“outrage au drapeau” : la garde des Sceaux a tout faux


article communiqué de l’Observatoire de la liberté de création  de la rubrique libertés > liberté de création
date de publication : vendredi 23 avril 2010
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L’Observatoire de la liberté de création dont la LDH est membre dénonce la censure par la Fnac d’une photographie désignée comme coup de cœur lors d’un concours qu’elle avait organisé à Nice en mars.

D’autre part, l’observatoire rappelle à la ministre de la Justice que la Constitution protège le principe de la liberté d’expression : les œuvres de l’esprit sont exclues du champ d’application de l’article qui sanctionne le délit d’outrage au drapeau.


Communiqué de l’Observatoire de la liberté de création

Paris, le 23 avril 2010

« Outrage au drapeau » : la garde des Sceaux a tout faux

La Fnac, qui se promeut comme agitateur de curiosité, a publié la photographie d’un jeune Niçois désignée comme coup de cœur dans la catégorie « politiquement incorrecte » lors d’un concours organisé par elle à Nice en mars. Pour la censurer le lendemain, en « accord avec l’auteur ». De quoi s’agit-il ? D’un homme de dos qui se frotte le postérieur avec un drapeau de la République.

L’Observatoire de la liberté de création tient à dénoncer cette censure, mais il tient à féliciter la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, pour la notoriété que son agitation procure au cliché en question. En revanche, l’Observatoire de la liberté de création s’inquiète des connaissances juridiques de la ministre.

En effet, alors que le délit de l’article 433-5-1 du Code pénal ne vise l’outrage au drapeau qu’au cours d’une manifestation organisée ou règlementée par les autorités publiques, il est manifestement inapplicable à un concours organisé par la Fnac. Pourtant, la ministre n’a pas hésité à demander une enquête pénale, tout en reconnaissant par la voix de son porte-parole que, peut-être, la loi ne s’appliquait pas.

Ce peut-être est même certain puisque le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 13 mars 2003, imposé une réserve d’interprétation à cet article qui est tout à fait claire : sont exclus du champ d’application de l’article critiqué les œuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementés par elles.

La ministre fait savoir depuis hier, puisque le parquet de Nice lui a répondu qu’il avait, en bonne logique juridique, classé sans suite cette « affaire » il y a un mois déjà, qu’elle réfléchissait à la création par décret d’une contravention de cinquième classe sanctionnant de tels agissements. Voilà une copie qui vaudrait à un étudiant en droit un zéro pointé.

L’Observatoire de la liberté de création rappelle à la ministre que la loi pénale ne peut avoir d’effet rétroactif, d’une part, et que la voie réglementaire se doit, tout autant que la loi, de respecter la Constitution, laquelle protège le principe de la liberté d’expression. L’Observatoire de la liberté de création invite la ministre à lire attentivement la décision du Conseil constitutionnel, qui invalide par avance toute tentative de sa part de soumettre les œuvres de l’esprit à un tel interdit.

Signataires

Acid, Association du cinéma indépendant pour sa diffusion
Cipac, Fédération des professionnels de l’art contemporain
Fraap, Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens
Groupe 25 images
Ligue des droits de l’Homme
SFA, Syndicat français des artistes interprètes
SRF, Société des réalisateurs de films
UGS, Union Guilde des scénaristes

Il s’essuie avec le drapeau tricolore, Michèle Alliot-Marie proteste

[LEMONDE.FR avec AFP, le 22 avril 2010]


C’est une image qui passe mal. Mercredi 21 avril, la ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, a demandé que des poursuites pénales soient engagées après la diffusion d’une photographie montrant un homme s’essuyant les fesses avec le drapeau français. Le cliché visé faisait partie des "coups de cœur" du jury d’un concours photographique organisé par la Fnac de Nice le 6 mars, et a été publié en tant que tel le 19 mars dans l’édition locale du quotidien gratuit Metro. Trois thèmes étaient proposés à l’imagination des photographes amateurs, dont celui du "politiquement incorrect", pour lequel a concouru le jeune primé.

"On peut penser qu’il y a déjà en l’état actuel du droit des moyens juridiques pour sanctionner un acte aussi intolérable contre le drapeau français", a déclaré Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la justice. "Si le droit actuel se révélait être lacunaire sur ce point, alors il faudrait le faire évoluer, et Michèle Alliot-Marie le proposerait", a-t-il ajouté.

La décision du ministère a été prise après réception d’un courrier du député et président UMP du conseil général des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, sensibilisant la ministre à cette affaire "outrageante" selon lui pour le drapeau français et lui demandant d’envisager des poursuites. Le député explique avoir été alerté par des associations d’anciens combattants et avoir reçu de nombreuses lettres d’électeurs choqués par l’image.

"Les anciens combattants tout comme les citoyens qui se sont battus pour la France, ou encore les familles des millions de Français qui sont morts pour ce que notre drapeau représente, ont ressenti une profonde offense en voyant une enseigne nationale telle que la Fnac encourager l’idée de bafouer l’image de notre pays à travers son emblème en décernant un prix à cette photographie", écrit-il sur son site officiel.

« Quelle est la limite de l’art, de la provocation, de la liberté d’expression ? »

Eric Ciotti avait auparavant écrit au PDG de la Fnac, Christophe Cuvillier, pour lui dire sa "stupeur" devant le choix du jury, et lui rappeler que l’outrage public au drapeau est un délit. De son côté, la Fnac souligne avoir pris très rapidement des mesures pour éteindre la polémique. "Quand nous avons vu que l’image choquait, nous l’avons tout de suite retirée de la liste des lauréats, avec l’accord du photographe, et nous ne l’avons pas exposée", a déclaré une porte-parole de l’enseigne culturelle.

Metro pour sa part affirme n’avoir fait "que relater un événement local" dont il n’était "pas partenaire". "La question qui est posée est celle de savoir quelle est la limite de l’art, de la provocation, de la liberté d’expression", s’interroge Frédéric Vézard, directeur de la rédaction de Metro France.

Pour la chancellerie, l’enquête pénale confiée au parquet de Nice devra déterminer si le délit d’outrage prévu par la loi est constitué. Selon l’article 433-5-1 du code pénal, "le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d’amende", ainsi que de six mois d’emprisonnement lorsqu’il est commis en réunion. L’article 2 de la Constitution stipule que "le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge" est "l’emblème national" de la République.

Selon le procureur, le délit n’est pas constitué

Eric de Montgolfier, le procureur de la République de Nice chargé d’engager les poursuites, avait déjà été saisi en mars et estimé que le délit n’était pas constitué. "Il y a un mois le préfet m’avait saisi. Je lui ai notifié ma décision de classement le 30 mars. Le Conseil constitutionnel a rendu le 13 mars 2003 une décision affirmant que sont exclues du champs d’application de la loi les œuvres de l’esprit", a expliqué Eric de Montgolfier, mercredi 21 avril.

Par ailleurs, "l’outrage doit être commis lors d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, ce qui n’est pas le cas", a-t-il estimé. "J’ai informé la garde des sceaux de la décision que j’avais prise", a-t-il ajouté.

En 1988, M. George H. W. Bush...

En 1988, M. George H. W. Bush succéda à Ronald Reagan après une campagne d’une démagogie insigne [1], au cours de laquelle il réclama que soit criminalisé le fait de brûler la bannière étoilée – un acte commis entre une et sept fois par an… Avec le courage qu’on imagine, plus de 90 % des parlementaires américains adoptèrent une disposition répressive allant en ce sens – laquelle fut annulée par la Cour suprême. Au même moment éclatait l’un des plus grands scandales de l’histoire économique des Etats-Unis, celui des caisses d’épargne déréglementées par le Congrès, que des aigrefins avaient pillées, enhardis par des sénateurs dont ils avaient financé les campagnes. En 1988, nul ou presque n’avait évoqué le péril d’une telle arnaque, bien qu’il fût déjà connu. Trop compliqué, et puis la défense du drapeau occupait les esprits.

Serge Halimi, édito du Monde diplomatique, avril 2010 [2]


Un dessin de Siné de juin 1968 [3]


Notes

[2L’article intitulé « Burqa bla bla » montre que, dans ce genre de situation, un train peut être destiné à en cacher un autre.


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