Un rapport officiel de l’Inspection Générale de l’Administration, dont l’AFP et Europe 1 ont pu consulter lundi des extraits, l’affirme : pendant des années, les statistiques de la délinquance à Paris ont été falsifiées au sein de la préfecture de police.
Commandé par le préfet de police de Paris, ce rapport avait pour objet d’établir un état des lieux des pratiques d’enregistrement des faits de délinquance à Paris et dans la petite couronne. Mais les auteurs de ce rapport, ont découvert un système mis en place depuis plus d’une dizaine d’années et monté en puissance à partir de 2008, visant à minorer la délinquance.
Minoration des faits (un cambriolage enregistré comme une dégradation par exemple), report (les services stoppent l’enregistrement des plaintes avant la fin du mois), ou même destruction pure et simple de certains faits, sont pointés comme les principales techniques utilisées. Le rapport évoque notamment près de 16.000 faits de délinquance disparus en 2011 à Paris. À l’époque, la préfecture de police de Paris était dirigée par Michel Gaudin, un fidèle de l’ex-président Nicolas Sarkozy. Ce document fait écho à un autre rapport de l’IGA publié en juillet 2013 qui avait conclu à la disparition entre 2007 et 2012 de près de 130.000 faits de délinquance sur l’ensemble du territoire, des "anomalies" que l’IGA attribuait à la politique du chiffre pratiquée sous Nicolas Sarkozy...
Pour le sociologue Laurent Mucchielli, il s’agit là de réalités connues depuis des années.
Le sociologue et directeur de recherche au CNRS Laurent Mucchielli commente les résultats du rapport de l’IGA dénonçant le maquillage des statistiques de la délinquance à la préfecture de police de Paris.
"Explosif" : un haut fonctionnaire le qualifie ainsi. Commandé par le préfet de police de Paris Bernard Boucault en septembre 2012, le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) visait à établir un état des lieux des pratiques d’enregistrement des faits de délinquance à Paris et dans la petite couronne. Selon l’AFP et "Europe 1" qui ont pu en consulter des extraits, ce document décrypte le maquillage de statistiques de la délinquance qui a eu cours, assurent-ils, pendant des années. Et qui, affirment les mêmes sources, a fortement diminué, sans toutefois disparaître complètement, depuis l’arrivée de Manuel Valls place Beauvau.
Qu’en pense le sociologue et directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) Laurent Mucchielli (qui vient de publier "Criminologie et lobby sécuritaire. Une controverse française (éditions La Dispute) ? Le Nouvel Observateur l’a questionné.
Je ne suis absolument pas surpris car ce sont des réalités que nous autres chercheurs indépendants avons pointées depuis de nombreuses années, et que quelques policiers et gendarmes également ont eu le courage de dénoncer (je pense notamment au commandant Jean-Hugues Matelly). La mise en place de ce système remonte à l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy en 2002. Ce dernier va en effet bâtir toute sa stratégie de communication politique sur la culture du chiffre.
Pour la première fois, on voit un ministre donner aux policiers et aux gendarmes des objectifs chiffrés en début d’année, auxquels ils doivent se conformer en fin d’année. Et comme par miracle, dans la plupart des cas, ils y parvenaient... Pour cela, il y avait la carotte et le bâton. La carotte c’était les primes, le bâton c’était la convocation à Paris pour se faire rudement sermonner lorsque l’on avait pas les "bons chiffres".
Ceci a fonctionné pendant des années et a largement réussi à intoxiquer presque tout le monde. La création de l’Observatoire National de la Délinquance en 2004 n’y a rien changé. Ce dernier demeurait en effet lié au ministère de l’Intérieur et était dirigé par une personnalité (Alain Bauer) qui deviendra en 2007 le conseiller privé de Nicolas Sarkozy sur la sécurité...
On ne change pas du jour au lendemain un système qui a duré dix ans et qui a profondément marqué les esprits. Des habitudes de penser et d’agir ont été prises, tout au long des chaînes hiérarchiques, en police et en gendarmerie. A fortiori à la préfecture de police de Paris, qui est la plus proche du pouvoir politique. Le changement de majorité politique de 2012 a atténué cette politique du chiffre, mais il ne l’a pas fait disparaître pour autant.
Partout dans la société, au sein du ministère, au sein des organisations policières et gendarmiques, chez les politiques et les journalistes, on continue à penser que si les chiffres baissent, tout va bien et que s’ils montent, tout va mal. Or c’est une sottise.
S’il y a plus de cambriolages à tel endroit à tel moment, ce n’est pas nécessairement la preuve que les policiers ou les gendarmes du coin font mal leur boulot.
Au contraire, cela peut même vouloir dire qu’ils ont davantage travaillé sur le problème et que cela s’est traduit par davantage de procédures. Les chiffres de la police et de la gendarmerie ne sont pas un sondage sur la délinquance, c’est le comptage de leurs procédures. Il serait urgent de le comprendre.
Elles peuvent être très utiles à condition qu’on cesse de leur faire dire ce qu’elles ne peuvent pas dire. Ce n’est pas le seul indicateur de l’évolution de la délinquance, il est essentiel de s’intéresser aussi aux enquêtes de victimation et de les multiplier au plan local, ce que j’essaye de faire en région Paca. Elles permettent d’avoir comme indicateur permanent non pas le seul nombre de procédures réalisées par les policiers et gendarmes, mais aussi ce que les citoyens déclarent avoir réellement subi.
De manière générale, les statistiques de police pourraient être beaucoup plus et beaucoup mieux exploitées.
Dans le cadre du rapport de la mission d’information de la Commission des lois dirigée par Jean-Yves Le Bouillonnec en fin d’année dernière, mes collègues chercheurs et moi-même avons soumis des recommandations dans ce sens. Nous proposons notamment que soit restituée l’intégralité des missions de police et de gendarmerie, qui ne se limitent pas à la répression mais incluent aussi le secours aux personnes, le renseignement, la prévention... Et que la délinquance routière soit par exemple inclue dans le calcul des chiffres de la délinquance puisque c’est devenu une activité majeure de la police et, derrière, de la justice. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.