Afin d’évaluer les performances des écoles et des enseignants, le ministère de l’Education nationale envisage de rendre publics les résultats des tests en CE1 et CM2 par école et cela au niveau national.
Pour mettre les enseignants et les écoles en concurrence ?
Le ministre de l’Education national a présenté le 11 décembre 2007 son programme de travail et d’action pour le second trimestre de l’année scolaire 2007/2008. Voici un extrait du dossier de presse :
Donner à l’école les moyens de connaître son efficacité [1]
- Il est nécessaire de disposer d’un véritable système d’évaluation des performances afin de mesurer les acquis des élèves, d’informer les familles et de permettre aux écoles et aux enseignants de se situer et de déterminer les objectifs attendus.
- Les deux évaluations nationales témoins qui serviront à mesurer les acquis des élèves au C.E.1 et au C.M.2 seront en place pour l’année scolaire prochaine. Leurs constats seront rendus publics par école dès la rentrée 2009 et pourront servir de référence à tous les élèves et à tous les enseignants pour la maîtrise des objectifs fondamentaux en français et en mathématiques.
En dévoilant les résultats par établissement, le ministre ne craint pas de mettre les enseignants et les écoles en concurrence.
C’est une petite révolution qui se prépare dans les écoles primaires. Elle consistera à afficher de manière transparente, probablement par Internet, le niveau des élèves de CE1 et de CM2, par école et cela au niveau national. Chaque année, les écoliers de ces sections sont évalués. C’est grâce aux résultats de ces tests nationaux qu’on déplore par exemple que 15% des petits Français entrent en 6e sans savoir lire.
Les temps changent donc. Au plus tard pendant l’année scolaire 2008-2009, il sera possible de connaître le niveau en maths et en français des élèves de telle école, à l’image de ce qui se passe en Grande-Bretagne. Cette réforme s’intègre dans le plan lancé par Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, pour réduire l’échec scolaire dans le primaire. Selon le Haut Conseil de l’Éducation, 15% des élèves qui entrent au collège ont non seulement de graves lacunes dans le domaine de la lecture, de l’écriture mais aussi en mathématiques, un chiffre qu’il s’agit de ramener à 5% d’ici à trois ans.
Détecter les élèves en difficulté
L’une des mesures emblématiques est la suppression des cours le samedi matin, un temps qui sera utilisé pour aider de manière personnalisée les élèves en difficulté. Mais le ministre veut aussi donner àl’école les moyens de connaître sa propre efficacité. En clair, y instiller la culture du résultat. Certes, les élèves sont déjà évalués. En particulier, en début d’année scolaire, les élèves de CE1 passent une batterie de 70 items en français et en mathématiques en deux séances. Il s’agit, par exemple, de dictées de syllabes, de petites additions, des compréhensions de lecture ou encore de mots mal écrits à corriger. Une deuxième batterie de tests permet d’approfondir les difficultés pour les élèves qui n’ont pas su répondre correctement à certains exercices cibles.
En réalité, il s’agit actuellement de détecter les élèves en difficulté. « Nous avons transmis les résultats à l’inspecteur d’académie, explique une enseignante du Val-d’Oise. Par ailleurs, j’ai pris l’initiative de signaler aux parents si leur enfant présentait des difficultés à l’issue de ce test. » Les écoles sont aussi censées transmettre les résultats au conseil d’école. Ce qui n’est pas toujours le cas, loin de là. « On ne nous a rien communiqué, alors qu’on devait nous réunir », proteste Valérie, mère d’élève. Des tests similaires sont également pratiqués en CM2.
Mais les nouveaux tests que vont mettre en place les services de l’Éducation nationale seront passés non plus en début d’année, mais en milieu d’année. Ils permettront non plus de détecter des difficultés, mais de juger le niveau atteint, en fonction d’une définition très précise des connaissances qu’un élève doit avoir acquises en fin de CE1 et de CM2. Cette perspective attire certains parents. « J’ai trois enfants dans l’école, je serai la première à regarder ! », confie une mère, qui estime avoir « le droit le plus strict » de savoir quel est le niveau de l’école de ses enfants. Certains enseignants sont plus circonspects. « Cela pourrait stigmatiser des écoles et les entorses à la carte scolaire pourraient se multiplier si on affiche les résultats », s’inquiète l’un d’entre eux. Car si la carte scolaire dans le primaire résiste encore, les différences d’une école à l’autre vont forcément donner des idées aux parents. « C’est important d’être informé sur le niveau de l’école de son enfant », explique une autre mère d’élève.
Les signaux négatifs s’accumulent sur les performances de l’école en France. Réalisée dans 57 pays représentant 90 % de l’économie mondiale et publiée le 5 décembre, l’enquête internationale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2006 montre que les compétences des élèves français de 15 ans se situent un peu en dessous de la moyenne des 30 pays de l’OCDE. C’était déjà le cas en 2003 et en 2000 lors des premières éditions de cette enquête. Les nouveaux résultats marquent un recul de plusieurs rangs dans les classements par domaines de compétences. De quoi réactiver la controverse entre les tenants de la thèse de "l’effondrement" de l’école et ceux qui soutiennent que "le niveau monte", comme l’affirmait en 1989 un livre des sociologues Christian Baudelot et Roger Establet.
La Finlande, suivie de Hongkong (hors OCDE) et du Canada, continue d’être la championne PISA toutes catégories, même si, en compréhension de l’écrit, la Corée vient de lui chiper la première place. La France est au 17e rang en mathématiques et compréhension de l’écrit, et au 19e rang en culture scientifique. Son recul dans les classements ne l’empêche pas, toutefois, de conserver, en sciences et en compréhension de l’écrit, des scores proches de pays comme la Hongrie, la Suède, la Pologne, le Danemark, l’Autriche, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni...
L’enquête PISA n’est pas seule à attester une érosion des résultats français. Consacré aux compétences des élèves de 10 ans, le rapport Pirls 2006 (" Progress in International Reading Literacy Study"), réalisé dans 40 pays par l’Association internationale d’évaluation (AIE) et publié le 28 novembre, classe la France à la 27e place. Depuis le premier rapport, en 2001, ses résultats ont stagné, alors que d’autres pays ont progressé.
D’après ces enquêtes, les résultats français sont donc médiocres et en baisse, mais pas désastreux. Cette réserve pourrait décevoir les tenants de "l’effondrement", qui s’appuient à la fois sur une contestation des statistiques "officielles" et sur une accumulation de témoignages accablants, recueillis à tous les niveaux du système éducatif. Les universitaires sont de plus en plus nombreux à déplorer "des copies de première année qu’il faut déchiffrer phonétiquement". Longtemps réservée au français, la complainte de la baisse du niveau touche depuis quelques années les mathématiques, si l’on en croit des responsables d’écoles d’ingénieurs et, dans le secondaire, l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (Apmep), qui met en cause la baisse des horaires. Des historiens déplorent le manque de repères chronologiques des élèves.
Dans leurs versions les plus virulentes, les discours sur la baisse du niveau - "une vieille idée de vieux", se moquaient Baudelot et Establet - souffrent d’un défaut historique : si toutes les personnalités éminentes qui se sont émues d’une baisse avaient eu raison, c’est depuis l’Antiquité que l’humanité serait en régression. Mais ce rappel ne suffit plus à écarter les craintes.
Les comparaisons entre pays ou entre époques sont rendues malaisées par la variation des populations scolaires concernées, ainsi que par l’évolution des "savoirs" eux-mêmes et des attentes que la société place derrière ce mot. C’est pourquoi les études qui portent sur des champs précisément délimités et datés sont précieuses pour départager la réalité et le "ressenti". Ainsi, une étude sur les compétences des élèves en orthographe grammaticale, publiée en 2007 par les linguistes Danièle Manesse et Danièle Cogis, a établi qu’en vingt ans s’était produit un glissement de deux années scolaires : une cinquième de 2006 était au niveau d’un CM2 de 1987. En revanche, l’idée répandue d’un développement récent de "l’illettrisme" est démentie par l’Insee : dans la population française la plus âgée, sortie du système scolaire dans les années 1950 et 1960, la proportion de personnes en difficulté avec l’écrit est nettement supérieure à celle constatée dans les générations suivantes.
Baisse des critères d’exigence
En somme, sur les dernières décennies, le niveau "monte" et "baisse" à la fois ! Il monte parce que de plus en plus de gens, scolarisés de plus en plus longtemps, savent de plus en plus de choses. Il baisse car, si l’on considère telle classe de tel collège ou lycée, ce sera pour y trouver un certain nombre d’individus qui n’ont "pas le niveau". Pour éclairer ce paradoxe, le chercheur Vincent Troger, maître de conférences à l’IUFM de Versailles, a recours à l’image de ces épreuves de marathon largement ouvertes aux amateurs : beaucoup abandonnent avant la fin, mais personne n’en conclut que le marathon "n’est plus ce qu’il était". Notre système scolaire de masse - où le collège accueille près de 100 % d’une tranche d’âge, le lycée environ 80 % et où 64 % d’une génération obtient le baccalauréat - est dans une situation comparable. Il fait monter le niveau moyen d’instruction, mais inclut des éléments défaillants au regard des normes d’antan.
Cette pression de la masse a fait, par ajustements informels et successifs, baisser les critères d’exigence aux différentes étapes du parcours scolaire : un bachelier d’aujourd’hui n’est pas un bachelier de 1959, lorsque 6 % seulement d’une tranche d’âge obtenait ce diplôme. Il n’est pas non plus un bachelier de 1985, lorsqu’ils étaient 40 %. Plus en amont dans la scolarité, un élève de 6e de 2007 ne correspond pas aux critères de 1977.
Par ailleurs, les données PISA sont fondées sur des moyennes qui indiquent une performance d’ensemble, mais peuvent cacher des contrastes au sein d’une même population. Les scores des élèves français en compréhension de l’écrit et en mathématiques ont diminué le plus fortement dans le quartile inférieur de l’échantillon : c’est le noyau d’élèves en difficulté, lui-même étroitement corrélé aux situations sociales défavorisées, qui "plombe" les scores nationaux.
Pour Nathalie Mons, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Grenoble-II, "ce n’est pas en s’intéressant strictement aux élites que l’on remonte le niveau global mais en faisant en sorte qu’il n’y ait pas d’élèves qui décrochent". Le repérage précoce de la difficulté et son traitement immédiat dans le cadre scolaire, à la source du succès finlandais, sont ce que notre système ne sait pas faire. La plupart des élèves en difficulté à l’entrée au CP le sont toujours à la sortie du collège. Il y a donc une marge d’amélioration. A condition de convaincre les enseignants français, dont les syndicats réagissent avec méfiance à ces enquêtes, que l’évaluation ne relève ni du "flicage" ni d’une dérive technocratique.
[1] Référence : http://www.education.gouv.fr/cid206....