“présomption de légitime défense”... kesako ?


article de la rubrique démocratie > Sarkozy : campagne 2012 et bilan
date de publication : mercredi 2 mai 2012
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Plusieurs centaines de policiers ont manifesté mercredi 25 avril 2012 à Bobigny et à Paris sur les Champs-Elysées pour protester contre la mise en examen pour “homicide volontaire” d’un de leurs collègues qui avait tué un multirécidiviste en fuite lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 21 avril.

Dès le 26 avril, Nicolas Sarkozy proposait de créer une « présomption de légitime défense » pour les policiers.

Après un rappel des faits, nous reprenons deux réactions : celle du syndicat Unité SGP Police-FO, dont le policier incriminé fait partie, et qui déplore « l’exploitation politicienne » de cette affaire, et celle du Syndicat de la magistrature, dont le secrétaire général, Matthieu Bonduelle, juge d’instruction à Bobigny, déclare que la proposition de Nicolas Sarkozy reviendrait à instaurer un « permis de tuer ».



Qu’est-ce que la « présomption de légitime défense ? »

par Laurent Borredon, Le Monde du 28 avril 2012


Nicolas Sarkozy a proposé, jeudi 26 avril, de créer une « présomption de légitime défense » pour les policiers. La veille, des fonctionnaires de Seine-Saint-Denis avaient manifesté sur les Champs-Elysées à Paris pour protester contre la mise en examen de l’un d’entre eux pour « homicide volontaire » après la mort d’un malfaiteur, samedi 21 avril, lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec.

A quoi correspond la proposition de Nicolas Sarkozy ? Il s’agit en fait d’un alignement sur les règles d’engagement des gendarmes. Les policiers sont soumis, comme tous les citoyens, à l’article 122-5 du code pénal sur la légitime défense. Les gendarmes, eux, bénéficient de l’article L2338-3 du code de la défense qui explicite les cas où ils peuvent « déployer la force armée », notamment « lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ».

Les pouvoirs déjà importants des gendarmes ont été élargis en 1943. Le régime de Vichy avait généralisé ces règles aux policiers, qui sont revenus dans le droit commun à la Libération. Ils n’en ressortiront qu’entre 1958 et 1962, dans le contexte de la guerre d’Algérie.

Cette loi a connu, en 2010, une – rare – illustration à Draguignan [Note de LDH Toulon : voir cette page.]. Un gendarme était jugé par la cour d’assises du Var pour avoir abattu un gardé à vue qui tentait de fuir menotté. Il a été acquitté. Mais si l’article L2338-3 a épargné au militaire une condamnation, il n’a pas empêché une première mise en examen pour « homicide volontaire », comme mercredi en Seine-Saint-Denis. Le juge est libre de choisir la qualification pénale qui lui sied, même pour un gendarme.

Toutefois, assurent tous les syndicats de policiers, cette situation explique la frilosité des policiers à sortir leur arme, y compris dans des situations de réelle légitime défense. « Les policiers français utilisent relativement peu leur arme, confirme le sociologue Christian Mouhanna. Beaucoup ont peur de l’utiliser, ils ont peur de la bavure. »

Est-ce une proposition du FN ? La seule candidate à l’élection présidentielle qui a défendu cette mesure est effectivement Marine Le Pen. C’était l’une des mesures phares du volet sécurité du projet frontiste, présenté en juin 2011, et la présidente du FN l’a défendue durant toute la campagne. En janvier, le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, avait d’ailleurs réagi à cette proposition en estimant qu’« on ne peut pas donner aux policiers un permis de tuer ».

L’idée figurait déjà dans le programme de Jean-Marie Le Pen, en 2007, et s’inscrit dans la tradition de promotion de l’autodéfense par l’extrême droite. En 1995, l’éphémère et sulfureux syndicat Front national-Police défendait le droit de tirer « après sommation ».

Les syndicats de policiers sont-ils demandeurs ? Aujourd’hui, c’est Alliance, deuxième syndicat chez les gardiens de la paix, considéré comme proche de l’UMP, qui promeut le concept. La conversion a eu lieu cet hiver, après la mort d’un policier de la brigade anticriminalité d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) sous les balles des cambrioleurs qu’il poursuivait. Le secrétaire général adjoint, Frédéric Lagache, dit qu’il ne s’agit pas pour autant d’une « réaction à chaud », mais que la décision a été prise à l’issue d’un débat. Et si la proposition est aussi portée par le FN, « peu importe » : « Si elle est intéressante pour l’intérêt public, il faut aller au-delà de tout ça », estime M. Lagache.

Aucun autre syndicat n’affiche cette revendication. Pour Nicolas Comte, secrétaire général d’Unité SGP-Police (majoritaire), « il faut simplement un respect de la présomption d’innocence ».

Chez Synergie-officiers, proche d’Alliance, on affiche un soutien prudent. « Il y a une insécurité juridique pour les policiers en intervention, explique Patrice Ribeiro, patron de Synergie, le deuxième syndicat chez les officiers. Il faut harmoniser les règles d’engagement avec les gendarmes, mais ça ne veut pas forcément dire s’aligner sur leurs règles. »

Un entretien avec Yannick Danio, délégué national SGP-UNITÉ POLICE FO

[AFPTV, le 26 Avril 2012 [1]]



"Ce policier bien évidemment ne peut être que perturbé parce qu’une mise en examen, une garde à vue, toute la procédure, et le fait d’avoir tué un homme, déjà, avant tout, ça chamboule toute une vie".

"Le problème qui se passe sur cette affaire, c’est une manque de compréhension, de communication entre les magistrats, notamment les magistrats de Seine-St-Denis, et les policiers de Seine-St-Denis. Ce qui est regrettable c’est cette exploitation politicienne qui est faite par rapport à cette mise en examen".

"L’affaire de Noisy-le-sec, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pourquoi ? Ca fait des années qu’en tant qu’organisation syndicale majoritaire, nous alertons le ministère de l’Intérieur, et d’une sur des promesses de campagne électorale qui n’ont pas été tenues, et de deux sur un service public police nationale qui est complètement anéanti : 12,000 policiers en moins sur le terrain. Et de trois, 18 millions d’heures supplémentaires. Donc on a moins de policiers sur la voie publique, on les fait travailler un peu plus, et il y a des conditions de travail qui se dégradent inévitablement".

"Si demain le gouvernement qui sortira des urnes n’envoie pas un signe fort vis-à-vis de la sécurité, du service public de sécurité intérieure, ça va devenir une catastrophe, tous les services de police sont très, très chauds, il y a un ras-le-bol général, parce que cette politique de sécurité mise en place depuis dix ans, non seulement n’est pas acceptée des citoyens, mais surtout elle n’est pas acceptée des policiers".

Matthieu Bonduelle sur la “présomption de légitime défense” : « Stupide à un niveau rarement vu »

Par Nicolas Chapuis, NouvelObs.com, le 27 avril 2012


Une interview de Matthieu Bonduelle, juge d’instruction à Bobigny et secrétaire général du Syndicat de la magistrature, réalisée le 26 avril 2012.

  • Comment jugez-vous la proposition de Sarkozy de mettre en place une présomption de légitime défense pour les policiers ?

C’est stupide à un niveau rarement vu jusque-là. Si on se demande ce que ça va changer de mettre en place cette réforme, je peux vous répondre : strictement rien. La présomption d’innocence existe déjà, faire une présomption de légitime défense ne changerait rien. Ce policier est innocent jusqu’à preuve du contraire. A moins que le parquet ne prouve qu’il n’était pas en état de légitime défense, le policier en question est présumé innocent aux yeux de la loi. Une loi de présomption de légitime défense ne changerait rien, c’est une arnaque pure et simple. Manifestement Nicolas Sarkozy ne connait pas la présomption d’innocence, c’est d’ailleurs lui qui avait inventé la présomption de culpabilité par le passé.

  • Quel est alors le but d’une telle loi ?

Il y a une atmosphère de récupération politicienne de bas étage. Il y a d’abord eu un communiqué de Bruno Beschizza, (député UMP, ancien du syndicat de police Synergie, ndlr), puis Claude Guéant et enfin Sarkozy se sont emparés de l’affaire. C’est de la diversion pure et simple. Ils nous obligent maintenant à regarder de près le problème.

Soit c’est de la poudre aux yeux, soit il y a quelque chose de plus grave derrière. Si Nicolas Sarkozy souhaite mettre en œuvre une présomption de légitime défense absolue alors là c’est vraiment nouveau et ça n’existe dans aucune démocratie. Cela signifierait que le policier peut se servir de son arme comme il veut, sans que jamais la justice ne puisse enquêter pour savoir s’il était en situation de légitime défense ou pas. C’est la mise en place d’un permis de tuer.

Une telle loi serait complètement inconstitutionnelle, puisqu’elle reviendrait à mettre en cause l’égalité devant la loi des citoyens. Les policiers ne sont pas en dehors de l’Etat de droit. Ils peuvent comme tous les citoyens commettre des actes répréhensibles et être alors jugés.

  • Nicolas Sarkozy se justifie en expliquant que "dans un Etat de droit, on ne peut pas mettre sur le même plan le policier dans l’exercice de ses fonctions et les délinquants". Qu’en pensez vous ?

Ca ne veut strictement rien dire. On n’est pas en train de comparer les vies humaines. Sur le plan moral tout le monde s’accorde à dire qu’être délinquant est moins bien que de ne pas l’être. Mais si l’individu qui a été tué, l’a été en dehors des règles de l’Etat de droit, le fait qu’il soit délinquant ne justifie rien. Encore une fois c’est de la diversion de la part de Sarkozy. Pendant qu’on parle de ça on ne parle pas d’autre chose.

  • L’intervention de Sarkozy s’inscrit dans un contexte tendu, avec une manifestation de policiers hier soir…

Que les policiers réagissent sous le coup de l’émotion, je peux le comprendre. Mais il suffit qu’il y ait une dizaine de policiers sur les champs Elysées pour que tout de suite on parle de l’affrontement entre police et justice. Il y a aussi plein de policiers qui ne sont pas confortables avec ce qui se passe. Il faut savoir qu’à l’origine c’est la procureure de Bobigny, réputée pour être aux ordres du pouvoir, qui fait placer le policier en garde à vue. Elle a ouvert une enquête pour "coup mortel". C’est donc qu’elle jugeait qu’il y avait des faits sérieux. Le juge a mis en examen le policier en retenant une infraction plus grave : l’"homicide volontaire".

  • La proposition de Nicolas Sarkozy figure dans le programme de Marine Le Pen qui invoque "le modèle de la gendarmerie nationale". De quoi s’agit-il ?

Ca n’a rien à voir. Les gendarmes n’ont pas une législation différente sur la présomption d’innocence. Ils ont une réglementation différente sur l’usage de leurs armes à feu. C’est donc une histoire de règlement d’usage des armes à feu, la justice n’a rien à voir là dedans. Les policiers ont des conditions assez strictes pour se servir de leur arme.

Un policier n’est pas automatiquement en position de légitime défense. Il faut qu’il y ait proportionnalité entre l’attaque et la riposte. Si quelqu’un essaye de vous voler vos CD vous ne pouvez pas l’abattre. S’il y a agression physique il faut étudier si la personne était armée, y avait-il danger de mort etc.

Il faut également qu’il y ait immédiateté de la riposte. On ne peut pas aller tirer sur quelqu’un alors que du temps s’est déroulé entre l’agression et la riposte. Sinon ça s’appelle de la vengeance. Quand on abat quelqu’un de quatre balles dans le dos, on peut légitimement se demander s’il y a proportionnalité et immédiateté dans la riposte.

  • Beaucoup de policiers se choquent du fait que le salaire du mis en examen ait été suspendu…

D’après ce que je sais, ce n’est pas vrai, le préfet est intervenu pour que son traitement soit maintenu. La justice en plus n’a rien à voir là-dedans, elle ne suspend pas le salaire des gens mis en examen, c’est l’employeur qui décide de le faire ou non. En l’occurence il s’agit du ministère de l’Intérieur.

La justice en revanche ne l’autorise pas à exercer ses fonctions. Cela semble assez normal pour quelqu’un qui est mis en examen pour homicide volontaire, et qui dans l’exercice de ses fonctions est appelé à manier une arme. En revanche il a été placé sous contrôle judiciaire ce qui signifie qu’il est en liberté. La plupart des gens qui sont accusés d’homicide volontaire vont en détention provisoire. Je ne suis pas personnellement un fanatique de la détention provisoire donc je ne vais pas la défendre, mais quand on me dit que la justice est dure avec les policiers, je trouve ça gonflé.

  • Y a-t-il une derrière cette histoire une guerre larvée entre police et justice notamment dans le 93 ?

J’ai été magistrat à Bobigny et j’ai toujours eu de très bonnes relations avec les enquêteurs. Les policiers font leur travail de leur mieux et souvent dans des conditions très difficiles. Notamment en Seine-Saint-Denis où ce sont les plus jeunes et les moins expérimentés qui sont envoyés dans ces zones. Les syndicats de police feraient mieux de se pencher sur ces problèmes. Dans les manifestations qu’on peut voir, les forces de l’ordre sont très mal représentées par les syndicats comme Alliance ou Synergie qui sont clairement à droite et font la campagne de Sarkozy. Leur activité principale est de casser du juge.

Notes


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