prohibition dans le Var : allez boire ailleurs !


article de la rubrique Toulon, le Var > villes du Var
date de publication : samedi 28 juillet 2007
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A des dates différentes et sans s’être concertés — ? —, quatre maires du Var ont pris des arrêtés pour interdire la consommation d’alcool sur la voie publique. Il s’agit pour ces "pères-la-pudeur" d’assurer la tranquillité des bonnes gens en excluant de l’espace public tout comportement déviant. On pensait pourtant connaître l’efficacité qu’a eue la prohibition...


L’alcool en public interdit dans quatre communes du Var

d’après Var-Matin, 26 juillet 2007

La mesure est une première. Dans quatre communes du département, les maires ont pris un arrêté exceptionnel pour interdire la consommation d’alcool sur la voie publique. En cause : les troubles (parfois) générés par l’ivresse publique : "bruit, violences, tapage nocturne et dégradations". Les premiers magistrats de Sanary, Six-Fours, St-Cyr et Ollioules ont donc décidé de prévenir les débordements, en brandissant la menace d’une contravention de 1ère classe : 38 euros, dressée par les policiers municipaux. Cher, le verre de trop !

C’est le cas à Sanary [1] où le maire, Ferdinand Bernhard, justifie cette position : "On en avait assez des bouteilles cassées en pleine nuit et des bancs publics abîmés. Il fallait un texte pour permettre de dresser des procès-verbaux aux fautifs et donner aux policiers les moyens de réprimer de tels comportements. nous avons donc travaillé en concertation avec le commissariat pour éviter les beuveries qui dégénèrent. C’est fait."

Effectivement, l’arrêté en question indique que, depuis juin, "la consommation de boissons alcoolisées en réunion (groupes de 2 à 5 personnes) sur la voie publique est interdite dans un périmètre donné : zone piétonne, parking de la mer et voies d’urgence, aux abords des écoles et près des installations sportives."

La mairie cible d’ailleurs large : "L’interdit est valable du 1er février au 31 décembre (sic), de 10 heures à 6 heures du matin." Cela dit, les ivresses publiques sont rares à 10 heures du matin même en été ! Elle précise tout de même dans un article : "L’interdiction ne s’applique pas aux terrasses des cafés et de restaurants, aux aires de pique-nique et aux lieux de manifestations locales. " Ouf.

A Ollioules, les dates et les heures d’interdiction changent : du 1er avril au 30 novembre et entre 17 heures et 6 heures du matin sur des chemins de la commune, des places, des parkings, les ruines du château, l’espace Malraux et même le boulodrome ! Le maire d’Ollioules, Robert Beneventi, a été le premier à prendre un arrêté anti-alcoolémie dans sa commune : "C’était en 2004 [...].Cet arrêté nous a permis de verbaliser une vingtaine de personnes en moyenne chaque année." Fini, donc, les dégradations nocturnes ? "Hélas, non. Récemment, encore, une vitre du gymnase a été cassée, l’arrosage public détérioré... Cela s’est passé la nuit après consommation de packs de bières mélangés à des alcool forts. Les bouteilles ont été retrouvées au petit matin. Les riverains ne peuvent pas dormir. C’est devenu infernal", déplore-t-il. "Cet arrêté n’est pas une solution miracle mais il permet de donner un outil renforçant l’arsenal mis à disposition de la police municipale." Au risque d’y perdre en liberté ? "Vous savez, la liberté s’arrête là où commence celle des autres. Et là, c’est une liberté qui empiétait sur celle d’autrui."

Même réglementation à St-Cyr mais la mairie limite quand même son interdiction la nuit : entre 20 heures et 6 heures seulement sur les places, jardins, parkings et plages.

Enfin à Six-Fours [2], la consommation de boissons alcoolisées en groupe, et même "individuellement", est proscrite sur les voies et places publiques (parcs, jardins, quartier de la Pétugue, littoral de la commune et du pont de la Reppe à la pointe du petit Gaou). pour Jean-Sébastien Vialatte, pas de quartier : l’interdiction est valable à partir du 1er février et de 9 heures du matin à 6 heures le lendemain !

la solution : un stock de cannettes sans alcoolLe maire de Six-Fours en a eu assez des "rassemblements nocturnes aux carrefours de la ville où on achète des packs de bière qu’on vide dans la rue. On retrouvait des dizaines de canettes. Il fallait faire quelque-chose mais ne croyez pas que les maires des quatre communes se sont concertés pour décider de cet arrêté. Chacun avait les mêmes problèmes sur son secteur. Notre arrêté est limité dans le temps et l’espace. Il ne concerne que certains lieux : les plus fréquentés pour qu’ils soient mieux protégés. c’est tout. Ce n’est pas une privation de liberté. Juste un encadrement."

Alors quid de la liberté individuelle dans un espace pourtant public ?
"En vérité, il faut bien réglementer, à un moment ou à un autre. La situation est devenue insupportable. Depuis cet arrêté, nous n’avons déploré aucune dégradation nocturne", répond le premier magistrat de Sanary.
Pas de problèmes particuliers, non plus, dans les autres villes de l’Ouest-Var. La mesure pourrait donc se généraliser... Au grand dam de nombreux noctambules, qui ne confondent pas "boire" et "casser"...

F. Dumas

Aspects juridiques

Circulaire du ministère de l’Intérieur : "Prévention des atteintes à l’ordre et à la tranquillité publics liées à la vente de boissons alcooliques à emporter et à la consommation d’alcool"  [3]

Les autorités de police locales peuvent prendre des arrêtés tendant à interdire la vente à emporter de boissons alcooliques afin de prévenir les atteintes à l’ordre et à la tranquillité publics, dans le cadre des limites fixées par le juge administratif. D’autres règlements de police visant en particulier à interdire la consommation de boissons alcooliques dans certains secteurs précisément définis de la voie publique peuvent également être adoptés, le cas échéant en complément des mesures d’interdiction de ventes à emporter de boissons alcooliques.

[...]

1.1.2. Arrêtés interdisant la consommation d’alcool
Outre les arrêtés visant la vente à emporter de boissons alcooliques, il peut être envisagé de prendre des arrêtés interdisant la consommation d’alcool à certaines heures et à l’intérieur d’un périmètre précisément défini de la voie et des lieux publics, à l’exception des terrasses de cafés et restaurants régulièrement installés, afin de prévenir notamment les attroupements nocturnes qui peuvent favoriser des infractions de toute nature et troubler l’ordre et la tranquillité publics.

Il convient cependant de noter que ce type d’arrêté n’a pas pour l’heure fait l’objet de décisions du juge administratif.

D’ores et déjà, il peut être recommandé que de tels arrêtés visent la consommation de boissons alcooliques en tant que telle et non l’accès, à certaines heures, au périmètre concerné par toute personne munie d’une bouteille d’alcool, ce qui risquerait de fragiliser juridiquement l’arrêté. En effet, le juge administratif pourrait alors considérer qu’une atteinte excessive est portée à la liberté d’aller et venir.

Remarque

On peut s’interroger sur la validité des arrêtés pris dans le Var, notamment sur un point : les limites de l’interdiction dans le temps et l’espace paraissent bien formelles. A Six-Fours, par exemple, l’interdiction est valable 21 heures sur 24 et 11 mois sur 12 ! Cela pourrait-il ouvrir une faille juridique [4] ? La circulaire du 4 avril 2005 du ministère de l’Intérieur (voir ci-dessus) mentionne "que ce type d’arrêté n’a pas pour l’heure fait l’objet de décisions du juge administratif".

Des doutes sur les objectifs de ces arrêtés

Quels sont donc vraiment les véritables objectifs de ces mesures ? Ajouter un outil réglementaire à l’arsenal répressif a tout l’air d’un prétexte [5].
Ne s’agit-il pas une fois de plus, sous couvert de santé publique et de "prévention de la délinquance", de cibler des catégories de la population : jeunes, mendiants,... ?

Première illustration à Lyon, où les canettes sont proscrites sur les berges du Rhône depuis mars 2007 [6]. La mairie invoque la tranquillité mais aussi l’interdiction de ce qu’une vague morale réprime : “Interdire l’alcool relève d’une mesure de précaution qui vise à maintenir la tranquillité publique, justifie Jean-Louis Touraine, premier adjoint (PS), en charge de la sécurité. Dans un lieu aussi fréquenté que ça par des personnes de tous âges, on ne peut pas encourager la consommation d’alcool”.

Deuxième illustration à Lille, où un arrêté est pris dès 2000. M. Paul Dufour, responsable municipal de la réglementation, est encore plus clair : « On ne fera pas la chasse aux buveurs, il s’agit d’abord d’inciter les SDF à changer de comportement. » (La Voix du Nord, 19 octobre 2000) [7].

Nous voilà prévenus !

Notes

[1Le maire de Sanary s’est souvent fait remarquer par des prises de position que nous avons dénoncées, concernant notamment le logement social, le respect des salariés, son goût peu prononcé pour la fête (foraine)... Ou récemment sur sa condamnation pour injure publique : voir http://www.sanaryenavoir.info/index.php.

[2Le maire de Six-Fours s’est notamment illustré en demandant la création d’un délit de blasphème : une soixantaine de députés UMP demandent la création du délit d’“atteinte à la dignité de la Nation”.

[3La circulaire NOR INTD05000 44 C du 4 avril 2005, se trouve sur le site de la préfecture de Haute-Savoie.

[4On se souvient en effet par exemple de l’annulation par le juge administratif d’arrêtés anti-mendicité, ou d’arrêtés qui interdisaient les rassemblements de mineurs, au motif qu’ils étaient abusifs.

[5Il existe par exemple déjà la possibilité d’interpeler quelqu’un pour "ivresse publique et manifeste", voir l’article sur Wikipédia.

[6Voir Lyon Capitale, juin 2007 : "Alcool : prohibition sur les berges ?".

[7Voir sur Lille.alternataire : "Lille : l’arrêté anti-SDF en procès", novembre 2001.


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