loi “renseignement” : les Français seront sous la surveillance de l’État


article communiqué de la LDH  de la rubrique Big Brother > surveillance française
date de publication : jeudi 30 juillet 2015
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Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel du projet de loi renseignement tel que le Parlement l’avait adopté. Les services de renseignement seront autorisés à mettre citoyenNEs et militantEs sous surveillance, au nom des intérêts – économiques, diplomatiques et politiques – de l’État. Il n’y a aucune limitation aux pouvoirs intrusifs confiés aux services secrets, jusqu’à l’espionnage de masse des réseaux par des boîtes noires opérant selon des “formules algorithmiques” mystérieuses. Et aucune structure indépendante de contrôle n’est prévue.

Voila donc légalisé un système de surveillance massive des populations, placé entre les mains d’une autorité politique, sans contrôle juridictionnel réel. La France vient de faire le choix de la raison d’Etat contre les libertés.

Ci-dessous un communiqué de la LDH, suivi d’un communiqué de l’OLN, dont la LDH est membre.

[Mis en ligne le 25 juillet 2015, mis à jour le 30]



Communiqué LDH

Paris, le 24 juillet 2015

Loi « renseignement » : le Conseil constitutionnel laisse les Françaises et les Français sous la surveillance de l’Etat !

Saisi par le président de la République dans le cadre d’une procédure baroque et inédite, le Conseil constitutionnel n’a censuré le texte voté par les parlementaires de droite et de gauche que sur trois de ses aspects, en validant l’essentiel. Rappelons que sous prétexte de lutte contre le terrorisme, ce texte couvre, de façon très inquiétante pour les libertés publiques, des champs d’activité divers (économie, social, diplomatie…) et met en place des dispositifs permettant de recueillir, de façon massive et très peu sélective, des données informatiques et téléphoniques constituant le quotidien des échanges entre nos concitoyennes et nos concitoyens. Dessaisissant le pouvoir judiciaire, pourtant garant des libertés individuelles, au bénéfice du Conseil d’Etat, créant un organe de contrôle dénué de réel pouvoir, organisant l’impunité de fait des agents de l’Etat, cette loi a été à l’origine d’une mobilisation large de la société civile regroupant associations de défense des droits, professionnels du Net et autorités indépendantes dépositaires de la sauvegarde des libertés individuelles.

Quant à la procédure d’adoption de cette loi, elle fut, elle-même, un déni de débat démocratique jusqu’au dernier instant.

Compte tenu du mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel et de la présence de nombreux anciens responsables politiques au sein de cette institution, cette décision s’inscrit dans la jurisprudence observée depuis quelques années : préférer les apparences de la démocratie à la démocratie elle-même.

Il faudra donc attendre le prochain scandale d’Etat, s’il arrive au jour, pour que chacun se convainque de l’extrême dangerosité de cette loi.

La Ligue des droits de l’Homme restera vigilante et persistera à combattre tous les effets de ce texte attentatoire à nos libertés.

Communiqué de l’OLN

SURVEILLANCE DE TOUS LES CITOYENS : LE GOUVERNEMENT A DÉSORMAIS CARTE BLANCHE

Le Conseil constitutionnel a rendu, jeudi 23 juillet, une décision historique par son mépris des libertés individuelles, du respect de la vie privée et de la liberté d’expression. Les « sages » ont choisi de faire l’économie d’une analyse réelle de la proportionnalité des lois de surveillance et démontré ainsi leur volonté de ne pas enrayer le jeu politique, pour finalement endosser le rôle de chambre d’enregistrement.

Pourtant, le Conseil constitutionnel avait reçu de nombreuses contributions des organisations citoyennes, via la procédure de la porte étroite, appelant à une analyse en profondeur de la loi et une censure de nombreuses dispositions, à commencer par les trop nombreuses et trop larges finalités. Bien sûr, le Conseil constitutionnel donne les limites de chacune des finalités, en renvoyant aux différents articles des différents codes (pénal et de procédure pénale, de la défense et de la sécurité intérieure). Toutefois ces finalités restent si larges que toute « atteinte à l’ordre public », comme la participation à une manifestation, peut faire l’objet d’une technique de renseignement. Ainsi, il reviendra aux services de renseignement puis à la CNCTR de définir dans l’urgence ce qui entre dans le champ des finalités, sans aucun contrôle judiciaire.

Par ailleurs, la validation de la mise à l’écart du juge affaiblit profondément le principe de séparation des pouvoirs, qui constitue pourtant une garantie démocratique fondamentale. Le juge judiciaire, garant des libertés individuelles, est totalement écarté. Quant au Conseil d’Etat, il pourra en principe être saisi de plaintes par les citoyens, concernant des procédures qui leur sont inconnues, puisque secrètes par nature. C’est dire si l’on est loin d’un droit de recours effectif !

Sur les techniques de renseignement, le Conseil constitutionnel choisit la démonstration par la tautologie : pur écho au gouvernement, il affirme que «  ces dispositions ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée ». Quant aux risques liés au fonctionnement des algorithmes et aux faux-positifs, il se garde bien d’en mesurer les effets.

Le Conseil constitutionnel ne s’inquiète pas davantage du secret professionnel des avocats et parlementaires ou du secret des sources des journalistes. Il ne craint pas d’écrire que la collecte des métadonnées, dès lors qu’il ne s’agit pas du contenu des correspondances, ne porte pas atteinte au droit au secret des correspondances et à la liberté d’expression. Ainsi, il fait fi de la quasi-impossibilité de déterminer, par avance, si les données interceptées relèvent d’échanges professionnels ou personnels.

Ce n’est pourtant pas faute d’arguments juridiques étayés, ni de décryptages techniques mis à sa disposition par de nombreux mémoires (HTTP://WWW.FDN.FR/PJLR/AMICUS1.PDF et HTTP://WWW.LDH-FRANCE.ORG/WP-CONTEN...). Pour n’avoir pas voulu voir la réalité concrète d’une terminologie nébuleuse – ce que sont, et ce que produisent un IMSI catcher ou une « boîte noire » – et pour n’avoir pas voulu la confronter, dans une analyse systématique, avec les articles de la Constitution qui consacrent pourtant la séparation des pouvoirs, le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel signe ici une double démission.

Ce ne sont finalement que les quelques dispositions qui crient à l’inconstitutionnalité – dont la surveillance internationale sans aucun contrôle de la CNCTR – ou qui heurtent des principes purement formels – une disposition budgétaire que l’on devra ranger dans la loi de finance plutôt que dans une loi ordinaire – qui ont retenu l’attention de la plus haute juridiction française. Le message est clair : le Conseil constitutionnel n’est pas un frein au « progrès décisif » (selon l’expression de Manuel Valls) que constitue la surveillance généralisée de la population.

L’Observatoire des libertés et du numérique condamne fortement cette dérive vers une société panoptique où tous les citoyens seront susceptibles d’être surveillés, et qui témoigne du naufrage d’un pouvoir aux abois prêt à bafouer les valeurs fondamentales de la République et œuvrant contre l’intérêt de tous en manipulant les peurs. Cette défaite doit résonner comme un appel pour tous les citoyens : mobilisons-nous toujours plus pour défendre nos libertés !

Signataires : Observatoire des libertés et du numérique (OLN) (Cecil, Creis-Terminal, LDH, La Quadrature du Net, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France)

Paris, le 29 juillet 2015

CONTACT-OLN@LDH-FRANCE.ORG


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