Le ministère de l’Intérieur affirme que la vidéo-protection recueille l’approbation d’une "grande majorité de Français"... Mais sur quoi la ministre s’appuie-t-elle pour affirmer la popularité de la vidéo-surveillance ? Sur le rapport biaisé qui a fait la Une du Figaro ? Ou sur le "doigt mouillé" du président qui lui a donné l’ordre de tripler le nombre de caméras ?
Les experts sont sceptiques sur l’efficacité de la méthode et sa mise en place en Angleterre s’avère être un fiasco – voyez cette page et lisez ce commentaire d’Eric Heilmann. Mais le doigt mouillé du président est impératif : nous serons, vous serez, ils seront vidéo-surveillés !
Rien ne saurait faire obstacle à la volonté du président de vidéo-contrôler son peuple [1].
Communiqué LDH
Citoyens sous (vidéo)surveillance
Sous les masques rassurants de la « vidéoprotection » et de la « vidéotranquillité » (sic), les caméras de surveillance prolifèrent. Le gouvernement annonce leur triplement sur les voies publiques, et le conseil de Paris a approuvé un plan de la préfecture de police implantant 1 226 caméras supplémentaires dans les rues et sur les places parisiennes.
Et pourtant, même un rapport du ministère de l’Intérieur montre que la vidéosurveillance n’entraîne pas de baisse significative des chiffres de la délinquance : l’impact des caméras est faible, jamais durable et vite contourné. Au Royaume-Uni, qui en compte plus que tout autre pays européen, Scotland Yard conclut encore plus nettement à leur inefficacité dans un rapport publié en 2008. Et la ville de Miami, comme bien d’autres aux Etats-Unis, procède à la désinstallation de toutes les siennes… Aucune caméra ne peut remplacer la présence humaine dans la sécurisation des lieux qui nécessitent une surveillance particulière et qui ne sauraient se multiplier à l’infini.
Inefficace et coûteuse, l’inflation de la vidéosurveillance est surtout liberticide. Non seulement l’enregistrement de l’image d’une personne sans son consentement est une atteinte à la vie privée, protégée par la Convention européenne des droits de l’Homme et par l’article 9 du Code civil, mais le projet de suivre en permanence les allées et venues de chacun n’est pas compatible avec une société de libertés. Les images enregistrées peuvent être utilisées à toutes sortes de fins illégitimes : grâce à elles, certaines entreprises surveillent leurs salariés jusque dans leur intimité et aussi les délégués syndicaux, comme certains régimes autoritaires traquent leurs opposants politiques.
Prétendre que celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à craindre de la vidéosurveillance, c’est faire de chacun de nous un suspect potentiel qui devra s’expliquer sur sa présence là où on l’a filmé à son insu, remplacer le principe constitutionnel de présomption d’innocence par une logique de contrôle généralisé de la population.
La Ligue des droits de l’Homme appelle les citoyens à s’opposer à cette prolifération des systèmes de surveillance invisible et à exiger que l’utilisation de ces équipements soit strictement encadrée, contrôlée et limitée aux situations dans lesquelles le maintien de l’ordre public la nécessite absolument.
Paris, le 25 mars 2009
Le gouvernement veut que la vidéo protection prenne de l’essor, assurant qu’elle constitue un "instrument d’enquête et d’élucidation" des crimes et délits.
Le gouvernement veut accélérer l’installation de systèmes de vidéo protection en France en simplifiant les procédures et en apportant un soutien financier, a annoncé hier le ministère de l’Intérieur.
L’objectif fixé en novembre 2007 par le ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, était de tripler en deux ans le nombre de caméras installées sur la voie publique en France, pour passer de 20 000 à 60 000.
En 2007, 10 000 demandes d’autorisation ont été recensées, contre environ 4 000 l’année précédente, a indiqué Philippe Melchior, président du comité de pilotage sur la vidéo protection, lors d’une conférence de presse avec le porte-parole du ministère, Gérard Gachet. Aucun chiffre sur le nombre de caméras actuellement installées n’est aujourd’hui disponible.
Dans une circulaire aux préfets, Mme Alliot-Marie a réaffirmé que la vidéo protection restait "une des priorités" de sa politique de sécurité. Elle va connaître un "nouvel élan", a assuré M. Gachet, soulignant qu’" il ne s’agit pas d’espionner les Français, mais de les protéger de la délinquance et du terrorisme".
Des "référents"
M. Melchior a ajouté que des outils, notamment "juridique et financier" seraient mis en place "dans un cadre juridique bien précis".
Les procédures vont être simplifiées pour "faciliter la décision de ceux (maires, centres commerciaux, commerces de proximité) qui veulent installer ce qui correspond à leurs besoins", a-t-il poursuivi. Ainsi, une messagerie (videoprotection@interieur.gouv.fr) est créée pour répondre à "toute question" par courriel "sous huitaine".
À partir du 27 mars, un site sera accessible à tous sur lequel, dès le 15 mai, pourront être adressées les demandes d’autorisation. Des guides méthodologiques et d’évaluation y seront mis en ligne, tandis que dans chaque département un policier et un gendarme "référents" sont à la disposition des maires.
Sur le plan financier, le fonds interministériel, doté de 35 millions d’euros, permet de participer "de l’ordre de 20 à 50 %" aux projets acceptés. En outre, "la future loi de programmation de sécurité intérieure (LOPSI) prévoit 555 millions d’euros pour les nouvelles technologies, la police technique et scientifique et aussi la vidéo protection", a rappelé M. Gachet.
Les experts pas si enthousiastes
La vidéo protection connaît des succès mais montre également ses limites dans de nombreux domaines de la délinquance, selon des experts, qui soulignent notamment qu’une "caméra n’a jamais arrêté seule l’auteur d’un délit".
Les experts observent que les images des caméras de vidéosurveillance "doivent être gérées" et "regardées" ce qui est, selon eux, impossible 24 heures sur 24 "sauf à disposer d’effectifs pléthoriques".
C’est la thèse du criminologue Alain Bauer et du conseiller en sûreté urbaine François Freynet qui ont publié fin 2008 un "Que sais-je ?" sur le sujet.
L’ouvrage, selon les experts, fait autorité notamment en raison de la qualité de M. Bauer qui, depuis 2007, est le président de la commission nationale de la vidéosurveillance installé auprès du ministre de l’Intérieur.
L’application de la vidéosurveillance a été "éprouvée" dans la circulation, dans les parkings ou dans les bâtiments publics mais "l’importance du facteur humain" reste essentielle, affirment-ils.
Revers de la médaille aussi dans les parkings où les caméras semblent dissuasives, les agressions contre les automobilistes, dites “car-jacking”, ont augmenté. La mise en œuvre de la vidéosurveillance est en revanche "nulle", selon eux, dans les escroqueries, les violences domestiques ou les contrefaçons.
Les fiascos de la vidéosurveillance
par Gaël Cogné, Libération, le 17 juillet 2008
Avant-hier, l’Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes)
publiait un rapport sur la « vidéoprotection ». Un travail commandé à l’Institut
en décembre par Alain Bauer, président de la Commission nationale de la
vidéosurveillance, et Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur (dont
l’Inhes dépend). Celle-ci a promis, il y a un an, de multiplier « par trois » le
nombre de caméras.« C’est la première fois que l’on a un plan national », sur la vidéosurveillance
de cette ampleur, souligne Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS,
pour qui tout cela relève avant tout de « la gesticulation ». Pour Alain Bauer,
ce rapport se justifiait car dans la majorité des études jusqu’alors menées
sur la vidéosurveillance, toutes à l’étranger , « il y avait beaucoup de choses
contradictoires ».« Téléspectateurs ». Au fil des pages, l’Inhes relève que les systèmes sont
souvent « obsolètes », « mal entretenus ou mal positionnés » voire « inutiles ». Les
images seraient « écrasées » automatiquement au bout de quelques jours, ne
permettant aucune analyse. Certaines caméras ne seraient même pas branchées.
Trop coûteuses, elles ne sont plus entretenues. De plus, le personnel serait
mal formé, voire pas du tout, et le rapport de pointer « le risque d’avoir
devant les écrans de simples téléspectateurs ».De l’improvisation ? « Le mot est trop fort », relativise Pierre Monzani, le
directeur de l’Inhes. Pourtant, son rapport souligne que « les collectivités
ont souvent regretté […] d’avoir dû naviguer à vue », et ce constat serait le
même du côté des entreprises de transport public. Michel Marcus, le délégué
général du Forum français pour la sécurité urbaine, estime que ce phénomène
est analysé un peu « au doigt mouillé » : « Le problème, c’est qu’il y a
plusieurs générations de caméras. Au bout de cinq ans, le matériel est
obsolète. »Selon Sebastian Roché, cette étude n’apporte « rien de nouveau », mais, surtout,
« aucun élément de preuve » de ce qu’elle avance : « Les bras m’en tombent un
peu. » Aux yeux de ce chercheur, le rapport serait de « la propagande » et
manquerait « d’indépendance ». Il note « un déficit d’information », « un manque
total de rigueur » et l’« absence de neutralité dans la rédaction ». Un document
qu’il faudrait donc lire à l’aune du plan national de modernisation de la
vidéosurveillance souhaité par le gouvernement.Pour Sebastian Roché, aucune étude sérieuse n’a donc encore été financée en
France, malgré les nombreux rapports négatifs aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni. A Londres, les caméras de surveillance ont fleuri sans pour
autant faire la preuve de leur efficacité : 80 % des images seraient
inutilisables et seuls 3 % des vols auraient été résolus grâce à elles selon
un rapport officiel du Viido (Visual Images, Identifications and Detections
Office), un service de New Scotland Yard, en mai. « C’est un véritable fiasco »,
avait grincé un responsable.« Délinquance ». Pourtant, la vidéosurveillance coûte très cher, surtout aux
petites collectivités locales : de l’ordre de « 7 000 à 8 000 euros pour chaque
caméra, en comptant l’installation, l’entretien et le personnel », estime
Michel Marcus. « Environ 15 000 euros », renchérit Sebastian Roché. Mais les
élus restent friands de ces caméras réclamées par leurs électeurs. Les
rapporteurs admettent que « la part attribuée à la vidéo dans la diminution de
la délinquance est particulièrement difficile à mesurer précisément ». Les
données manquent. Elle peut baisser sous l’œil de la caméra mais se déplacer à
quelques mètres. Hors champ.De cette étude, Alain Bauer retient surtout que tout dépend de l’usage. Les
caméras jouent un rôle « dissuasif » et sont utiles pour « interpeller a
posteriori ». Mais encore faut-il connaître la personne pour la reconnaître,
réplique Sebastian Roché.En attendant, les 200 entreprises spécialisées dans la vidéo protection
prospèrent. Selon le rapport, elles ont généré 800 millions d’euros en 2007
avec une progression de 10 % depuis deux ans.Gaël Cogné
[1] La circulaire du 12 mars 2009 émanant du ministère de l’Intérieur qui organise le « déploiement de la vidéoprotection » est accessible à partir du site localtis.info.