Deux articles de Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’Homme, parus dans L’Humanité des 3 et 5 janvier 2007.
Pour ce dernier message de la semaine, partageons un dernier voeu. Que la campagne électorale, qui entre dans sa phase décisive, soit dominée non pas, comme en 2002, par la « lepénisation des esprits », par la désignation de boucs émissaires selon les origines, l’apparence, l’âge ou la religion, mais par ce qui unit tous les êtres humains présents sur le sol de France : la défense solidaire de droits égaux et l’engagement pour le progrès social.
L’année, de ce point de vue, n’a pas si mal commencé. Grâce à l’action tenace de plusieurs associations, la revendication du droit au logement « opposable » s’est imposée jusque dans les voeux présidentiels et les déclarations de candidats. Chiche, disais-je mercredi... mais attention : pour qu’un droit soit « réellement opposable », il ne suffit pas qu’on puisse saisir une administration ou un tribunal, il faut que des logements existent et soient accessibles, y compris financièrement, et il y a urgence.
La Fondation Abbé-Pierre estimait à 900 000 le nombre de logements à construire pour résorber le déficit accumulé depuis vingt-cinq ans. Qu’on ne nous refasse donc pas le coup de la « fracture sociale » : assez de mots, des actes, des moyens pour une politique du logement social dont l’État soit vraiment le garant, y compris en l’imposant à celles des villes qui refusent la solidarité.
Et puisque cette campagne s’ouvre à la question sociale, ne nous arrêtons pas en si bon chemin : dès lors que le même Jacques Chirac se met à parler de Sécurité sociale professionnelle, là encore, chiche ! Mais il ne s’agit pas, comme il le suggère, de fusionner ANPE et UNEDIC (en cherchant sans doute à y supprimer des emplois...) : il faut une vraie continuité des droits pour les travailleurs licenciés (revenu, protection sociale, formation...) - bref, un « droit opposable » à la Sécurité sociale professionnelle, pas une récupération de slogan.
Droit au logement, droit à une Sécurité sociale professionnelle... et si on reparlait droit au travail ? Est-il acceptable que ce droit, inscrit dans notre Constitution, ne se concrétise que par l’indemnisation du chômage ? Ne faudrait-il pas un contrôle des représentants du personnel sur les licenciements collectifs « boursiers » et les délocalisations « sauvages » ? Les candidats aux élections de ce printemps n’ont-ils rien à nous dire sur la garantie de ce droit au travail ? Rien d’utopique dans tout cela : la France, répétons-le chaque fois que nécessaire, a les moyens de faire progresser l’effectivité des droits sociaux. C’est le moment, citoyens, de dire haut et fort ce que nous voulons à celles et ceux qui sollicitent nos suffrages. Pour qu’avril 2007, au lieu de ressembler à avril 2002, prolonge dans les urnes la victoire d’avril 2006 contre le CPE. Travaillons-y ensemble !
Dans la corbeille de vœux du président de la République, cette année, un joli cadeau miroite à nos oreilles : le « droit au logement opposable ».
Que Jacques Chirac reprenne à son compte cette ancienne revendication de bien des associations - dont la LDH - ne peut a priori que nous réjouir. Mais pour que la corbeille de vœux ne soit pas qu’une de ces promesses qui, on le sait, « n’engagent que ceux qui les écoutent », il faudrait que bien des choses changent dans notre pays. Chaque hiver, il faut ouvrir la nuit des stations de métro pour que les SDF ne meurent pas trop nombreux dans nos rues. Trois millions de personnes sont sans logement ou mal logées, un million hébergées chez des tiers faute de pouvoir se loger elles-mêmes, et près de six millions « en situation de fragilité » par rapport à la conservation de leur logement actuel. Les SDF sont des centaines de milliers, dont plus de 25 % de femmes... et plus d’un tiers d’ouvriers ou d’employés, de « travailleurs pauvres » dont le salaire ne permet même plus de se loger dans une chambre de bonne. Rien de tout cela n’est dû au hasard. Les moyens consacrés par l’État aux territoires en difficulté, aux banlieues et aux quartiers populaires diminuent chaque année. Et la loi « Solidarité et renouvellement urbains » du 13 décembre 2000, qui impose aux communes construisant moins de 20 % de logements sociaux de payer une contribution de solidarité, est violée par la moitié des communes concernées.
En revanche, à l’automne 2005, le président de l’Union nationale de la propriété immobilière a proposé un « bail nouvelle location » avec pouvoir au propriétaire de mettre le locataire dehors à tout moment avec un préavis de trois mois... pour aider bien entendu à résoudre la crise du logement en incitant les propriétaires à louer davantage, comme l’« assouplissement du Code du travail » proposé par le MEDEF créerait, paraît-il, plus d’emplois...
Laurence Parisot nous avait prévenus en août 2005 : « La vie est précaire, l’amour est précaire, la santé est précaire, pourquoi le travail ne serait-il pas précaire ? » Avec l’UNPI, le logement s’ajoute à la liste des droits sacrifiés à la logique de la financiarisation tous azimuts.
La France a les moyens d’en finir avec cette situation indigne. Appliquer les lois en vigueur, dégager les moyens d’une vraie politique du logement social, en particulier dans les quartiers en difficulté, n’a rien d’impossible si la volonté politique n’en reste pas aux beaux discours. Le droit au logement peut devenir « opposable » demain, mais il y faudra plus qu’un coup de chapeau présidentiel un soir de réveillon : un changement profond de politique. Pour retrouver le sens de l’égalité et de la solidarité.