manifester pacifiquement, distribuer des tracts, est-ce devenu intolérable en France ?


article de la rubrique libertés
date de publication : lundi 19 mai 2008
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On peut légitimement se poser la question à la lecture des quatre anecdotes qui suivent.

Rappelons que, dans une déclaration récente, l’Union européenne a souligné « l’importance que revêtent pour elle le droit à la liberté d’expression et le droit de manifester pacifiquement » ... au Tibet [1].

Mais qui donc interdit de banderoler à proximité du président de la République ? Et sur quelle base légale ?

[Mise en ligne le 16 mai, la dernière question ayant été ajoutée le 19 mai]

Un militant septuagénaire qui distribuait des tracts mis en garde à vue

[D’après un article de Sèverine Pardini, La Provence du 4 avril 2008]

« Il recommencera, c’est dans sa nature. C’est un militant dans l’âme, il distribuera encore des tracts. » Philippe Chouard n’était pas encore sorti du commissariat, hier matin, que son épouse, Claire, prévenait son comité de soutien. Depuis la veille (mercredi en fin d’après-midi), son époux, un ingénieur en retraite âgé de 74 ans, se trouvait en garde à vue dans les geôles du commissariat d’Aix.

On reproche à ce militant des droits de l’Homme, bien connu à Aix, des outrages contre deux policiers municipaux. Tout a débuté mercredi 2 avril 2008, aux environs de 17h30, aux Allées Provençales. Philippe Chouard, militant de l’Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés) et de la Cimade, distribuait des tracts annonçant une manifestation « contre l’immigration jetable » prévue samedi à Marseille.

C’est là qu’un vigile lui aurait demandé d’aller distribuer ses tracts ailleurs. « Puis le vigile a appelé la police municipale, a raconté Philippe Chouard. Quand les policiers sont arrivés, j’étais soulagé, je me suis dit qu’ils allaient enfin me permettre de distribuer mes tracts. Mais c’est moi qui me suis fais embarquer ! »

De source policière, les deux agents municipaux auraient été insultés par Philippe Chouard. Lequel a assuré n’avoir jamais injurié les policiers : « J’ai dit que l’on était en démocratie, que l’on n’avait pas le droit d’interdire aux gens de distribuer des tracts. Ils m’ont demandé d’aller jusqu’à leur voiture, j’ai refusé. J’ai peut-être résisté. Je conteste l’outrage ! » a déclaré le mis en cause. Après les faits, il a aussitôt été placé en garde à vue, poursuivi pour outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique.

A 12h30, le septuagénaire est sorti du commissariat, tenant à la main ses tracts... et ses lacets.

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Philippe Chouard sortant de garde à vue.

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« Y a des consignes : pas de banderoles »

Le 11 mars 2008, entre les deux tours des élections municipales Nicolas Sarkozy a lancé à Toulon un appel au vote de chacun « quels que soient ses choix, ses croyances, ses opinions », après avoir déclaré en formule d’accueil à de nouveaux citoyens de la Républiquei « une nation c’est une âme, un principe spirituel ».

C’est donc au nom de ces nouveaux principes que la section de la LDH de Toulon présente derrière les barrières destinées à contenir la foule (clairsemée) du public venu assister à l’entrée du président au Palais des Congrès, s’est vue confisquer sur le champ sa banderole iconoclaste avec le bonnet phrygien symbole de la liberté républicaine.

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La banderole ...

Elle a été arrachée et violemment chiffonnée par un membre du service d’ordre qui a donné pour toute justification : « y a des consignes : pas de banderoles ».

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... confisquée !

Quelques minutes plus tard, un trublion démocrate notoire qui avait osé crier « Toulon ne sera pas une ville laboratoire pour la politique de Monsieur Hortefeux ! » a été promptement neutralisé et escamoté par ce même service d’ordre, la deuxième partie de la consigne devant être : pas de slogans ! [2]

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La police fait le ménage à Vienne

[Libélyon, le 13 mai 2008]
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Fouille du sac d’un militant.

La scène se déroule dans le centre-ville de Vienne (Isère), mardi 13 mai 2008 en fin de matinée, une heure et demie avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy. Le chef de l’Etat visite une usine à ce moment-là, et il est attendu ensuite dans la salle des fêtes de Vienne, pour participer à une table ronde sur "la modernisation de l’économie française". Des militants veulent manifester aux abords. Certains du PS, d’autres du PCF, d’autres encore de la la LCR. Ils sont environ 150 à 200, selon un journaliste présent. Mais il y a également énormément de policiers en civil, sur la place et dans toutes les rues avoisinantes. Normal pour une visite présidentielle. Sauf que le journaliste présent constate que les policiers sont en train de contrôler et fouiller les militants, et surtout de saisir tous leurs tracts, leurs autocollants, et même leurs journaux. Celui-ci a Rouge dans son sac ? Saisi. Celui-là l’Huma à la main ? Saisi également. Quelques jeunes gens de la LCR refusent de remettre leurs tracts, ils sont alors menottés et embarqués. Sous l’objectif d’un photographe... [3]

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Vienne, le 13 mai 2008 : elle refusait de remettre ses tracts.

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« Retourne faire du ski ! »

Le 18 mars 2008, journée commémorative, le président de la République se rendait sur un lieu symbolique de la Résistance, au plateau des Glières (Haute-Savoie). J’y étais. De nombreux gendarmes aussi. Le « fan club » du président, une vingtaine de personnes, y était également. Le plateau est sous un brouillard épais. Deux jeunes filles sont assises dans la neige, juste derrière moi. Brusquement, un mouvement de gendarmes rompt le silence. Ils entourent les deux jeunes filles. L’une d’elles tient dans les bras une banderole pliée.

Donnez-moi la banderole !
- Non, c’est la mienne
Vous n’avez pas le droit ici !
- Et la liberté d’expression ?
Qu’est-ce qui est marqué dessus ?
- La liberté en danger

Un gendarme la lui arrache des mains.
Contrôle des papiers… Fouille… sac à dos… pique-nique, ouf, il n’y a pas de couteau !

Vous n’avez pas le droit d’être ici, partez !
- On veut voir le président
Non, vous devez partir !

Dans l’assistance, seule une femme a le courage de prendre leur défense. Les jeunes filles seront embarquées, malgré tout. Avec les compliments des supporters sarkozystes...

Le fan club : « A ton âge je travaillais !  », «  Qu’est ce que tu fous là ?  », «  Encore une soixante-huitarde »…

Trois à quatre gendarmes traînent les deux filles dans la neige… Je ne les ai pas revues, les « résistantes ». Je m’étais tu. [...] Me voilà devant le président. Je lui parle des deux filles.

«  Ce n’est pas gentil ce qu’ils ont fait », me répond-il, méprisant et ironique, sans me regarder.
- Demandez aux gendarmes de leur rendre leur banderole

Pas de réponse.

Après être parvenu à me présenter devant lui une deuxième fois, je lui parle des suppressions de postes dans l’Education nationale…
La réponse fuse, discrète, presque à voix basse mais bien réelle :

« Retourne faire du ski !  »
Vincent C. [4]

Mais qui donc ordonne aux policiers de saisir les banderoles ?

[extraits d’un article d’Isabelle Mandraud, Le Monde du 17 mai 2008]

La police peut-elle saisir du matériel de manifestants tels que badges, tee-shirts ou casquettes, lors d’une visite présidentielle ? "On l’a toujours fait lors de déplacements sensibles, sous la droite comme sous la gauche, en fonction des instructions", affirme Patrice Ribeiro, secrétaire général adjoint de Synergie officiers. "D’habitude, assure Dominique Achispon , secrétaire général du Syndicat national des officiers de police (SNOP), les collègues des RG (renseignements généraux) contrôlent de loin, sauf s’il y a des excités. A mon avis, ce sont des directives nationales..."

Henri Martini, secrétaire général de l’UNSA-police, majoritaire chez les gardiens de la paix, ajoute : "Nous n’avons pas eu connaissance de consignes particulières, mais ce genre de pratiques serait anormal. La police ne saisit pas du matériel de manifestation, hormis des piquets de banderoles ou des hampes de drapeaux qui peuvent constituer des armes par destination, ou bien des tracts ou des tee-shirts lorsqu’ils présentent un caractère discriminatoire, raciste ou injurieux."

Les ordres viendraient d’en haut : "Lors d’un déplacement présidentiel en province, c’est le préfet du département concerné qui est responsable du dispositif de sécurité, et c’est lui qui apprécie les instructions à donner aux forces de l’ordre", indique-t-on au ministère de l’intérieur.

"Le fait est que nos préfets et concepteurs sont tellement terrorisés à l’idée qu’on puisse leur reprocher une bourde anti-présidentielle et de subir ainsi un coup d’arrêt certain à une carrière qui s’annonçait des plus prometteuses, qu’ils prennent des initiatives malheureuses", écrit un policier, sous pseudo, sur un forum de discussion du site Internet du SNOP.

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A Vienne, la militante qui avait refusé de donner ses tracts est emmenée, menottée.

Notes

[1Déclaration de la présidence au nom de l’UE sur la situation au Tibet, le 17 mars 2008 :
http://www.eu2008.si/fr/News_and_Do....

[3Référence : http://libelyon.blogs.liberation.fr..., photos JPK.


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