Nous allons célébrer dans quelques mois le vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). A cette occasion, la Ligue des droits de l’Homme a tenu à exprimer par la déclaration suivante sa vive préoccupation à l’égard de politiques qui tendent à faire de la jeunesse « une classe dangereuse ».
Dans un communiqué diffusé simultanément, la LDH s’adresse plus particulièrement au ministre de l’Education nationale, et lui demande comment il envisage de « prendre en compte les réserves » du Comité des droits de l’enfant de l’ONU « à propos de la base de données Base-élèves ».
Déclaration du Comité central de la LDH, réuni le 13 juin 2009
Alors que l’année 2009 est celle du 20ème anniversaire de la Convention
internationale des droits de l’enfant (CIDE), le Comité central de la LDH, réuni le
13 juin 2009, tient à exprimer solennellement sa vive préoccupation à l’égard de
politiques qui tendent à faire de la jeunesse « une classe dangereuse » dont il
conviendrait de se méfier par principe.
Depuis plusieurs années et notamment depuis le vote de la loi de prévention de la
délinquance en 2007, les pouvoirs publics actuels cherchent à aligner la justice
des mineurs sur le droit commun des majeurs : en témoignent notamment la
procédure de quasi comparution immédiate pour les mineurs de 16 à 18 ans et la
possibilité de placement en détention provisoire d’un mineur âgé de 13 à 16 ans.
La réforme de l’ordonnance de 1945 annoncée pour l’automne 2009 s’inscrit dans
cette escalade du tout répressif, alors que l’article 37 de la CIDE prévoit que
« l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité
avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève
que possible », tout enfant devant bénéficier d’une « protection spéciale ».
Outre cette dérive législative, les exemples abondent d’une sorte de présomption
de suspicion qui ouvre la porte à des opérations et à des comportements
inadmissibles. On en vient à arrêter des enfant de 6 et 10 ans pour un vol de vélo
auquel, de surcroît, rien de sérieux ne permettait de les mêler. On organise de
tonitruantes opérations de police ou de gendarmerie en lâchant à cette occasion
un chien policier dans une classe de collège. Et les récentes gesticulations du
ministre de l’Education nationale vont jusqu’à proposer des contrôles
systématiques à la porte des établissements (mesure par ailleurs inapplicable) et
la transformation de personnels éducatifs en supplétifs policiers.
Depuis plusieurs années également, on assiste également à la généralisation
recherchée du fichage des enfants dès le plus jeune âge, alors que la
transmission et la centralisation de données nominatives, durables et
susceptibles d’interconnexion ne sont ni justifiées par l’exécution des missions de
service public, ni demandées par des services statistiques qui n’ont aucun besoin
de renseignements nominatifs. Et, comme souvent, le discriminatoire s’ajoute au
généralisé, avec le repérage par géolocalisation de ceux des élèves « décrocheurs »
qui habitent les quartiers pauvres dits « sensibles ».
Par ailleurs, il arrive trop souvent que la collectivité publique ne se donne pas les
moyens de protéger les mineurs étrangers isolés qui sont en situation de détresse
ou de danger. Et les centres de rétention sont désormais aménagés pour
permettre l’enfermement d’enfants dont les parents sont privés du droit au séjour
et menacés d’expulsion. L’intérêt de l’enfant, de tous les enfants, qui doit
l’emporter sur tout autre considération (article 3 de la CIDE), passe après la
réalisation de mesures administratives, de quotas et d’objectifs politiques.
L’opposition à ces mesures ne relève pas de peurs irrationnelles et imaginaires.
Nombreux sont les parents, les éducateurs, les enseignants qui s’inquiètent de
cette manière de répondre aux difficultés de la jeunesse. Dans une période de
crise profonde qui voit monter le chômage des jeunes, le risque est grand de jouer
sur le sentiment de peur et d’instiller une défiance diffuse envers les jeunes dans
la société, au nom de présupposés idéologiques insoutenables qui prétendent que
l’on pourrait constater dès la plus jeune enfance des prédispositions naturelles à
la déviance ou qui, renonçant à voir l’enfant dans sa globalité, le découpent en
mauvais élève, enfant malade, enfant en danger, mineur délinquant, etc.
La LDH, qui refuse cette politique de la peur, demande qu’en matière de
délinquance des mineurs on cesse de manipuler les chiffres, qu’on en finisse avec
la prime au tout répressif et que la priorité aille à des réponses sociales,
éducatives et thérapeutiques aujourd’hui menacées, au soutien des familles, à
l’accès aux soins des enfants et adolescents en difficultés et à la recherche de
réponses innovantes dans tous ces domaines.
Elle demande que l’on cesse de dénigrer le travail de prévention qu’exercent sur le
terrain les citoyens, les élus, les bénévoles et les professionnels qui sont au
contact des enfants et des adolescents en grande difficulté.
La Défenseure des enfants est souvent amenée à rappeler que la Convention
internationale sur les droits de l’enfant s’impose à toutes les autorités françaises.
Or garantir l’effectivité des droits énoncés par la CIDE, c’est développer une
véritable politique éducative et se donner les moyens de lutter contre les sorties
sans qualifications et le décrochage scolaire. Or on assiste au contraire à des
coupes budgétaires sans précédents, à la suppression de dispositifs aussi
importants que les Réseaux d’aide aux élèves en difficulté (Rased), au
renforcement de la ghettoïsation de certains établissements à travers la
suppression de la carte scolaire, et à la remise en question la scolarisation des
plus petits au profit de « jardins d’éveil » éventuellement payés par les familles.
Faut-il rappeler que les Rased, tout comme la scolarisation dès 2 ans, sont des
outils qui permettent de lutter contre l’échec scolaire et l’exclusion sociale qu’il
entraîne ? Doit-on admettre que l’aide aux élèves en difficulté devienne la chasse
gardée d’officines privées accessible à ceux qui peuvent bénéficier de réduction
d’impôts ?
Le Comité international pour les droits de l’enfant des Nations unies, en session à
Genève le 26 mai 2009 a fermement questionné la France sur la présence de la
police dans les établissements scolaires, sur l’utilisation des fichiers de personnes
dans les écoles et sur les arrestations des personnes en situation irrégulière aux
abords des écoles. Il s’est également dit préoccupé par le nombre de suicides
parmi les adolescents et a demandé ce que les pouvoirs publics comptent faire
pour venir en aide aux deux millions d’enfants qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté. La LDH sera particulièrement attentive au suivi des conclusions du
Comité.
La résolution « Société de surveillance, vie privée et libertés », adoptée par le 85ème
congrès de la Ligue des droits de l’Homme, appelle à la plus grande vigilance sur
les questions essentielles que sont la diffusion de données nominatives, la durée
excessive de leur conservation et les dangers d’interconnexions qui résultent
notamment du recours à des identifiants nationaux même sectoriels, notamment
en ce qui concerne les fichiers de jeunes scolarisés. Elle demande que soient
enfin instituées des protections effectives contre la diffusion incontrôlée de
données personnelles et les menaces d’interconnexion généralisée. Elle rappelle
les pouvoirs publics actuels à leur obligation de strict respect des dispositions de
la Convention internationale sur les droits de l’enfant, qu’il s’agisse de fichage,
d’interventions policières ou de poursuites judiciaires : l’article 2 de la CIDE
institue explicitement une protection universelle, qui s’applique à tout enfant fûtil
enfant de sans-papiers...
La LDH se déclare pleinement solidaire des citoyens, et en particulier des
enseignants et des éducateurs, qui sont menacés ou sanctionnés alors qu’ils
entendent que l’exercice de leurs missions ne porte pas atteinte aux droits des
enfants et de leurs familles. Elle est et restera à leurs côtés pour refuser
l’application à la jeunesse de ce pays d’une politique de la surveillance, de la
suspicion et de la peur.