mort d’Agnès : combien de cas similaires chaque année ?


article de la rubrique discriminations > “violence” des jeunes
date de publication : mardi 22 novembre 2011
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Le nombre annuel pour la France entière de cas analogues à celui d’Agnès – viol suivi d’un meurtre – est extrêmement faible. Tout en comprenant et en partageant l’émotion déclenchée par cette affaire, on « voit mal quel problème de société il faudrait en déduire, ni quelle réforme pénale ou psychiatrique il serait urgent d’adopter ».

Dans l’article que nous reprenons, le sociologue Laurent Mucchielli propose de s’interroger : « le risque zéro existe-t-il ? Ou bien encore : d’autres causes de mortalité des adolescents (le suicide par exemple) ne sont-elles pas beaucoup plus importantes alors que l’on n’en parle quasiment pas ? »


Mort d’Agnès : combien de cas similaires chaque année ?

Ce que chacun appelle désormais la "mort d’Agnès" est, de par la nature des faits et la situation de récidive, un événement dramatique qui choque à juste titre tout un chacun et occupe les devants de la scène médiatique : l’on veut tout savoir du lieu du drame et de ses protagonistes, on guette les policiers et le Procureur de la république pour avoir des fuites sur les procès-verbaux, on cherche les parents et les amis, on invite au journal tel responsable de l’internat concerné, on interviewe des psychiatres... Et, comme souvent, la dimension nationale et l’ampleur de l’incendie médiatique favorisent la réaction des politiques. Président, premier ministre, ministres, chacun y va de son intervention. François Fillon déclare que la prévention de la récidive sera désormais "une priorité absolue" (elle ne l’était pas déjà ?). De son côté, le ministre de la Justice annonce qu’il présentera mercredi au Conseil des ministres un nouveau projet de loi réformant le code pénal (peut-être la 50e réforme depuis dix ans ?). Mais personne ne se demande jamais si ce genre de crime est fréquent ou pas.

Les statistiques de police et de gendarmerie comptent chaque année les meurtres, elles donnent aussi quelques précisions et distinguent notamment les homicides sur mineurs. Elles renseignent aussi sur l’auteur. L’on peut ainsi savoir combien de mineurs ont tué un(e) autre mineur au cours de la dernière année complète. En 2010, il y a eu en France deux mineurs ayant tué un(e) autre mineur.

De nos études sur les homicides, nous pouvons préciser que ces meurtres entre mineurs sont généralement le fait de garçons sur d’autres garçons. La statistique de police ne précise pas le sexe des victimes, mais il est donc probable que sur ces 2 cas de 2010, 1 seul sinon 0 correspond au cas d’un mineur (garçon) tuant une mineure (fille).

Enfin, de l’étude sur les viols que nous avons pilotée avec Véronique Le Goaziou, nous pouvons ajouter que, étudiant les viols jugés aux assises dans trois département (Paris, Versailles et le Gard - justement) durant les années 2000, nous avons dépouillé 425 dossiers impliquant 488 auteurs et 566 victimes. Sur ces 425 viols, seuls 2 avaient été suivis de meurtre. Et l’un des deux violeurs-tueurs était un mineur (dont il n’était du reste pas absolument certain qu’il s’agissait d’un viol et pour lequel il n’y avait pas de situation de récidive). Au total, sur une période de presque dix ans et sur 3 départements, nous avons donc trouvé en tout et pour tout 1 seul cas correspondant un peu à la situation sous analyse.

Dès lors, si l’on comprend bien l’émotion déclenchée par cette affaire, l’on voit mal quel problème de société il faudrait en déduire, ni quelle réforme pénale ou psychiatrique il serait urgent d’adopter s’agissant, redisons-le une dernière fois, d’une fréquence annuelle de cas comprise entre 0 et 1 par an à l’échelle de la France entière. Peut-être pourrait-on aussi s’interroger : le risque zéro existe-t-il ? Ou bien encore : d’autres causes de mortalité des adolescents (le suicide par exemple) ne sont-elles pas beaucoup plus importantes alors que l’on n’en parle quasiment pas ?

Le 21 novembre 2011.

Laurent Mucchielli


Pour aller plus loin :

Dans un billet du 21 juin dernier, après avoir constaté que Au-delà des faits divers, on se tue de moins en moins en France, Laurent Mucchielli abordait « un autre sujet fréquent de fantasmes », « « le rajeunissement des criminels » :

« la part des mineurs parmi les auteurs d’homicides premièrement est globalement orientée à la baisse depuis les années 1970, deuxièmement est très limitée dans la statistique policière : de 4,5 à 6,5 % selon les années, bien loin de leur part dans l’ensemble de la délinquance enregistrée par cette statistique. En réalité, l’homicide est un crime de jeunes adultes. S’il se rencontre parfois à l’adolescence, il est plus fréquent encore à 60 ans. Surtout, il est en réalité concentré entre 20 et 40 ans et plus nettement encore entre 20 et 30 ans. »

et il concluait, évoquant le décès par traumatisme crânien d’une collégienne de 13 ans qui avait été battue par un garçon d’une quinzaine d’années :

« ce fait divers est évidemment dramatique mais il n’est nullement représentatif de la réalité des morts violentes, ni de la délinquance des mineurs. Au vu des données et des recherches disponibles, il apparaît au contraire plutôt comme un cas hors normes. »


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