les députés adoptent une nouvelle loi discriminatoire sur l’immigration


article de la rubrique Big Brother > tests ADN pour contrôler l’immigration
date de publication : jeudi 20 septembre 2007
version imprimable : imprimer


Les députés ont adopté une nouvelle loi sur l’immigration, la quatrième en quatre ans. Une loi qui installe la xénophobie d’Etat : contrairement aux principes universalistes que revendiquait la France, les étrangers et leurs familles n’ont plus les mêmes droits fondamentaux que les Français.


Xénophobie d’Etat, par Michel Tubiana

[Le Monde daté du 20 septembre 2007]

Le dernier avatar de la politique initiée par M. Sarkozy, depuis qu’il a accédé au poste de ministre de l’intérieur, est d’interdire aux étrangers susceptibles de bénéficier du regroupement familial, d’avoir des enfants adoptés. Il faut qu’ils en soient les géniteurs génétiques et pas apocryphes. Peu importe qu’une telle démarche soit interdite en France où, heureusement, la famille ne se réduit pas à la biologie. On sait, depuis la création du ministère de l’identité nationale, que les étrangers ne sont plus tout à fait des hommes et des femmes, mais de dangereux individus qui mettent en péril la cohésion sociale, culturelle et économique de notre pays. Il faut, de plus, qu’ils parlent français avant d’en atteindre les rives.

Les millions d’immigrants venus dans notre pays au cours du XXe siècle, africains, asiatiques, européens, juifs, maghrébins, et j’en oublie, ne parlaient pas tous notre langue et ils ont su l’acclimater et l’enrichir. Exiger d’un étranger qui vient en France qu’il parle français, c’est nier sa qualité d’étranger, c’est refuser l’enrichissement que constitue l’échange culturel, c’est dire que l’on ne veut d’étranger que fait au moule d’une certaine idée de la France. Ces mesures dépassent de très loin le débat autour de l’immigration. Elles construisent, petit à petit, une image de l’étranger assiégeant la France, et lorsqu’il a réussi à y être présent, il devient une sorte de produit corrosif qui dissout la communauté nationale à coups de polygamie ou d’affrontement entre l’Islam et l’Occident.

Quand il n’est pas celui qui refuse de s’engager dans la voie du progrès, comme a su si bien le dire Nicolas Sarkozy à Dakar. Ce discours n’a rien de nouveau, il est celui d’une partie de la droite et de l’extrême droite en son entier depuis que la République existe. Cette politique concentre sur les étrangers nos peurs et nos haines, les transforme en danger et les regarde comme inférieurs. Elle implique qu’ils soient assimilés à des chiffres, celui des expulsions faites ou à faire ou celui des allocations familiales. Les femmes et les hommes disparaissent derrière leur statut, les enfants n’ont plus d’âge et représentent le même danger que leurs parents. Ayant déshumanisé les étrangers, il n’y a rien d’anormal que l’on tente de les mettre à part de la communauté des hommes et que l’on menace les hommes et les femmes qui les défendent. S’en protéger est si nécessaire qu’il faut décréter que toute personne née à l’étranger, dans les anciennes colonies ou de parents étrangers doit justifier qu’elle est française, faisant de millions de personnes des suspects, obligeant certains, dans le pays de la laïcité, à brandir leur religion en guise de preuve.

Petit à petit, des étrangers on en vient à ceux qui pourraient l’être soit administrativement, soit en raison de leur physique. La xénophobie d’Etat s’installe, et elle frappe tout apport allogène ou supposé. Le message de la France perd alors son universalité au profit d’une conception de l’identité qui exclut l’autre et nous enferme dans une France immobile et repliée sur des angoisses préconstruites et instrumentalisées. Je ne sais comment les historiens qualifieront cette période dans quelques années. Je sais, en revanche, que cette idée de la France n’a jamais porté que haine et drames.

Michel Tubiana
Président d’honneur de la LDH

Les principales dispositions de la loi sur l’immigration

[Le Monde daté du 21 septembre 2007]

Tests ADN Voici le texte de l’amendement, modifié, adopté par 91 voix contre 45.
"(…) Par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences peut, en cas d’inexistence de l’acte d’état civil, ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci, solliciter son identification par ses empreintes génétiques afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec au moins l’un des deux parents. Le consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli.
L’examen des empreintes génétiques (…) est réalisé aux frais du demandeur. Si le visa est accordé, les frais exposés pour cet examen lui sont remboursés par l’Etat.
Un décret en Conseil d’Etat définit les conditions d’application des examens d’empreintes génétiques et notamment la liste des pays concernés et les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à ces examens.
Le dispositif prévu au présent article s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2010.
Une commission en évalue annuellement les conditions de mise en œuvre. (…) La commission comprend : deux députés, deux sénateurs, le vice-président du Conseil d’Etat, le premier président de la Cour de cassation, le président du Comité consultatif national d’éthique, deux personnalités qualifiées désignées par le premier ministre. Son président est désigné, parmi ses membres, par le premier ministre."

Regroupement familial. Mise en place, dans le pays d’origine, d’une "évaluation de la connaissance de la langue et des valeurs de la République".
Les "conditions de ressources" exigibles du demandeur devront "être, au moins, égales" au smic et "au plus, égales à ce salaire majoré d’un cinquième". Le niveau de ressources est porté à 1,33 fois le smic pour le regroupement de familles de "six personnes ou plus".
Abrogation de l’autorisation d’obtenir, depuis la France, un visa long séjour pour les conjoints étrangers de Français entrés régulièrement et vivant sur le territoire depuis plus de six mois. Les parents dont des enfants auront bénéficié du regroupement familial devront conclure un contrat d’accueil et d’intégration (CAI). L’étranger ayant un statut de résident depuis plus de dix ans reçoit une carte de résident illimitée au lieu des dix ans actuels.

Droit d’asile. En cas de refus, un étranger qui a demandé l’asile à sa descente d’avion pourra déposer dans les 24 heures une demande de référé suspensif. Le tribunal administratif devra statuer dans les 48 heures. Le délai de recours laissé à l’étranger devant la commission de recours des réfugiés (CRR) après le rejet de sa demande d’asile est réduit d’un mois actuellement à quinze jours. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) passe de la tutelle des affaires étrangères à celle de l’immigration.

Recensement des origines ethniques. L’interdiction du recensement des origines raciales ou ethniques peut être levée pour la conduite d’études sur "la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration".

Immigration et éthique

[éditorial du Monde daté du 21 septembre 2007]

Pour la quatrième fois en quatre ans, les députés ont donc adopté une nouvelle loi sur l’immigration. Ce texte renforce les législations restrictives de 2003 et 2006, conformément aux engagements de Nicolas Sarkozy durant sa campagne.

Ainsi, "la connaissance de la langue et des valeurs de la République" sera désormais exigée des candidats à l’entrée en France. Les conditions de ressources exigibles du demandeur au bénéfice du regroupement familial devront être au moins égales au smic. Les parents dont les enfants auront bénéficié du regroupement familial devront conclure avec l’Etat un "contrat d’accueil et d’intégration". En matière d’asile, enfin, le délai de saisine de la commission de recours des réfugiés en cas de rejet d’une demande d’asile est réduit d’un mois à quinze jours, c’est-à-dire rien ou presque.

S’il s’en était tenu là, ce projet constituerait un nouveau et sévère tour de vis à l’entrée des étrangers en France. Il serait, à ce titre déjà, contestable sur plusieurs dispositions, tant leurs modalités improbables d’application et de financement tracent un parcours d’obstacles quasi infranchissables pour tout candidat à l’immigration dans notre pays.

Mais ce texte va plus loin sur deux points essentiels. D’une part, il autorise le recensement des origines raciales ou ethniques pour la conduite d’études sur "la discrimination et l’intégration". De nombreux chercheurs ou personnalités plaident en ce sens, nombre d’autres craignent qu’une brèche soit ainsi ouverte dans le principe d’égalité. Ce débat, sérieux, méritait mieux qu’une discussion bâclée.

D’autre part, et surtout, en adoptant, ne serait-ce qu’à titre facultatif et expérimental, un amendement qui prévoit des tests génétiques pour apporter une preuve de filiation de la part d’un candidat au regroupement familial, l’Assemblée bafoue des principes éthiques et juridiques. L’auteur de cet amendement et rapporteur du projet de loi, Thierry Mariani, a répliqué à ses contradicteurs, y compris de droite, qu’il n’avait de "leçons de morale" à recevoir de personne. Il a tort.

Cette disposition est en effet contraire à la loi de bioéthique de 1994, confirmée en 2004. En France, les tests génétiques à des fins autres que scientifiques ou médicales sont interdits par l’article 16 du code civil, sauf dans des cas graves et sous contrôle judiciaire. En votant l’amendement Mariani, l’Assemblée balaie donc ce principe au nom de la lutte contre la fraude à l’immigration. Il banalise pour les étrangers une démarche que le législateur avait voulue exceptionnelle, et qui le reste pour les Français. Bref, cet amendement n’est pas seulement discriminatoire. Au nom de la différence nationale, il rompt de manière choquante avec l’esprit du droit républicain.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP