Dans une décision rendue publique mardi 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé qu’un moteur de recherche sur Internet est responsable du traitement des données personnelles contenues dans les pages qu’il renvoie aux internautes suite à une recherche. La CJUE a donc considéré que les moteurs de recherche doivent respecter les obligations classiques du droit européen en matière de gestion, de protection et de suppression des données personnelles. Cela entraîne le droit pour toute personne de demander aux moteurs de recherche de supprimer de la liste des résultats affichée, à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom, des liens vers certaines pages web comportant des informations relatives à cette personne mais qu’elle souhaite ne plus être accessibles (voir les explications ci-dessous).
Quelques jours plus tard, Google mettait en ligne un formulaire qui permet aux internautes européens de demander la suppression de résultats de recherche, associés à leur nom, qu’ils ne souhaitent pas voir apparaître. En quelques jours ce formulaire a été rempli par plus de 40 000 personnes de l’Union européenne ...
Les intéressés n’ont sans doute pas réalisé que cacher un lien vers des données n’efface pas pour autant celles-ci du web – les liens resteront d’ailleurs visibles hors d’Europe. D’autre part, on ignore actuellement quelles sont les intentions de Google par rapport à la masse considérable – on peut s’attendre à ce que plusieurs centaines de milliers de formulaires soient remplis dans le courant d’une année – de données récoltées par ce soi-disant “formulaire de l’oubli”.
Nous reprenons en bas de cette page un article de la CNIL concernant la décision de la CJUE [1].
Les internautes européens peuvent désormais demander à Google de supprimer des résultats de recherche liés à un nom.
Google a plié. La firme de Mountain View n’a pas eu d’autre choix que de se conformer à la décision de justice européenne sur le droit à l’oubli : elle propose, depuis jeudi 29 mai, un formulaire en ligne qui permet aux internautes européens de demander la suppression de résultats de recherche, associés à leur nom et qu’ils ne souhaitent voir apparaître.
Le formulaire de Google est disponible ici : https://support.google.com/legal/co...
La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) avait rendu, le 13 mai, un avis favorable au fait que des particuliers demandent au moteur de recherche, qui concentre 90 % des requêtes sur Internet en Europe, l’effacement d’informations pouvant contenir leurs données personnelles et jugées « inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes ».
« Jugements difficiles »
Concrètement, l’internaute doit mentionner dans le formulaire les liens concernés et expliquer en quoi ils sont offensants. « L’arrêt exige de Google de porter des jugements difficiles sur le droit d’un individu à l’oubli et le droit à l’information du public », écrit Google dans le communiqué publié jeudi.
« Nous sommes en train de mettre sur pied un comité consultatif d’experts pour se pencher sur ces questions. » Selon le Financial Times de vendredi 30 mai, ce comité sera dirigé par Eric Schmidt, président de Google, et comprendra des universitaires, des spécialistes européens de la régulation des données ainsi que le patron de Wikipédia, l’encyclopédie participative en ligne.
Le conflit sur les données privées, exacerbé par le scandale des écoutes de la NSA, qui a mis au jour un vaste système de surveillance des conversations téléphoniques et de l’activité numérique non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans de nombreux pays étrangers, est donc peut-être en train de trouver une issue, au moins sur ce point.
Larry Page, PDG de Google, interrogé par le Financial Times, a regretté que la firme n’ait pas été « plus associée au débat en Europe », mais a admis que Google essayait maintenant de penser « d’un point de vue plus européen ». Il estime toutefois que ces nouvelles règles pénaliseront les start-up et l’innovation et offriront des moyens supplémentaires aux régimes autoritaires pour censurer le Web.
Publique ou privée ?
Un avis partagé par l’association Index on Censorship, qui avait prévenu au moment de la décision de la CJCE que l’arrêt « ouvre la porte à quiconque désirant blanchir son histoire personnelle ». Toute la nuance réside donc dans le fait de qualifier une information de publique, auquel cas elle ne doit pas être censurée, ou non, et dans ce cas son retrait peut être exigé. Qui tranchera ? Et selon quelles règles ?
Dans un entretien au Monde, la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, Isabelle Falque-Pierrotin, soulignait que « les plaintes relatives au droit à l’oubli (…) représentent un tiers des plaintes ». « Il y a également une population fragile (…), ce sont les mineurs », ajoutait-elle, qui doivent, à son avis, être les premiers bénéficiaires du droit à l’oubli.
Les demandes de retrait risquent d’exploser chez Google, du fait de la mise en ligne du formulaire. Si elles doivent être motivées par les internautes, elles requièrent par conséquent des employés pour les analyser et les traiter. Cette démarche devra se faire avec les agences nationales de protection des données informatiques, qui relaient déjà les demandes de déréférencement auprès des moteurs de recherche.
En outre, à l’heure du partage et du « like », une information peut être relayée sur plusieurs réseaux, dans des forums, sur des blogs, et former une nébuleuse épaisse et difficile à éradiquer : la tâche, pour Google, s’annonce donc ardue.
Le groupe peut être néanmoins – provisoirement – rassuré : la décision ne touche en rien la collecte des données personnelles, hautement stratégique pour l’entreprise et qui représente un autre point de crispation, et pas des moindres, entre Américains et Européens.
Un article de la CNIL du 16 mai 2014 [2]
Dans sa décision du 13 mai, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé l’application du droit de la protection des données aux moteurs de recherche. Elle en a déduit que les internautes peuvent demander, sous certaines conditions, la suppression des liens vers des informations portant atteinte à la vie privée.
En 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie par la juridiction espagnole, dans le cadre d’un litige opposant Google à l’autorité de protection des données personnelles. Celle-ci avait ordonné à Google, à l’occasion de l’instruction d’une plainte, de désindexer les données relatives à deux articles de presse évoquant les dettes passées et réglées par le plaignant, afin qu’elles disparaissent des résultats de la recherche faite sur le nom du plaignant. La Cour de justice a donc été saisie de plusieurs questions portant sur l’interprétation de la directive de 1995 relative à la protection des données
Dans sa décision du 13 mai 2014, la Cour juge quatre points essentiels :
1. Les exploitants de moteurs de recherche sont des responsables de traitement au sens de la directive 95/46/CE sur la protection des données personnelles. En effet, l’activité d’un moteur de recherche consiste à indexer automatiquement des informations publiées sur Internet et à les mettre à disposition des internautes selon un ordre de préférence donné. Cette activité s’ajoute ainsi à celle des éditeurs de sites web et est susceptible de porter atteinte aux droits des personnes.
2. La CJUE retient une conception large de la notion d’établissement, et, de ce fait, que la directive s’applique à Google. En l’espèce, les droits et obligations prévus par la directive européenne s’appliquent donc à Google en Espagne, puisque la filiale de Google en Espagne assure, dans cet Etat membre, la promotion et la vente des espaces publicitaires sur le moteur de recherche, afin de rentabiliser le service offert par le moteur de recherche.
3. Une personne peut s’adresser directement à un moteur de recherche pour obtenir la suppression des liens vers des pages web contenant des informations portant atteinte à sa vie privée. Elle n’a pas à s’adresser préalablement à l’éditeur du site Internet. De même, ce droit peut être exercé alors même que la publication des informations sur les sites concernés serait, en elle-même, licite. En effet, un traitement initialement licite peut ne plus l’être lorsqu’avec le temps et l’évolution des finalités pour lesquelles les données ont été traitées, les informations ont perdu leur caractère adéquat et pertinent ou apparaissent désormais excessives.
4. Un tel droit n’est cependant pas absolu. Si le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’UE prévaut sur l’intérêt économique du moteur de recherche, la suppression de telles données doit être appréciée au cas par cas. Cette analyse se fera en fonction de la nature de l’information, de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée et de l’intérêt pour le public à la recevoir, en raison notamment du rôle joué dans la vie publique par cette personne.
Par cet arrêt, la Cour de justice donne donc une interprétation unique de la directive de 1995 sur les points soulevés, applicables dans les 28 pays de l’Union européenne. Il convient de souligner qu’elle confirme, notamment sur le droit applicable et la qualification des exploitants de moteurs de recherche comme responsables de traitement, les positions adoptées par la CNIL. Cette décision s’inscrit également dans le contexte des discussions relatives au projet de règlement européen, qui prévoit que la législation européenne en matière de protection des données s’appliquera à l’ensemble des traitements affectant des personnes résidant sur le territoire de l’Union.
S’agissant des suites de cet arrêt, la justice espagnole va désormais se prononcer, à la lumière de l’interprétation de la CJUE, sur l’affaire dont elle était saisie.
Plus généralement, les internautes peuvent donc saisir l’exploitant d’un moteur de recherche d’une demande de déréférencement d’une page web qui porte atteinte à leur vie privée. L’exploitant examinera alors le bien fondé de la demande, au regard des conditions fixées par la CJUE. En cas de non réponse ou de réponse insatisfaisante, le plaignant pourra saisir la CNIL ou la justice afin qu’elles vérifient et ordonnent les mesures nécessaires.
[1] On peut également consulter le communiqué de presse de la CJUE : http://curia.europa.eu/jcms/upload/....