monsieur Méhaignerie et la vidéosurveillance


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : lundi 22 septembre 2008
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Le savoir-faire politique de Pierre Méhaignerie n’est plus à démontrer. Réélu maire de Vitré en mars dernier, pour un sixième mandat, il semble avoir décidé d’implanter la vidéosurveillance dans cette paisible petite ville d’Ille et Vilaine.

Monsieur Méhaignerie n’a sans doute pas lu l’article de Sébastian Roché repris ci-dessous, car il est convaincu de l’efficacité de la vidéosurveillance. N’a-t-il pas déclaré à Ouest France le 25 février dernier que « au cours de la réunion du Cspd [1] présidée par le préfet, en présence du procureur de la République, de la gendarmerie, la police et des associations concernées, chacun a reconnu le caractère dissuasif de la vidéosurveillance ».

A la question de savoir si « la délinquance a augmenté à Vitré », il a répondu lors du dernier conseil municipal que « la perception des Vitréens est que oui, la délinquance augmente ! », sans donner la moindre précision chiffrée.

S’ils ne réagissent pas, les Vitréens vont se retrouver équipés d’un réseau de vidéosurveillance qu’ils n’ont pas demandé, sans en avoir véritablement débattu.


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Domiziana Giordano - Termini299

Monsieur Méhaignerie en campagne [2]

Jeudi 21 février 2008, Pierre Méhaignerie, député-maire (UMP) de Vitré, anime sa première réunion publique de la campagne des municipales avec une spéciale seniors. Il est 15 h. Dans l’auditorium, cent trente personnes sont installées pour assister au « show » du maire sortant. « On le connaît bien, le gars Pierre ».

Interpellé sur les questions de sécurité, Pierre Méhaignerie reconnaît « que Vitré est confrontée aujourd’hui à des faits de délinquance qui peuvent irriter la population. » Tags, voitures dégradées... le député-maire de Vitré souhaite « ouvrir rapidement un débat sur la mise en place d’un système de vidéosurveillance en sept ou huit endroits de Vitré à coupler avec une politique de prévention. »

Monsieur Méhaignerie enfonce le clou [3]

« Hélas, la situation à Vitré suit la tendance de beaucoup de villes. La police municipale a assuré cet été un nombre plus important de rondes de nuit pour lutter contre les incivilités, l’alcool, le bruit, dans certains secteurs. »

« Au cours de la réunion du Conseil de sécurité et de prévention de la délinquance présidée par le préfet, en présence du procureur de la République, de la gendarmerie, la police et des associations concernées, chacun a reconnu le caractère dissuasif de la vidéosurveillance. Elle aide à la prévention et à l’identification des malfaiteurs. Doit-on la mettre en place à Vitré ? Un débat doit avoir lieu avant de décider ou pas d’installer un tel système, limité à quelques endroits comme, par exemple, le souterrain de la gare SNCF. »

Conseil municipal de jeudi 18 septembre 2008 [4]

«  Dans certains quartiers de Vitré, des gens font appel à nous depuis des années, pour des problèmes de sécurité. On doit les écouter, déclare-t-il. Dans les municipalités, de quelque sensibilité que ce soit, il faut montrer aux citoyens qu’on tient à leur sécurité. »

« Je vous propose de créer un groupe de travail pour la prévention et la lutte contre la délinquance qui sera chargé, entre autre, d’étudier la faisabilité d’installer des caméras de vidéosurveillance en ville. »

A Jacques Coignard (PS) qui lui demande si « la délinquance a augmenté à Vitré ». Pierre Méhaignerie répond : « La perception des Vitréens est que oui, la délinquance augmente. [...] C’est pourquoi j’ai demandé à la gendarmerie d’organiser une conférence de presse pour donner la réalité des chiffres ! ». Mais aucun chiffre n’a été annoncé jeudi dernier. « Le conseil municipal en aura connaissance jeudi 25 septembre », de 10 h à 12 h, en mairie.

Evaluer la vidéosurveilllance

par Sébastian Roché  [5], Libération, le 19 décembre 2003

Les rares enquêtes fiables montrent que ce dispositif n’enraye la délinquance qu’à la marge.
Pour lutter contre la délinquance, l’amélioration de l’éclairage public se révèle souvent plus efficace que la pose de caméras de surveillance.

La vidéosurveillance se développe rapidement. Avec quels effets ? Nous avons besoin d’évaluations sérieuses pour savoir ce qui marche. Or, la plupart du temps, les raisons qui justifient l’installation d’un dispositif technique sont issues de l’expérience personnelle ou d’anecdotes (Untel m’a dit qu’il pensait que cela avait de l’effet), mais aussi d’une croyance vague (cela devrait avoir un effet puisqu’on peut « mieux voir »), ou d’une étude isolée (dans telle rue d’une ville donnée, on a « enregistré » une baisse de la délinquance à la suite de l’installation de caméras). La plupart du temps, ce sont les sociétés qui conseillent les communes qui sont interrogées par la presse comme expert pour dire si c’est efficace. On comprend que leur réponse est oui.

Mais, seul le recours à des évaluations indépendantes et appuyées sur une méthode indiscutable peut permettre vraiment de trancher. C’est important. L’argent dépensé pour la vidéosurveillance ne l’est pas pour autre chose, et, si cela ne marche pas, il est gaspillé, privant la collectivité d’une réduction de la délinquance très attendue par la population. Les gens ne vont pas éternellement se contenter de bonnes intentions ou de manifestations de volonté (si on installe la vidéo, c’est que le gestionnaire ou l’élu ont vraiment la question à coeur). Plus de sécurité, c’est moins de délits : c’est cela qui est apprécié par les citoyens.

Il y a beaucoup de « pièges » dans les démonstrations apparemment convaincantes, la plus fréquente est l’absence de point de référence. Prenons un exemple. Aujourd’hui, la délinquance diminue dans certaines communes. Le journal municipal de l’une d’entre elles explique qu’avec la baisse connue, la délinquance atteint le niveau « le plus bas jamais enregistré depuis dix ans » . Comme cet effondrement se produit après la mise en place d’un système de vidéosurveillance, la tentation sera forte de conclure à l’efficacité, et ce au nom du bon sens : « Je crois ce que je vois. »

Mais, voilà qui est insatisfaisant : la commune d’à côté, qui n’a pas de vidéo dans les rues, a enregistré la même baisse. Conclusion : pour savoir si la vidéosurveillance apporte un bienfait éventuel, il faut être en mesure de comparer les évolutions dans le lieu étudié (rues, parking, école, etc.) et d’autres lieux comparables dans lesquels on n’a pas mis cette technologie en place. On parle de « condition de contrôle ».

Que sait-on avec le plus de certitude, si l’on s’en tient à un bilan des études les plus indiscutables ? Ce qui ressort des évaluations pour lesquelles on dispose d’une condition de contrôle (un lieu avec lequel comparer celui qui est vidéosurveillé) est que la réduction, lorsqu’elle se produit, est minime, et, parfois, tellement faible qu’on ne sait pas si elle est vraiment significative. Les études trouvent des réductions de l’ordre de 2 % des délits, notamment dans l’habitat social ou dans les centres-ville. C’est tout à fait négligeable, surtout en regard de l’investissement consenti.

Le fait que les utilisateurs trouvent le système pratique est une autre question : ils ont l’impression que c’est un gage d’efficacité parce qu’ils « voient sur l’écran et vont intervenir ». L’évaluation est là pour rappeler que ce ne sont pas les perceptions des agents qui garantissent l’efficacité d’une mesure. Il ne faudrait pas oublier les effets négatifs, c’est-à-dire contraire à ceux qui sont attendus : une augmentation des délits. Dans les centres-ville, sur cinq évaluations, trois ont apporté une amélioration négligeable de 2 % comme nous venons de le dire, et deux autres un effet « indésirable ».

Dans les transports en commun, on trouve aussi deux évaluations avec une toute petite amélioration, une sans effet et une avec un effet inverse à celui recherché : les vols avec violence avaient augmenté deux fois plus que dans la station « contrôle » (sans vidéo). Quand toutes ces évaluations sont rassemblées, si l’on calcule une sorte de moyenne, on ne trouve pas d’effet significatif de baisse de la délinquance.

Il ne s’agit pas de condamner la vidéosurveillance par principe, mais de juger sur les faits. Elle peut apporter, dans des conditions très restrictives, et sur des types de délits précis, des améliorations. C’est le cas dans les parkings. Parfois, l’installation de la vidéo dans un parking diminue jusqu’à 40 % les vols dans les voitures. Mais, si l’on regarde l’évolution du nombre des vols dans l’ensemble des parkings, y compris ceux qui ne sont pas fermés, il a continué à augmenter. De plus la vidéo ne réduit pas les vols de véhicules. On sait que ce résultat est accompli non par la vidéo seule mais en conjonction avec d’autres facteurs ! Et il s’avère même que ce sont ces autres facteurs qui sont les plus significatifs.

En effet, dans les évaluations qui notent une amélioration de la sécurité du parking, le gestionnaire a pris d’autres mesures comme améliorer l’éclairage ou orienter les patrouilles de police plus souvent dans la même zone. Si l’éclairage et les patrouilles suffisent à expliquer l’amélioration, on pourra préférer ces solutions : elles sont moins coûteuses. Surtout, la police peut être facilement re- déployée au fur et à mesure que la délinquance se déplace. Pas les caméras. Résumons : quand les évaluations sont scientifiques et prennent bien en compte les effets d’autres aménagements comme les patrouilles de police, on ne trouve pas d’effet de la vidéo sur la baisse de la délinquance.

Cerise sur le gâteau, les rapports d’évaluation qui concernent l’effet de l’amélioration de l’éclairage sur la délinquance montrent de bien meilleurs résultats. L’éclairage public plus puissant réducteur de la délinquance que la vidéosurveillance, tel est bien un des enseignements des évaluations.

Le débat aujourd’hui tient à l’extension aux espaces ouverts au public (école, centres commerciaux, rues du centre-ville) de la solution miracle que constitue la technologie. La Grande-Bretagne est un pays qui a opté en masse pour ce choix. Aux Etats-Unis, on ne l’a pas fait, ce qui n’a pas empêché ce pays de connaître une décrue importante du nombre de crimes et délits. En France, il y a environ dix fois moins de caméras dans les espaces publics qu’en Grande-Bretagne, ce qui n’empêche pas notre pays de connaître un taux d’agressions physiques deux fois moins élevé que la Grande-Bretagne.

Ces résultats, et ceux des évaluations scientifiques indépendantes, donnent à réfléchir et feraient bien d’être considérés sérieusement par les élus et gestionnaires d’équipement avant d’investir beaucoup d’argent : la vidéosurveillance n’est pas une baguette magique, bien au contraire. On peut déterminer combien la vidéosurveillance coûte, et on peut dire qu’elle n’apporte pas d’améliorations significatives. Veut-on communiquer avec les usagers et citoyens en utilisant la technologie comme signe de détermination apparente, ou veut-on diminuer le risque d’être victime et augmenter celui de prendre les délinquants ?

Sébastian Roché

A Vitrolles également...

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Installation de caméras de vidéosurveillance à Vitrolles (Photo Dominique Pipet)

Pour les responsables de la police britannique, l’utilisation de la vidéosurveillance s’avère être un fiasco. En France il n’existe à ce jour aucune étude sérieuse permettant d’affirmer l’efficacité de la vidéosurveillance [6]. Mais Monsieur Méhaignerie n’est pas le seul à être persuadé du contraire.

Dans le courant du mois de novembre prochain, 34 caméras de vidéosurveillance seront mises en service à Vitrolles. Le maire (PS), Guy Obino a choisi d’investir un peu plus d’un million d’euros dans la technologie sécuritaire.

Ces équipements nouvelle génération succèderont aux caméras aujourd’hui obsolètes qui furent installées à la fin du dernier mandat de Jean-Jacques Anglade avant de tomber en désuétude sous l’ère Mégret [7].

Notes

[1Cspd : Conseil de sécurité et de prévention de la délinquance.

[2Extraits de « Pierre Méhaignerie la joue pédagogue », par Bertrand Bonenfant, Ouest France le 22 février 2008.

[3« Accueil de nuit et vidéosurveillance ? », Ouest France le 25 février 2008.

[4Extraits de
« Des caméras de surveillance qui font débat », par Bertrand Bonenfant, Ouest France le 20 septembre 2008.

[5Sebastian Roché, sociologue est auteur de Police de proximité : nos politiques de sécurité, éd Seuil, 2005.

[6Lire « Les fiascos de la vidéosurveillance », Libération du 17 juillet 2008.

[7La Provence du 27 mai 2008.


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