les crimes de la CIA : les hauts responsables doivent être jugés


article de la rubrique torture > les Etats Unis
date de publication : mercredi 26 août 2009
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Après avoir pris connaissance d’un rapport de l’inspecteur général de la CIA faisant état d’actes de torture et d’autres exactions lors des interrogatoires de détenus dans le cadre de la riposte américaine à l’attaque du 11 septembre 2001, le ministre de la Justice américain Eric Holder a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire. Toutefois Human Rights Watch a souligné qu’une « enquête se concentrant uniquement sur quelques interrogateurs... sans impliquer les hauts responsables chargés de l’ensemble du programme de la CIA, manquerait de crédibilité. » [1]

« Le rapport de l’inspecteur général de la CIA fournit des preuves officielles irréfutables que la CIA a commis des crimes graves. Une enquête criminelle exhaustive sur ces crimes et sur les personnes les ayant autorisés est absolument nécessaire », a déclaré Joanne Mariner, directrice du programme Terrorisme et contre-terrorisme au sein de Human Rights Watch.


Tortures : l’administration Obama prête à juger la CIA

par Sylvain Cypel, Le Monde 26 août 2009


Parfois, un passé qui ne vous appartient pas vous rattrape à votre corps défendant : c’est le cas aujourd’hui de Barack Obama. A la mi-avril, conformément à ses engagements de campagne, le président américain avait divulgué quatre mémorandums secrets de la CIA (partiellement expurgés) révélant les tortures pratiquées lors d’interrogatoires de suspects d’activités terroristes. M. Obama ambitionnait de "clore un chapitre noir et douloureux" de l’histoire récente américaine. "Le moment, disait-il, est à la réflexion, pas au châtiment. On ne gagnera rien à perdre notre temps et notre énergie à fouiller les responsabilités du passé."

L’enjeu était de se projeter "vers l’avenir". Lundi 24 août, M. Obama a dû se résoudre à rouvrir le pire des dossiers du passé : les tortures perpétrées par des membres de la CIA ou "ses contractants", telle la société de sécurité privée Blackwater, dont des membres sont soupçonnés d’avoir participé à des interrogatoires. Il a dû, aussi, accepter la décision de son ministre de la justice, Eric Holder, qui envisage de faire juger les responsables et les auteurs de ces agissements pour qu’ils soient "châtiés".

Sur plainte de l’American Civil Liberties Union (ACLU, Union américaine pour les libertés civiques), le ministère a fini par dévoiler un rapport datant de 2004 de l’inspecteur général de la CIA, John Helgerson, d’une gravité telle que les agissements des personnels cités sont passibles de poursuites.

Ce rapport considérait déjà certaines pratiques de la CIA durant les interrogatoires comme "non autorisées, sommaires et inhumaines". Elles contrevenaient même aux célèbres "avis juridiques" de la Maison Blanche, qui jugeaient que la simulation de noyade et d’autres pratiques ne constituaient pas une torture.

Ce document (dont certains passages restent classifiés) constitue le recueil d’information le plus vaste dévoilé à ce jour sur ce thème. Les tortures se sont déroulées, principalement, dans des geôles secrètes en Irak ou en Afghanistan.

Encagoulé, le Saoudien Abdel Rahim Al-Nachiri, soupçonné d’avoir planifié l’attentat contre le croiseur américain Cole à Aden, en octobre 2000, fut menacé d’être torturé à l’aide d’une perceuse électrique puis menacé de mort avec un revolver. On lui affirma qu’en cas de non-coopération sa mère et ses enfants seraient violés devant lui.

Les menaces de mort ou d’abus sur les proches constituent de la torture même selon les manuels de la CIA. Dans un autre cas, un homme s’entendit dire : "Nous allons tuer tes enfants." Un interrogateur a appuyé trois fois de suite sur la carotide d’un captif jusqu’à l’extrême limite, l’homme croyant à chaque fois perdre la vie.

Le rapport décrit au moins un simulacre direct d’exécution : pour terroriser un détenu, des interrogateurs tirèrent dans une cellule voisine pour lui faire croire qu’ils venaient d’exécuter quelqu’un.

Lorsque M. Holder a pris connaissance de ce rapport, ont déclaré des collaborateurs, il en a eu la "nausée". La justice sous George Bush avait, elle, à la vue du même rapport, décidé de ne poursuivre personne. Le ministre actuel a confié ce rapport à une commission d’éthique interne. Son verdict : ouvrir des enquêtes sur certains des cas d’abus les plus flagrants. Les services de M. Holder considèrent que dix à douze cas sont susceptibles de donner lieu à des poursuites devant un tribunal. "Les informations dont je dispose justifient l’ouverture d’une enquête préliminaire pour savoir si des lois fédérales ont été violées dans le cadre des interrogatoires de certains détenus hors des Etats-Unis", a-t-il annoncé.

Puis il a chargé le procureur John Durham d’ouvrir cette enquête. M. Durham travaille déjà sur la destruction par la CIA de cassettes d’enregistrements de personnes torturées (parmi lesquelles, entre autres, celle de l’interrogatoire d’Abdel Rahim Al-Nachiri). [La suite sur le site du Monde.]

Sylvain Cypel


Il est temps que l’Europe fasse la lumière sur les détentions secrètes

Une déclaration de Dick Marty (Suisse), rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur les détentions secrètes.

Avec la publication hier d’un rapport, selon lequel il y aurait eu également en Lituanie un lieu de détention secret de la CIA, ainsi que d’autres récentes révélations concernant les ’sites noirs’ en Pologne et en Roumanie, le temps est venu pour l’Europe d’assumer toutes ses responsabilités dans cet épisode honteux.

J’ai toujours cru que la “dynamique de la vérité” prévaudrait face au secret d’Etat. Mais ces révélations récurrentes de semi-vérités à quelques semaines ou quelques mois d’intervalle sapent la crédibilité de l’Europe. Nous devons, une bonne fois pour toutes, tirer un trait et faire toute la lumière sur les détentions secrètes.

Mes propres sources semblent confirmer les informations dont la presse s’est faite l’écho hier selon lesquelles “des détenus de grande importance” ont été détenus en Lituanie. Il faut maintenant que les autorités mènent une enquête exhaustive, indépendante et crédible. Le “secret d’Etat” ne saurait être un prétexte pour empêcher que toute la lumière soit faite sur les évènements qui se sont produits dans la banlieue de Vilnius.

L’heure n’est plus au déni et aux faux-fuyants : les pays européens doivent faire toute la lumière sur les détentions secrètes.

Strasbourg, le 21 août 2009

La Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, salue l’enquête américaine sur les violations des droits des détenus

La Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, a salué mardi la décision du ministère américain de la justice de nommer un procureur spécial chargé de mener un examen préliminaire pour déterminer si des lois américaines ont été violées par des agents de la CIA et des contractants lors de l’interrogatoire de détenus hors des Etats-Unis, y compris à Guantanamo Bay.

«  J’espère qu’il y aura un examen rapide des diverses allégations d’abus présentées par d’anciens détenus et des prisonniers encore à Guantanamo et d’autres prisons américaines. Et j’espère que si elles sont vérifiées, les étapes suivantes seront de rechercher la responsabilité de quiconque aura violé la loi », a souligné Navi Pillay à propos de la décision de l’Attorney-General américain.

La Haut Commissaire a rappelé qu’elle avait toujours été préoccupée « par l’impunité pour des actes de torture ou tout autre traitement illégal des détenus, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde ».

« Bien que nous ayons une idée de ce qui s’est passé à Guantanamo et dans une moindre mesure dans des endroits comme la prison d’Abu Ghraib en Iraq et à la base aérienne de Bagram en Afghanistan, il faut plus de transparence sur les lieux de détention secrets et sur ce qui s’y est passé », a-t-elle insisté.

« Le secret fait partie du problème dans ce type de détention. Lorsque les gardes et les interrogateurs pensent qu’ils sont à l’abri de tout examen extérieur, et que les garanties juridiques sont éliminées, il devient très facile d’ignorer le droit ».

Navi Pillay a par ailleurs salué la décision de libérer Mohammed Jawad, détenu à Guantanamo lorsqu’il n’avait probablement pas plus de 12 ans. La plupart des charges retenues contre lui ont été déclarées irrecevables en 2008 et le mois dernier un tribunal américain a ordonné sa libération de Guantanamo.

« Il a fallu un temps extraordinairement long mais le système judiciaire américain, une fois qu’il a pu opérer normalement, a finalement rendu justice », a-t-elle estimé.

«  Une compensation est essentielle », a-t-elle affirmé, rappelant que plusieurs personnes avaient perdu sept années de leur vie en détention, marquées psychologiquement, physiquement et financièrement par leur expérience simplement parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.

le 25 août 2009

Notes

[1Le communiqué de Human Rights Watch : http://www.hrw.org/fr/news/2009/08/....


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