les cercles de silence


article de la rubrique démocratie > les cercles de silence
date de publication : lundi 21 juillet 2008
version imprimable : imprimer


N’est-ce pas là une des plus belles réponses au sarkozysme ambiant ? Face à un homme qui ne cesse de bouger, de s’agiter et de provoquer, voici que se multiplient les “Cercles de silence”.

Lancés à Toulouse par des chrétiens exaspérés par le traitement des sans-papiers, des Cercles de silence se développent partout en France.
Des militants muets et immobiles se retrouvent régulièrement pour défendre la même cause.

[Première mise en ligne le 16 juillet 2008, complétée le 21 juillet 2008]

Pour que la France redevienne le pays des droits de l’Homme
le Cercle de silence d’Avignon propose de se retrouver
place du Palais des Papes
samedi 26 juillet 2008 à 18h30
pour former un Cercle de silence

Contacts : Resf84@no-log.org - 06 34 98 02 69 -
un tract

Réseau Education Sans Frontières 84 - Uni(e)s Contre une Immigration Jetable 84

Le "cercle de silence" sur la place du Capitole, le 25 décembre 2007.

Révoltés par l’enfermement des migrants sans-papiers dans le centre de rétention de Cornebarrieu (Haute-Garonne), les franciscains de Toulouse ont initié en octobre dernier une mode de protestation originale qui ne cesse de faire des émules. Depuis le 30 octobre 2007, tous les derniers mardis du mois, les religieux et leurs amis organisent un « cercle de silence », une heure, en fin d’après- midi au milieu de la foule de la place du Capitole.

« Saurons-nous trouver des solutions plus respectueuses »

Depuis le 30 octobre 2007, tous les derniers mardis du mois de 18 h 30 à 19 h 30, des frères franciscains et des membres de la famille franciscaine toulousaine se retrouvent place du Capitole, en silence et en prière, pour dénoncer l’enfermement par le gouvernement dans des centres de rétention des personnes étrangères en situation irrégulière.

Comme frères de saint François d’Assise et au nom de l’Évangile, nous ne pouvons laisser faire cela. Par ce geste nous voulons apporter notre contribution au travail mené, sur le terrain et auprès des décideurs publics, par différentes associations dont nous saluons les actions.

Nous dénonçons d’une part l’enfermement de personnes pour le seul fait d’être entré en France pour vivre mieux ou pour sauver leur vie. D’autre part, nous tenons à manifester notre inquiétude devant les conditions de détention elles-mêmes :
Le centre de rétention de Cornebarrieu, ville de la banlieue de Toulouse, apparaît comme un véritable camp retranché.
La cour où peuvent s’amuser les enfants est encore doublement sécurisée à tel point que de grandes plaques métalliques ont été posées afin d’éviter tout regard extérieur.
S’agirait-il de personnes à ce point dangereuses pour nous ?

Ces problèmes sont mondiaux et complexes : beaucoup nous ont interpellés sur ce point. Nous ne prétendons pas avoir la solution. Mais aujourd’hui nous pensons que nous pouvons aller plus loin ensemble et que le chemin passe par le respect de la dignité de toute personne humaine. Telle est fondamentalement notre espérance. Elle passe par une réflexion collective qui nous concerne tous.

Notre silence et notre prière veulent rejoindre les sans-papiers, ceux qui font la loi et ceux qui la font appliquer, ainsi que tous les acteurs que nous sommes, chacun à notre échelle.

Saurons-nous trouver des solutions plus respectueuses de l’être humain et de tous ses besoins, ceux des enfants notamment ?

Nous invitons toutes les personnes de bonne volonté, croyants ou incroyants, à nous rejoindre dans le silence.

Toulouse, le 24 février 2008

Le centre de rétention administrative de Cornebarrieu.

Alain Richard est l’un des frères franciscains qui a lancé le premier cercle de silence, à Toulouse, le 30 octobre 2007, pour protester contre le traitement infligé aux sans-papiers. Nous reprenons l’entretien qu’il a accordé à Témoignage chrétien du 10 avril 2007 (n° 3295).

“Nous ne voulons pas perdre une partie de nous-mêmes en acceptant sans rien dire cette situation”

  • Comment est née votre décision de faire un cercle de silence en plein Toulouse, place du Capitole, pour dénoncer les conditions de rétention des sans-papiers ?

Notre réflexion a mûri durant de nombreux mois. La décision s’est prise quand nous avons réalisé que nous étions devant un problème grave et urgent. J’insiste sur ces deux mots. Nous considérons que sont graves et urgents les problèmes, d’une part, de l’enfermement des sans-papiers et d’autre part, des conditions dans lesquelles ils sont enfermés. Nous sommes plusieurs, dans notre communauté, à être imprégnés de l’esprit de la non-violence gandhienne. Or selon cet esprit, quand on est confronté à des problèmes graves et urgents, il est recommandé de ne pas utiliser la parole, ou très peu. Pour nous c’est un premier aspect très important de cette action. Face au bla- bla-bla général dans lequel notre culture se complaît, nous avons pensé que la seule façon de faire, ce n’était plus de manifester, mais de lancer un appel à la conscience. Nous en sommes d’ailleurs nous-mêmes les premiers destinataires.

C’est aussi notre propre conscience que nous avons voulu réveiller. Nous ne nous mettons pas en dehors de ce silence. Puis cette interpellation s’est transformée assez naturellement en un appel à nos concitoyens de Toulouse et d’au-delà. Un appel à savoir s’arrêter pour écouter ce que nous avons en chacun de nous, et laisser ainsi ce problème trouver une résonance particulière.

  • Mais le problème des expulsions de sans-papiers et des centres de rétention dure depuis des années. Pourquoi avoir choisi ce moment précis, en octobre 2007 ?

Il y a eu en effet un élément déclencheur. Auparavant se trouvait dans Toulouse un petit centre de rétention. Et il y a un an et demi, a été construit un centre beaucoup plus important, à l’extrémité des pistes d’atterrissage de l’aéroport, dans la banlieue de la ville. Se sont retrouvées là, non seulement des personnes arrêtées en Haute-Garonne, mais aussi celles qui ont été interpellées dans toute la région. Cela a créé un afflux de sans- papiers. Or le ministère de certains d’entre nous est d’être au milieu des gens paumés. Plusieurs d’entre nous ont été informés de ce qu’il se passait là-bas et ont rencontré des personnes qui sortaient de ce centre et les familles de ceux qui y étaient enfermés. Cette rétention est un véritable emprisonnement. Le centre de Cornebarrieu apparaît comme un véritable camp retranché, et ce n’est pas trop de dire cela quand on voit par exemple les énormes rouleaux de barbelés disposés le long des murs.

  • Vous dites que le ministère de certains d’entre vous est d’être auprès des « gens paumés ». Cette définition recouvre beaucoup de situations, que l’on pense aux prisonniers, aux gens de la rue, aux exclus, aux personnes isolées... Pourquoi avoir choisi de faire une action spécifique sur la question des sans-papiers ?

Nous n’avons pas vraiment choisi. Ce sont des victimes de ces centres de rétention et des familles de victimes qui ont attiré l’attention de l’un ou l’autre d’entre nous. À partir de là s’est engagée notre réflexion. Certaines personnes, en effet, nous ont dit « mais pourquoi n’avez-vous pas fait de cercle de silence pour ceci ou cela ? ». On ne peut pas tout faire. Il faut prendre des décisions. Or ce qui se passe dans les centres de rétention est très grave. Même si l’on sait et si l’on admet que la France ne peut pas accueillir tout le monde, même si l’on ne critique pas le fait qu’il y ait un filtrage aux frontières, on souhaite interpeller sur la façon dont la loi donne libre cours à cet enfermement et aux conditions dans lesquelles il se déroule. Il s’agit là d’une atteinte à l’humanité des personnes qui subissent ce sort aussi bien que des personnes qui leur font subir.

  • Ce problème des centres de rétention touche donc selon vous à quelque chose qui dépasse la question de l’immigration...

C’est la question de notre propre humanité qui est en jeu. Nous ne voulons pas perdre une partie de nous-mêmes en acceptant sans rien dire cette situation. D’autant qu’elle s’explique en partie par l’application de la loi mais en partie aussi par des excès. Non seulement la législation actuelle est d’une extrême sévérité, mais en plus, dans son application, certains n’hésitent pas à l’outrepasser.

  • En décidant de faire ces cercles de silence, vous engagez votre communauté de frères franciscains. Comment s’est passée la discussion entre vous ?

Nous ne voulons pas insister sur ce sujet, de peur que cela ne détourne l’attention du problème des centres de rétention. Nous voulons que notre action soit tout entière dirigée vers les sans-papiers et les conditions dans lesquelles ils sont détenus. Avec l’espoir que notre initiative et celles qui s’y ajouteront puissent aider à un changement de mentalité.

  • Vous citez Gandhi comme source d’inspiration pour cette action, avez-vous d’autres références ?

Des cercles de silence comme celui-ci ont déjà été pratiqués dans le passé. Certains d’entre nous ont participé à ce type d’expérience durant la guerre en ex-Yougoslavie ou pour réagir à certaines décisions sur le nucléaire, en France et dans d’autres pays. Cette méthode fait partie de la panoplie des actions non violentes, si j’ose le dire ainsi... Mais j’aimerais vous lire ce texte que l’un des frères a écrit après le premier cercle, ce qui était pour lui une nouveauté : « On entend peu, on regarde peu les sans-papiers. Pour le tout-venant, ils sont généralement sans visage. Par le silence, nous manifestons leur absence comme telle, nous exprimons leur présence sans les enclore dans telle ou telle image. Le cercle, espace minimal de clôture, place une absence au centre. Il suffit de cet instant de silence bien placé pour que le flot des paroles, comme rentrant en lui-même, se demande où il va, ce qu’il veut dire. Dans cet espace, croyons-nous, résonne en premier l’appel à reconnaître la dignité humaine. » Je vous cite cela car c’est un texte écrit à chaud, par quelqu’un qui était neuf, après une expérience du cercle de silence. C’est cette expérience forte que nous invitons nos concitoyens à vivre, et à vivre avec nous. Aujourd’hui, nous ne prétendons pas avoir la solution mais nous pensons que nous pouvons aller plus loin ensemble et que le chemin passe par le respect de la dignité de toute personne humaine.

À Toulouse, certains ont rapproché cela d’événements qui se sont passés durant la Seconde Guerre mondiale avec la protestation du cardinal Saliège. Nous n’avions pas cela à l’esprit mais nous pouvons affirmer avec assurance qu’il s’agit d’une chose très importante, qui touche à l’essentiel dans cette époque où règne un grand brouhaha. Beaucoup de nos amis nous ont déclaré que cela avait été pour eux ou pour elles un temps de recentrage de leurs qualités humaines.

  • Les cercles rassemblent croyants et non-croyants. Comment se passent ces rencontres ?

Les personnes qui viennent le font simplement. On commence en se tenant les mains. Nous, nous commençons par la prière de saint François. Puis tout le monde se met au silence immédiatement. C’est très simple. Certains restent après, échangent un peu avec leur voisin. C’est un moment qui doit rester simple, dépouillé, fort. Si nous ne protestons pas face à de telles situations, nous risquons de perdre notre humanité par petits morceaux et de nous apercevoir finalement que nous vivons comme des bêtes. Tout le monde a cette conscience en soi. On l’écoute ou on ne l’écoute pas. Beaucoup d’athées sont des humanistes et nous sommes très heureux qu’ils se joignent à nous.

  • Une initiative religieuse, sur un sujet politique, en pleine cité, cela ne correspond pas à l’idée que certains se font de la laïcité, et qui demande à la religion de rester dans la sphère privée...

Nous ne cherchons pas à intervenir sur cette question car cela pourrait apparaître comme de la propagande. Nous refusons de nous embarquer sur ce terrain-là.

  • Savez-vous si les cercles ont permis de débloquer la situation à Toulouse ? Avez-vous des contacts avec les pouvoirs publics ?

Je ne sais pas précisément où en est la situation. Nous n’avons pas de contacts avec les pouvoirs publics, car nous ne sommes pas un groupe de pression mais un groupe d’éveil, qui permet ensuite que tout un chacun, dans un deuxième temps, s’agrège à un groupe d’influence ou de pression.

  • Le silence tient une place importante dans la vie d’un religieux. Cela peut-il expliquer en partie votre attirance pour ce type d’action ?

La démarche de silence tient bien entendu une place fondamentale dans la vie religieuse, mais Dieu merci, cela concerne tous les êtres humains. On n’a pas besoin d’avoir la foi pour savoir que l’on retrouve le meilleur de nous- mêmes grâce au silence. Nous avons l’habitude de dire que notre cercle de silence a fait beaucoup de bruit. Nous espérons que ceux qui en entendront parler et qui feront pareil dans leur ville, leur village ou leur quartier, trouveront à l’intérieur d’eux-mêmes plus de clarté sur les pas à faire. Les cercles se multiplient. Certains les font en même temps que nous, comme à Tarbes, Tours ou Reims. D’autres se font dans un autre esprit, avec des masques, tournés vers l’extérieur. Mais dans notre ligne de non-violence gandhienne nous préférons être sans masque et dirigés les uns vers les autres.

[Propos recueillis par Luc Chatel]

Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP