le “chanoine de Latran” poursuit le démantèlement du dispositif de laïcité


article communiqué de la LDH  de la rubrique laïcité
date de publication : mardi 2 juin 2009
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Le 18 décembre 2008, la République française et le Saint-Siège ont discrètement passé un accord afin d’établir une reconnaissance des grades et diplômes de l’enseignement supérieur entre les deux États. Cet accord est entré en vigueur le 1er mars 2009. La publication du texte de l’accord a fait l’objet d’un décret signé le 16 avril 2009 par
- le Président de la République, Nicolas Sarkozy,
- le Premier ministre, François Fillon,
- le ministre des affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner [1].

Ce décret stipule une « reconnaissance mutuelle » de tous les diplômes sans distinction entre les deux parties – y compris donc le baccalauréat. Faut-il rappeler que, depuis la loi du 18 mars 1880, l’État a le monopole de la collation des grades et titres universitaires ? Ce qui signifie qu’il est le seul a avoir le droit de faire passer des examens publics dans le cadre de ses facultés.

La Ligue des droits de l’Homme, réunie au Creusot pour son 85ème congrès, a adopté à l’unanimité, le 1er juin 2009, la résolution d’urgence suivante.


Résolution de la LDH

adoptée à l’unanimité lors de son 85ème congrès
au Creusot le 1er juin 2009

Laïcité

La Ligue des droits de l’Homme dénonce le démantèlement progressif du dispositif institutionnel de laïcité au sein d’une République laïque selon sa propre Constitution.

L’accord signé par le ministre des Affaires étrangères et l’Etat du Vatican le 18 décembre 2008, mis en oeuvre par le décret du 15 avril, aboutit à reconnaître la validité des grades et diplômes délivrés en France également par les établissements d’enseignement dépendant de la Congrégation pour l’Education catholique.

Ceci contrevient à la loi de 1880 et à la loi Savary de 1984 réservant aux établissements publics le monopole de la collation des grades, dont le premier est le baccalauréat, et des titres universitaires, alors même que par ailleurs existe la liberté de l’enseignement.

Ceci contrevient aux dispositions de la Constitution donnant à l’Etat le devoir d’organiser l’enseignement public et d’en fixer par la loi les principes fondamentaux dont fait partie la reconnaissance des grades et titres universitaires, qui rend le savoir universitaire et sa reconnaissance indépendant de toute considération religieuse.

Ceci contrevient, par sa procédure de mise en oeuvre - par décret d’application -, aux dispositions de la Constitution imposant sa ratification par une loi puisqu’il modifie une disposition de nature législative.

Ceci contrevient à l’article 2 de la loi de 1905 stipulant que l’Etat ne reconnaît aucun culte et ne peut donc attribuer à une autorité religieuse une prérogative de puissance publique.

Ceci contrevient à l’esprit de cette même loi établissant la neutralité de l’Etat envers les différents cultes en réservant de fait à l’un d’entre eux une telle prérogative, ce qui est contraire au principe fondamental de l’égalité entre tous les citoyens quelles que soient leurs convictions.

Ces atteintes volontaires et provocatrices à la laïcité sont des mauvais coups et des régressions irresponsables et incohérents qui visent uniquement à instrumentaliser les croyances religieuses à des fins de domination politique et sociale, à se créer des clientèles en opposant entre elles les religions très inégales quant à leurs réseaux scolaires et universitaires. De plus elles ne peuvent qu’exaspérer l’opposition entre celles et ceux qui s’y reconnaissent et celles et ceux, nombreux aujourd’hui, pour qui elles ne signifient plus rien, bref à déchirer un peu plus un tissu social déjà fragilisé.

La Ligue des droits de l’Homme s’oppose à ce coup de force et s’associe aux démarches de nature à aboutir à son annulation. Elle appelle à agir vigoureusement contre le démantèlement systématique de la laïcité.

« C’est un des fondements de la laïcité de l’enseignement qui est mis en cause »

Point de vue de Jean Baubérot – "Le Monde" du 12 mai 2009


Le sociologue des religions Jean Baubérot, auteur de La Laïcité expliquée à M. Sarkozy (Albin Michel, 2008), estime que l’heure est grave. Avec l’accord passé entre la France et le Vatican sur les diplômes, « c’est un des fondements de la laïcité de l’enseignement qui est mis en cause, car celle-ci repose sur la collation des grades par les universités publiques ».

Jusqu’alors, on s’en tenait « à des collaborations ponctuelles au cas par cas avec des professeurs de facultés privées, sur des critères strictement académiques ». Alors que cette pratique autonomisait les professeurs des "cathos" par rapport à leur hiérarchie, M. Baubérot juge qu’« on donne une possibilité de pression du Saint-Siège sur les instituts catholiques ». Le Vatican « a refusé, par le passé, de nommer des professeurs dont les idées ne lui plaisaient pas. Qu’adviendra-t-il des formations médicales ou de bioéthique et de celles qui développent une approche scientifique des religions ? », se demande ce défenseur d’une laïcité tolérante. A ses yeux, le texte ouvre un autre problème : « Soit on crée une nouvelle inégalité au profit du catholicisme, soit on étend la mesure aux autres religions et, par exemple, on reconnaît les diplômes délivrés par l’université coranique d’Al-Azhar au Caire », craint-il.

Ce professeur émérite à l’Ecole pratique des hautes études estime que les politiques abordent le sujet de la religion avec un regard biaisé : « Les gouvernants privilégient les institutions. Ils n’ont toujours pas compris que les pratiques religieuses se sont individualisées et que les catholiques français entretiennent un rapport de liberté avec leur Eglise. » Selon lui, c’est la difficulté, pour le politique, de construire un projet d’avenir qui "entraîne un repli identitaire réofficialisant de façon rampante des « “racines chrétiennes” ». Cela s’est accentué avec Nicolas Sarkozy, mais avait débuté avec Lionel Jospin, qui a institué, en 2002, un « dialogue institutionnel » avec le catholicisme.

Maryline Baumard et Christian Bonrepaux


Communiqué commun LDH/Ligue de l’enseignement

La Ligue des droits de l’Homme et la Ligue de l’enseignement déposent un recours contre l’accord avec le Saint Siège

L’accord signé par la France avec le Saint Siège sur « la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur » remet en cause la laïcité de la République. C’est contre cet accord que les deux associations déposent un recours commun auprès du Conseil d’Etat.

Le 18 décembre 2008 un accord sur « la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur » a été signé par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, et Dominique Mamberti, secrétaire au Saint Siège pour les relations avec les Etats. Un décret du 16 avril 2009 signé par le Président de la République en porte publication. Cet accord est inadmissible. Il remet en cause la laïcité de la République en privilégiant une option spirituelle et en mettant fin au monopole d’Etat pour la collation des grades dans l’enseignement. Il méprise, en outre, les prérogatives du Parlement auquel, selon l’article 53 de la Constitution, doit être soumis tout accord international modifiant la législation.

Afin de s’opposer à sa mise en œuvre, la Ligue des droits de l’Homme et la Ligue de l’enseignement déposent un recours commun auprès du Conseil d’Etat contre cet accord.

Paris, le 10 juin 2009

Notes

[1Décret N° 2009-427, NOR : MAEJ0903904D : http://www.legifrance.gouv.fr/affic....


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