C’est sans doute ce que pensaient une jeune avocate parisienne et son compagnon. Dans la nuit du 14 janvier, quelque peu éméchés, ils s’amusaient dans une rue parisienne à brûler un morceau de papier pour jouer à se réchauffer. Résultat : placement en garde à vue, pour tentative d’incendie d’une voiture en stationnement.
En fait, c’est la section anti-terroriste qui les “gardera” pendant plus de 48 heures : l’avocate était repérée – traduisez : fichée – comme proche de la mouvance « anarcho-autonome », et son ami était connu – fiché – « pour graviter dans le milieu de l’ultra-gauche ». Tous deux seront finalement libérés vendredi 16 janvier, sans que la moindre charge ne soit retenue à leur encontre.
Mais ils sont maintenant poursuivis pour... avoir refusé de se prêter à un prélèvement ADN, refus constituant une infraction réprimée par la loi. Comme le remarque Le Canard enchaîné, le couple a donc eu droit au traitement minimum réservé aux parfaits innocents : outre la garde à vue, le fichage au Stic, l’inscription au fichier des empreintes génétiques et un renvoi devant le tribunal pour refus de prélèvement !
Garde à vue anti-terroriste pour dégradation
Jeudi 15 janvier, on apprenait aux infos du matin de RTL qu’ « un couple proche des milieux anarcho-autonomes aurait tenté d’incendier une voiture à Paris ».
L’information était reprise en début de soirée : « Les proches du couple dénoncent une utilisation abusive de la qualification de terrorisme », et relayée sur le site internet de RTL [1] :
Deux personnes sont en garde à vue depuis mercredi devant la section antiterroriste de la Brigade criminelle. Un homme et une femme qui sont soupçonnés d’avoir incendié une voiture rue Pradier, dans le XIXème arrondissement de Paris. Leurs profils intéressent les enquêteurs. Ils sont proches des milieux anarcho-autonomes, très actifs au sein du Comité de soutien de Julien Coupat, leader présumé des saboteurs de caténaires à la SNCF.
Confirmation dans la soirée :
Une jeune avocate et son ami ont été interpellés dans la nuit de mardi à mercredi 14 janvier, pour avoir tenté de mettre le feu à deux véhicules dans une rue de Paris. L’affaire semblait de faible ampleur, malgré la profession légalement « protégée » de la jeune femme. Mais, pendant la garde à vue, les enquêteurs ont découvert que les deux intéressés étaient « surveillés pour leurs liens avec l’ultra-gauche », selon une source policière, et qu’il s’agirait de « deux militants de la cause autonome ». [2]
On sait que nos gouvernants, et notamment la ministre de l’intérieur Michèle Alliot-Marie, manifestent une véritable paranoïa devant ce qu’ils désignent par les expressions « mouvance anarcho-autonome » ou « ultra-gauche ». Cela explique pourquoi l’avocate et son ami, d’abord mis en cause pour une tentative d’incendie, ont basculé sous le régime de la législation antiterroriste, en application de la note du 13 juin 2008 du ministère de la justice.
De nouveaux motifs de suspicion
Des “informations” sur ces deux individus ont continué à apparaître sur internet :
De source proche de l’enquête, l’avocate parisienne a été aperçue lors d’une manifestation en novembre 2003 devant la maison d’arrêt de la Santé lors du deuxième Forum social européen tenu en France. Plus récemment, elle aurait participé à une réunion le 6 décembre dernier à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour brocarder les interpellations de Tarnac. Son ami, présenté de source policière comme « gravitant dans la mouvance d’ultragauche », serait connu pour “avoir manifesté activement son soutien à Julien Coupat”, toujours incarcéré depuis le 15 novembre dans l’affaire du sabotage de la SNCF. [3]
Il a été également signalé que la jeune avocate avait consacré un mémoire à un thème touchant aux dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme issues de la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001...
Mais le lendemain :
Libération des “deux proches de l’ultra-gauche”
Un couple, soupçonné d’avoir tenté d’incendier une voiture à Paris et placé en garde à vue à la section antiterroriste pour de présumés liens avec la mouvance d’ultra-gauche, a été libéré sans charge retenue à son encontre, a-t-on appris vendredi 16 janvier de source judiciaire.
Cet homme de 28 ans et son amie, une avocate de 30 ans, avaient été interpellés mercredi à 4 heures du matin alors qu’ils tentaient de mettre le feu à deux véhicules garés dans le 19e arrondissement, non loin de l’emplacement d’un ancien commissariat de police. Le couple, en état d’ébriété, a dans un premier temps été placé en garde à vue sous le régime du droit commun, avec avocat commis d’office.
Mais tout a changé lorsque, vérifications faites, l’identité des personnes s’est précisée. L’homme a été mis en cause dans une affaire de vol, mais surtout il "est connu pour graviter dans le milieu de l’ultra-gauche", selon une source judiciaire. Les services de renseignement de la police (ex-RG) ont par ailleurs informé leurs collègues que l’avocate serait proche de la mouvance "anarcho-autonome" : son nom et son numéro de téléphone portable apparaissent dans les carnets d’adresses saisis lors des interpellations de Tarnac, où neuf personnes, soupçonnées d’avoir saboté les caténaires SNCF, ont été mises en examen pour association de malfaiteurs à visée terroriste.
La jeune avocate connaîtrait Julien Coupat, décrit par la police comme le chef du groupe. Dès lors, le dossier a été transmis au parquet antiterroriste et la section antiterroriste de la brigade criminelle saisie. Les deux personnes interpellées ont alors basculé dans le régime antiterroriste, qui prévoit jusqu’à 96 heures de garde à vue. Des perquisitions à leur domicile ont été effectuées.
Inscrite au barreau de Paris, l’avocate travaillait, il y a peu encore, pour un cabinet spécialisé notamment dans les dossiers qui concernent l’extrême gauche.
[4]
Information confirmée et précisée sur internet :
Le parquet de Paris a indiqué à l’agence Reuters, vendredi midi, que les deux intéressés [...] « ne seront pas poursuivis, même pour les faits pour lesquels ils ont à l’origine été arrêtés ». Sur les soupçons de lien avec « l’ultra-gauche », le parquet a fait état de la présence du numéro de téléphone de l’avocate en possession de Julien Coupat, présenté comme le « chef » du groupe dit « de Tarnac ». Au sujet de cet élément téléphonique, le parquet a précisé : « Il ne s’agit pas d’un délit »... [2]
Résumons avec le Canard enchaîné du 28 janvier 2009 :
Sévice minimum
Comment se retrouver devant un tribunal correctionnel quand on n’a rien à se reprocher ? Question pour étudiant en droit sur laquelle doit également se pencher cette avocate parisienne, interpellée, le 14 janvier, avec son compagnon. Passablement éméchés, semble-t-il, ils ont vécu un feuilleton judiciaire à rebondissements.
Premier temps, ils sont accusés, comme des cailleras de banlieue, d’avoir voulu mettre le feu à une voiture en stationnement.
Deuxième temps, la police trouve, dans la poche de l’avocate, un tract en faveur de Julien Coupat, l’homme soupçonné d’avoir saboté des caténaires, et toujours incarcéré. Cela change tout, décrète le parquet de Paris. Au lieu d’incendiaires désœuvrés, voilà le couple élevé au rang et à la dignité de terroristes ! La section compétente est saisie, et la procédure spéciale mise en oeuvre.
Troisième temps, la police et le procureur découvrent que, tout bien considéré, ils n’ont aucune charge contre ces joyeux fêtards qui s’amusaient simplement à brûler un morceau de papier pour jouer à se réchauffer. Il n’ y a encore aucune loi qui interdise de rigoler. Un vide juridique à combler. Les deux innocents sont donc relâchés au bout de 48 heures, bonjour chez vous et pardon pour le dérangement.
Fin du fait divers ? Non : quatrième temps, le tandem infernal est poursuivi pour... refus de se prêter à un prélèvement ADN. Au moment où ils étaient suspects, la police leur avait vainement demandé de se prêter à cette formalité. Leur refus constitue une infraction réprimée par la loi. En réalité, les flics ont récupéré sournoisement des mégots de cigarette, et donc les ADN convoités. Le couple aura donc droit au traitement minimum réservé aux parfaits innocents : outre les deux jours de garde à vue, fichage au Stic, inscription au fichier des empreintes génétiques et renvoi devant le tribunal pour le refus de prélèvement.
Ils s’en tirent bien....
L.-M. H.
[1] Voir http://www.rtl.fr/fiche/3054285/inf... qui permet de réécouter les informations diffusées sur l’antenne de RTL.
[2] D’après un article d’Erich Incyan sur le site Mediapart.
[3] LeFigaro.fr, le 15/01/2009 à 23:05.
[4] « Deux proches de l’ultra-gauche placés en garde en vue "antiterroriste" ont été libérés », par Isabelle Mandraud avec AFP, LEMONDE.FR 16.01.09 10:19, mis à jour à 13:05.