’intimidation, pour faire admettre une politique antisociale.

Depuis longtemps, nous pensons, à la LDH, qu’il est urgent de déconstruire ce populisme sécuritaire et de créer les convergences qui permettent à tous ceux qui refusent les choix de société actuels de se retrouver pour en appeler à une véritable démocratie. A la suite de l’article paru dans Le Monde du 13 décembre, nous avons contribué, avec un certain nombre de nos partenaires habituels, à la création du collectif « Refusons la politique de la peur ». Celui-ci s’est déjà réuni le 8 février et le 15 mars. Une nouvelle rencontre est prévue le 6 juin à Paris. Nous avons été naturellement présents dans les manifestations du 29 janvier et du 19 mars et souhaitons pouvoir nous appuyer sur des convergences et des chantiers locaux. Notre initiative vise à interpeller les forces syndicales et politiques, à rassembler les divers mouvements de contestation. Nous savons que ce rassemblement ne se décrète pas mais qu’il se construit à partir de confrontations d’idées et de prises de position pour agir ensemble, qu’il s’appuie sur une coopération réciproque, un soutien mutuel et une unité dans une opposition déterminée. La tâche est difficile mais il s’agit de démontrer que le mouvement social et ses organisations disposent de réponses qui ont pour elles le mérite de respecter les principes démocratiques.

Françoise Dumont


Notes

[1Cet article a été publié dans le numéro 146 de la revue de la LDH, « Hommes & Libertés », avril-mai-juin 2339, qui est en grande partie consacré à la surveillance. Il comporte notamment les trois articles :

  • « Nous refusons la politique de la peur » par Françoise Dumont,
  • « On ne fiche pas les enfants » par François Nadiras,
  • « Surveiller sans punir » par Alain Weber.

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