pour lutter contre la récidive : mieux vaut faire appel à des peines de substitution


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : dimanche 14 août 2005
version imprimable : imprimer


Le meurtre de Nelly Crémel a relancé le débat sur la récidive : l’un des deux meurtriers présumés, condamné à perpétuité en 1990 pour assassinat, avait bénéficié d’une libération conditionnelle en 2003.

Pierre Tournier présente deux études scientifiquement valides permettant d’évaluer les méthodes de lutte contre la récidive.

Sans oublier que, en matière criminelle, la récidive est rarissime.

[Première publication, le 24 juin 2005,
mise à jour le 14 août 2005.]


Deux études récentes, que le ministère de la Justice ne semble pas pressé de publier, sont disponibles sur le site de la commission justice des Verts :

- un rapport
étudiant le taux de récidive sur cinq ans pour un échantillon de 3 000 personnes qui ont été libérées en 1996-1997 - toutes peines confondues ;

- une enquête de terrain
en matière correctionnelle (délits) portant sur 5 500 dossiers, pour comparer, en matière de récidive, les effets de la prison et des peines substitutives : sursis, sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général.

Les conclusions de ces deux rapports sont très claires :

• La libération conditionnelle est suivie d’un taux de récidive plus faible que les fins de peine.

• Plus la peine est contraignante, plus la récidive est élevée. En données brutes, la différence est considérable : 72% des sortants connaissent une nouvelle condamnation pénale dans les 5 ans, contre seulement 19% pour les sursis simples [1].

Ces conclusions sont en concordance avec les travaux du Collectif « Octobre 2001 » et avec les recommandations du Conseil de l’Europe montrant que la prison n’est pas une bonne solution pour lutter contre la récidive.

• Le taux de récidive en matière criminelle est de moins de 0.5%, confirmant l’étude faite par Robert Badinter en vue de la suppression de la peine de mort.

La récidive n’est pas acceptable, mais il ne faut pas négliger 99.5% des cas sous prétexte de traiter les 0.5% qui choquent.

Il ne faut pas écouter "l’homme de la rue" qui "marche au sentiment", mais informer le citoyen avec des résultats sûrs. La position du Garde des Sceaux - "je refuse l’argument statistique" - est inacceptable.

Récidive : "Gare au populisme !"

par Stéphane Arteta [Nouvel Observateur du 23 juin 2005.]

Le meurtre de Nelly Crémel, dont le corps a été retrouvé dans une forêt près de La-Ferté-sous-Jouarre, a relancé le débat sur la récidive. L’un des deux meurtriers présumés, Patrick Gateau, 48 ans, avait été condamné à perpétuité en 1990 pour un assassinat avant de bénéficier d’une libération conditionnelle depuis 2003.

« Comment l’Etat peut-il relâcher un tel monstre ? », a déclaré, sous le coup de l’émotion, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui a promis de faire de cette tragédie un cas d’école en faisant « des propositions » d’ici au 14 juillet. Le message est clair : un durcissement des conditions de détention est à prévoir. Le sursis et la liberté conditionnelle seront sûrement chahutés.

Pourtant, les récidives en matière criminelle sont exceptionnelles : d’après Pierre V. Tournier, expert en criminologie, chercheur au CNRS, seuls 0,5% des meurtriers condamnés récidivent dans les cinq ans suivant leur libération [2].

Le Nouvel Observateur. - Est-il raisonnable de vouloir changer la loi, même après un crime abominable ?

Pierre V. Tournier. - Non, même si l’émotion est légitime, le législateur, lui, ne peut pas abuser de l’affectif et utiliser la souffrance pour mener une politique. L’exécutif et les élus en général doivent s’informer, examiner les chiffres, regarder la réalité. Or sur 1000 personnes condamnées dans des affaires criminelles 5 « seulement » récidivent. C’est rare mais c’est gravissime, donc ça marque. Mais on ne retient que ces 5 individus et on ne dit rien des 995 autres qui ne sont jamais présents dans l’esprit des gens ! Leur cas est évidemment moins spectaculaire. Cette distorsion est dangereuse et renvoie une image totalement faussée de la société et du risque qu’elle encourt réellement. Opposer la souffrance humaine aux statistiques est dangereux et populiste.

N. O. - Le taux de récidive est bas. Est-il pour autant incompressible ?

Pierre V. Tournier. - Le risque zéro est pratiquement impossible à atteindre. Mais il est possible de réduire encore plus les risques, un objectif qu’on n’atteindra pas en faisant n’importe quoi. Les travaux des scientifiques sur ce point, qui savent qu’en matière criminelle une libération conditionnelle soigneusement étudiée est l’outil le plus efficace pour lutter contre la récidive, sont systématiquement ignorés par les politiques de tous bords. Le mot « universitaire » devient presque, chez eux, une insulte ! Les différentes commissions qui se sont succédé sur la récidive, le bracelet électronique... ne sollicitent jamais les chercheurs. Pourquoi ? Parce que trop souvent les élus ne cherchent pas à résoudre les problèmes sur des sujets comme la criminalité, mais surtout à communiquer. Résultat, les décisions prises atteignent parfois l’objectif inverse de celui qui était proclamé.

N. O. - Que redoutez-vous ?

Pierre V. Tournier. - L’effet boomerang. Prenons l’exemple de quelqu’un condamné à cinq ans de prison et qui va purger sa peine entièrement, au lieu de la moitié alors qu’il pourrait être libéré. Il va coûter deux fois plus cher à la société. Compte tenu des conditions carcérales, son comportement à sa sortie de prison offrira moins de garantie de réinsertion. Et ayant purgé sa peine, il ne sera pas pris en charge ! Résultat, on aura repoussé le risque de deux ans et demi. En l’aggravant.

N. O. - Et que pensez-vous de l’efficacité des lois californiennes qui condamnent automatiquement à la perpétuité tout récidiviste qui en est à sa troisième condamnation ?

Pierre V. Tournier. - Ces dispositions sont si contraires à la morale, à l’esprit de nos lois qu’elles n’ont pas besoin d’être évaluées. Ce qui n’empêche pas certains hommes politiques de les avoir en tête...

Notes

[1Certains facteurs peuvent fausser la comparaison.
On observe, par exemple, que le taux de récidive est beaucoup plus important en cas d’absence de « profession déclarée » ; d’autre part, pour les TIG (qui concernent le plus souvent des sans profession) le taux de récidive est semblable à celui des sortants de prison.

Après élimination de tous les facteurs qui peuvent fausser la comparaison, l’écart entre prison et peines de substitution n’est pas très important mais reste toujours dans le même sens : 70% pour les peines contraignantes, 55 ou 60% pour les peines de substitution.

[2Cette étude réalisée avec Annie Kensey en 1996 et 1997 repose sur l’examen de 99 casiers judiciaires de condamnés pour homicide volontaire, cinq ans après la levée d’écrou.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP