près d’un tiers des emplois sont fermés aux étrangers


article de la rubrique discriminations
date de publication : 2001
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6 500 000 emplois fermés aux étrangers en France, selon des associations

PARIS, 20 avril 2001 (AFP) - Plus de 6 500 000 emplois, « soit près d’un tiers des emplois disponibles en France », sont actuellement fermés aux étrangers non ressortissant de l’Union européenne, dénonce un collectif d’associations de défense des droits des étrangers et de syndicats.

Ils ont adressé récemment une lettre au Premier ministre Lionel Jospin pour demander l’abrogation des dispositions réglementaires ou législatives réservant certains emplois aux seuls citoyens français, ressortissants de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.

Lors de la table-ronde sur la lutte contre les discriminations organisée vendredi par Élisabeth Guigou, le représentant du GISTI, Antoine Math, a présenté un état des lieux de ces « emplois fermés ».

Outre des postes de la Fonction publique non régalienne (5 200 000), il s’agit des entreprises publiques à statut (EDF, GDF, SNCF, RATP, 400 000 emplois) et de la sécurité sociale (200 000).

Les emplois réservés concernent également certaines professions libérales et indépendantes : médecins, sage-femmes, directeurs de laboratoires d’analyse médicale, avocats, architectes, débitants de tabac, guides-interprètes de tourisme, directeurs de journaux, collecteurs de céréales...

Deux cent mille emplois frontaliers seraient aussi concernés.

Les associations rappellent que l’ancienne ministre des Affaires sociales, Martine Aubry, s’était engagée en 1998 à faire procéder à « une analyse exhaustive » de ces professions et à « envisager la suppression des discriminations qui n’ont plus aucune justification ».

La condition de nationalité doit disparaître « car elle viole manifestement le principe d’égalité garanti par les textes constitutionnels », soulignent les signataires.

Les associations insistent sur le « rôle d’exemplarité qui échoit à l’État », ajoutant que « les discriminations légales forment le socle des discriminations illégales ».

« L’effet de la suppression de ces discriminations ne sera pas forcément massif, mais il aura un effet de contagion pour l’ensemble du marché de l’emploi », a estimé Antoine Math. Dans certains cas, « il suffit au gouvernement d’abroger des dispositions réglementaires » alors que dans d’autres une loi est nécessaire, a-t-il précisé.

Outre le GISTI, les signataires sont des associations (Cimade, Emmaüs, FASTI, LDH, MRAP, SOS Racisme...), des syndicats (Syndicat de la magistrature, Sgen-CFDT...), des partis politiques (Verts, LCR), ainsi que la pastorale des migrants de l’Église catholique.


30 % des emplois fermés aux étrangers (L’Humanité du 30 octobre 2001)

1998. Le gouvernement, sur proposition de Martine Aubry, s’engage à examiner " les professions dont l’exercice est juridiquement interdit aux étrangers (...) afin d’envisager la suppression des discriminations qui ne sont plus justifiées ". Ce qui est visé, ce n’est pas la fonction publique, qui relève, selon la ministre, " d’une autre logique ", mais " le statut de plusieurs professions privées ou de certaines entreprises publiques ". Dans ce cadre, un rapport de la Direction de la population et des migrations comptabilise 615 000 emplois liés à la nationalité et 625 000 soumis à l’obligation d’un diplôme français.

2000. Une commission du Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD), où l’on retrouve Philippe Bataille, sociologue, Jérôme Guedj, directeur du GELD, ou Clémentine Autain, chargée de mission, rend ses conclusions. Il prend comme base de référence sept millions d’emplois interdits, " partiellement ou totalement ", soit 30 % de l’ensemble.

2001. Elisabeth Guigou, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, annonce la création d’un groupe de travail. Encore un. Non suivi d’effet.

La non-discrimination selon la nationalité, la " race ", le sexe, l’appartenance syndicale, est un principe constitutionnel : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Constitution de 1946, Convention européenne des droits de l’homme de 1950, Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1981, Code du travail. Pourtant, dans le privé, les professions d’avocats, médecins, chirurgiens dentistes, sages-femmes, experts-comptables, architectes, pharmaciens, géomètres experts sont interdites. Comme celles de directeurs de presse ou débitants de tabac. Dans le public, c’est au nom du principe de " souveraineté " et d’exercice de la " puissance publique " que l’on sévit.

Depuis 1991, des postes de titulaires se sont pourtant ouverts aux ressortissants communautaires. Les " emplois dans l’administration publique " : forces armées, police, magistrature, administration fiscale, diplomatie, leur restent fermés, soit environ 800 000, mais ils ont accès aux professions des transports publics, à la distribution d’électricité ou de gaz, aux compagnies aériennes et maritimes, aux postes et télécommunications, aux services opérationnels de santé publique, à l’enseignement public et à la recherche civile.

Mais la condition de nationalité ne correspond à aucun impératif : certaines entreprises publiques ou professions libérales, les postes de titulaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, se sont ouverts aux étrangers non communautaires. Ils peuvent être maîtres auxiliaires de l’Education nationale, médecins dans les services d’urgence, garde de nuit, ou hôpitaux excentrés, dentistes des hôpitaux, agents publics contractuels non-titulaires, ou travailler dans des entreprises de sous-traitance des actes de l’Etat. Ils exercent les mêmes tâches que leurs homologues français, avec statut précaire et rémunérations inférieures.

La discrimination est tellement ancrée dans les moeurs, que la Mairie de Paris a exigé, cet été, des Français ou Européens pour des CDD de peintres en bâtiment ! Tout aussi inadmissible, la Sécurité sociale, qui ne relève pas du public, ne peut employer d’étrangers en vertu de circulaires ministérielles de 1979 et 1980. Mise en garde par une trentaine d’associations en avril 2001, Elisabeth Guigou a reconnu en juillet le bien-fondé de la demande d’abrogation.

Autre injustice : seuls les élèves des Ecoles normales supérieures françaises et européennes peuvent être fonctionnaires stagiaires et rémunérés. Les étrangers suivent les cours, mais n’ont pas droit au statut.

Ces dispositions discriminatoires s’adaptent parfaitement à la chasse aux cerveaux, à la politique d’immigration avec quotas et aux demandes patronales en la matière, mais elles n’ont rien à voir avec l’équité. Leur abandon serait salutaire pour tout le monde, jusque dans nos " banlieues sensibles ".

Emilie Rive


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